Richard Strul (Resoneo) : « on fera plus de choses sans l’intermédiation humaine »

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Président du cabinet de conseil en stratégie et marketing digital Resoneo, Richard Strul répond aujourd’hui aux questions de CB News sur le confinement et ses conséquences concrètes sur les process internes, le business d’aujourd’hui et le monde d’après.

Dans une société technologique comme la vôtre, on imagine qu’être en télétravail c’est plus « facile » à mettre en place… Mais tout est-il rose dans ce mode de travail au final contraint ?

Resoneo a été tout de suite en télétravail, dès le 16 mars et c'est une chance colossale parce que nous pouvons travailler à contrario de pans entiers de notre économie aujourd’hui à l’arrêt parce que le télétravail leur est impossible. Il est important de nous souvenir que nous sommes privilégiés ; sans être dans la béatitude crétine, la pensée positive produit de meilleurs résultats en temps de crise. Ceci posé, si les modalités d’un hangout ou d’un zoom nous sont familières, si beaucoup de choses peuvent se faire en réseau de n’importe où, si des campagnes Google Ads ou programmatiques peuvent se préparer à la maison, le télétravail « total » contraint ou non, pose de vraies nouvelles questions, même à une entreprise digitale.

Certaines concernent toute l’entreprise. Une société est un corps social, avec ses usages, ses valeurs, ses priorités, ses buts. Comment transmettre et maintenir l’esprit de ce corps sans un lieu de vie et de partage commun ? Qu’est ce qui fait le lien et l’envie de travailler ensemble quand on ne se voit plus ? J’ai vu passer des initiatives extrêmement intéressantes, des challenges photo, des vidéos collectives... À l'agence, nous avons choisi de faire de la musique ensemble en ouvrant le projet au maximum de participants ; et ça marche. Les gens s’engagent.

Mais comment fait-on pour « onboarder » de nouveaux collaborateurs dans des bureaux vides ? Nous avons fait l’expérience. Entreprise digitale ou pas, l’essence de la relation que nous devons générer est une chose nouvelle, qu’il va falloir composer. Gérer l’opérationnel au quotidien est une chose ; mais comment inspirer ? Comment communiquer les valeurs auxquelles on tient ? Qu’est ce qui remplace le café du matin ?

L’autre chose que nous avons besoin de transmettre, c’est le corpus méthodologique de l’entreprise, notre façon de travailler, ce qui fait notre différence dans la façon dont nous servons nos clients. C’est un matériau vivant, et en temps normal, il passe de la main à la main. Il faut organiser la même transmission par d’autres moyens. Nous ne sommes qu’au début d’un changement de paradigme, qui, comme l’ancien - enfin celui d’avant Wuhan...- aura des avantages et des inconvénients.

La généralisation du télétravail change le centre de gravité de nos vies. Dans tous les sondages, beaucoup des nouveaux télétravailleurs se déclarent ravis d’être exonérés des transports, mais certains d’entre eux avouent également une difficulté à faire la part des choses entre le moment travail et la vie privée, sans compter les difficultés concrètes du quotidien, la gestion des enfants, l’articulation avec l’activité du conjoint...

Enfin, la pression psychologique n’est pas la même dans tous les métiers et l’isolement pose davantage de problèmes dans ceux où il faut être très réactifs. Le référencement naturel est un métier à constante de temps longue où vous avez le temps de « l’appel à un ami » en cas d’incertitude. Quand vous gérez une campagne d’acquisition, que l’algorithme d’une plateforme fait des siennes et qu’il faut réagir dans l’heure, le partage d’expérience est important et il est indéniablement plus simple pour un junior d'avoir un référent accessible à ses côtés. Il faut trouver le moyen d’assurer cela dans la distanciation actuelle. On parle ici de confort psychologique, pas de technicité et être une société digitale n’y change rien.

Après la stupeur et les incertitudes des dernières semaines, que vous demande aujourd’hui vos clients plus particulièrement ? Des exemples ? Que leur préconisez-vous ?

Nos clients sont autant de cas de figure différents. Ceux qui sont engagés dans des projets de long terme - ce qui est le cas pour le SEO et le Web Analytics- ont pour la plupart continué sur leur erre, sauf quand leurs propres collaborateurs étaient en chômage partiel. Certains nous ont même demandé de pousser les feux pour profiter du temps disponible et de l’espace ouvert par la baisse de la concurrence. Pour ceux pour lesquels nous réalisons de l’acquisition de clientèle au travers de campagnes sur Google, Bing, Facebook, ... beaucoup ont stoppé brutalement leurs campagnes après le 16 mars mais certains ont d’ores et déjà redémarré leur activité. Et ce qu’ils attendent de nous en ces temps d’incertitude, c’est un pilotage au plus près, et surtout au plus près de leur business.

Pour les grands réseaux de magasins qui nous font confiance, la vraie reprise repose sur la réouverture de leurs points de vente bien sûr, mais beaucoup de marques redémarrent leur acquisition en fonction de leur capacité à livrer ou à s’approvisionner. Certains services et produits ont d’ailleurs bénéficié de la crise. Le cas de ManoMano a beaucoup circulé mais ce n’est pas le seul.

Nos clients attendent de nous de la pro-activité et de la vigilance face à des conditions de marché extraordinaires. Elles le sont d’ailleurs d’autant plus que les deux années écoulées ont fait la part belle à l’automatisation et aux algorithmes. Mais ces derniers s’accommodent mal des variations brutales. Et là, les conditions du match se modifient d’un coup à chaque annonce d’un gouvernant, à chaque statistique. Il est important qu’il y ait quelqu’un derrière le gouvernail quand le pilote automatique est mis à mal par les soubresauts violents de la conjoncture actuelle.

Mesurez-vous l’impact financier de cette crise pour vous ?

C’est en fin d’année qu’il faudra faire les comptes. Comme évoqué plus haut, nous avons la chance d’avoir une activité plantée sur deux jambes, entre les activités de conseil, le SEO, l’analytics d’une part et l’acquisition de trafic d’autre part. Les premières n’ont que faiblement ralenti ; le CA perdu sur l’acquisition, en année pleine, dépendra d’une foule de paramètres. Si les commerces rouvrent bien le 11 mai, si les gens s'y rendent, si les transports transportent, si les livreurs livrent... Les gens auront-ils envie de consommer ou peur de l’avenir ? Pour certains le confinement a beaucoup diminué leur train de dépense, pour d’autres ce sont les revenus qui ont beaucoup baissé.

Certaines marques tenteront de rattraper le chiffre perdu en ce premier semestre en étant très actives à la rentrée de septembre ou même en juin. Des secteurs comme le tourisme peineront en revanche à reprendre du momentum. Et l’efficacité globale du plan de relance de l’économie mis en œuvre par le gouvernement aura un impact majeur sur la résilience du tissu économique. La résultante de tous ces phénomènes est difficile à prédire.

Ce qui est sûr en tout état de cause, c’est que la crise actuelle change des usages, que cette évolution est résolument en faveur du digital et du commerce en ligne en particulier...et qu’elle a des chances d’être durable. Plus de 50% de nos clients sont des e-commerçants. S’ils progressent, nous progressons. De ça nous sommes certains.

Que retenez-vous de cette crise ? C’est quoi le monde d’après pour votre activité ?

Le monde d’après va être encore un peu plus digital, un peu plus « drive », un peu plus « livraison à la maison », un peu plus « sans contact ». Il déshabillera quelques vieilles habitudes de leurs mues. On signera plus en ligne. On fera plus de choses sans l’intermédiation humaine. C’est le sens de l’histoire mais notre claustration subie et subite aura donné un coup d’accélérateur à l’évolution naturelle des choses. Mais si la situation dure un peu, elle influera aussi inévitablement sur la relation des collaborateurs à l’entreprise, à l’apprentissage de nos métiers, à la position du télétravail dans l’ensemble de nos dispositifs et plus généralement dans la vie des gens.

Globalement, tout cela favorisera les business technologiques. Il me semble en revanche qu’il faut être vigilant sur un point crucial : si la contrainte nous amène à modifier nos modalités d’interaction, nous ne devons pas la laisser supprimer l’humain, ni dans nos business ni dans nos vies. Cette crise nous remet en tête que nous ne maîtrisons pas tout ; elle nous rappelle aussi ce qui est vraiment important. Les solidarités, l’empathie, nos enfants... J’ai toujours été convaincu que la meilleure façon de faire du business, c’est de construire des relations, d’aimer les gens. S’il faut le faire en « apéro Skype », tant pis ; faisons çà. Mais surtout n’oublions pas qu’il y a un humain derrière l’écran.

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