Rédactions en invention

Face à l’évolution paradoxale de leur écosystème, -pression croissante d’un coté, appels d’air de l’autre pour reprendre du souffle face aux multiples canaux d’information- , les médias et particulièrement les rédactions réagissent, innovent, se réinventent : c’est le thème du dernier (petit) livre de Jean Marie Charon.

« Deux mots résument aujourd’hui les évolutions que connaissent les rédactions : incertitude et engagement », ainsi démarre le livre de Jean-Marie Charon. Ce paradoxe anime toute la structure de l’ouvrage. L’introduction précise les incertitudes économiques et statutaires, en souligne l’ampleur et les inscrit dans l’époque. Car la crise ne date pas d’aujourd’hui et les sociétés de presse ont parfois pris du temps pour réagir. Les ressources sont à la peine sur le marché bi face : achat d’information et manne publicitaire. La pression sur les coûts est donc croissante, elle s’étend sur les hommes, les temps hommes, les façons de travailler et génère du stress… alors qu’il faudrait investir en process, en production et en ressources humaines pour répondre aux nouveaux besoins d’information. Les rédactions n’ont d’autres solutions que de se repenser.

Jean-Marie Charon détaille les chantiers mis en œuvre pour reconquérir des audiences par les contenus :

• Le multi supports au tout 1er rang qui construit une nouvelle chronologie des médias, demande une optimisation des infos par canal, et redonne tout son sens à la dualité producteurs et éditeurs.

• Le développement de l’info de flux qui maximise l’amplitude des horaires, accentue l’intérêt pour le live, s’accommode de la participation non maitrisée des internautes et recrée la nécessité du desk pour un fact check- in sans délai.

• L’info à valeur ajoutée (expertise, exploration, investigation, …), mais aussi l’information personnalisée, valeur essentielle qui débanalise l’info et engage le lecteur.

• Les mutations des métiers nécessaires pour traiter l’information d’aujourd’hui et les réponses en matière d’organisation et de mutualisation des compétences au sein des rédactions ou en collaboration ou cocréation extérieure.

• Les nouvelles configurations des espaces de rédactions pour répondre à ces enjeux au 1er rang desquels la fameuse newsroom •

… Jean-Marie Charon cite de nombreux exemples de titres anglo- saxons, qui ont su tirer parti de ces opportunités. Le voyage est très (trop ?) rapide bien sûr mais intéressant. Le dernier (bref ) chapitre est consacré au ressenti des journalistes que l’auteur a rencontrés pour ce travail d’enquête : leur difficultés, leur mal être parfois accentué par le poids des contraintes économiques, par les réductions d’effectifs et de moyens quand ils s’estiment déjà sous l’eau.

Cette analyse positive et porteuse d’espoirs signée d’un vrai sociologue des médias est pertinente et explicite, elle peut cependant appeler deux regrets. Tout d’abord pourquoi s’en tenir à la presse quotidienne et aux pures players d’information, ignorant ainsi toute la presse magazine d’informations générales (ou spécialisées). Pourquoi ne pas les citer, y recueillir quelques exemples de réinventions pertinentes, il y en a de nombreux, ne serait-ce que dans les grands groupes où la presse périodique soutient largement les équilibres budgétaires des quotidiens. Il y a des rédactions de même dans d’autres médias audiovisuels, l’extension du domaine de l’enquête eut pu être intéressante.

La presse quotidienne souffre souvent des mêmes maladies que les autres médias d’informations, c’est aussi en observant les comportements de ces derniers que les solutions peuvent venir. De plus, qui aurait parié, il y a vingt ans que les médias de l’ancien monde qui se transformeraient sans doute le mieux, seraient les quotidiens nationaux et régionaux. Chapô. A côté de cette mutation, les magazines notamment thématiques que d’aucuns espéraient en champion de la métamorphose ont été fortement challengés par les pure players de leur univers. Les magazines d’information restent encore à la peine face à un déséquilibre entre le temps long de leur périodicité et l’accélération croissante du temps de l’information sans avoir su réussir le multi canal / multi cibles / multi fonctions que permettait le numérique. Qui aurait parier qu’une « vieille dame » comme le Figaro, serait le champion de la transformation digitale sous l’influence des volontés de ses directeurs généraux ?

C’est là mon deuxième regret : le livre de Jean-Marie Charron ne parle que des journalistes, jamais des patrons de presse si ce n’est dans l’ultime chapitre pour stigmatiser en sous-titre « un patronat sans projet d’information ». Comme si les journalistes avançaient seuls dans ces innovations structurantes sans projets éditoriaux d’ensemble insufflés par des hiérarchies absentes des vrais débats. La plupart de ces innovations et il faut les encenser, sont nées dans des discussions souvent serrées mais constructives entre éditeurs et directions de rédaction, au sein de comité où siégeaient même parfois - oh scandale - des directeurs du digital, voire des revenu managers, ces nouveaux directeurs commerciaux des groupes d’information… Oui, la presse et les médias se cherchent, et se (re)trouvent souvent, les process se réinventent, les innovations fleurissent dans de nombreux groupes médias, petits et grands en presse quotidienne, magazine ou spécialisée comme en radio/ TV, et cela sous l’influence conjointe de toutes les parties prenantes. Rédactions en tête. Mais pas que.

A noter cette maison d’édition : uppréditions.fr, qui s’enorgueillit de plus de 120 titres de 100/120 pages sur des questions culturelles pertinentes ou sociétales d’actualités. Jean-Marie Charon y a publié plusieurs titres sur l’évolution de la presse. 

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