Politique nutritionnelle de santé publique française : du chemin reste à parcourir

Eclairer les consommateurs sur la qualité nutritionnelle des aliments pour les aider à arbitrer leurs choix, tout en respectant leur liberté -la prévention « active »- ; favoriser l’accessibilité économique à des aliments de meilleure qualité nutritionnelle ; améliorer l’offre sans affecter le plaisir gustatif, et diminuer les apports en graisses, sucres et sel -la prévention « passive »… La politique nutritionnelle
de santé publique française (PNNS) a déjà porté de nombreux fruits mais des mesures complémentaires s’imposent.

Depuis sa mise en place en 2001, le Programme National Nutrition Santé (PNNS) s’est appuyé sur un vaste ensemble de mesures incitatives de type volontariste vis-à-vis de différents partenaires concernés par la politique nutritionnelle : acteurs économiques du secteur de l’alimentation, collectivités territoriales, entreprises (vis-à-vis de leurs salariés), monde associatif… Une vraie dynamique a ainsi été créée dans de nombreux domaines montrant l’intérêt de la démarche, l’importance des marges d’actions possibles, mais également les limites qualitatives et quantitatives de l’approche volontariste s’appuyant sur une autorégulation confiée aux acteurs concernés.

Il apparait donc aujourd’hui nécessaire de mettre en place des mesures générales structurelles complémentaires visant conjointement à :

•éclairer les consommateurs (notamment les plus défavorisés) sur la qualité nutritionnelle des aliments pour les aider à arbitrer leurs choix, tout en respectant leur liberté (prévention « active »),

•améliorer l’offre de marketing en réduisant la pression incitant les consommateurs, notamment les populations plus fragiles (populations défavorisées, enfants, jeunes…), à orienter leur consommation vers des aliments de moins bonne qualité nutritionnelle et en favorisant l’incitation vers des choix alimentaires plus favorables à la santé,

•favoriser l’accessibilité économique à des aliments de meilleure qualité nutritionnelle, facilitant des arbitrages en faveur d’aliments dont le PNNS veut assurer la promotion à la place de ceux dont il recommande de limiter la consommation,

•améliorer l’offre alimentaire en termes de qualité nutritionnelle des aliments mise à la disposition de l’ensemble des consommateurs (notamment les jeunes et les populations défavorisées) afin de diminuer de façon significative, mais sans affecter le plaisir gustatif, les apports en graisses, sucres et sel (prévention « passive »).

Pour atteindre ces objectifs, différentes  mesures structurelles sont  nécessaires :

1) un système d’information nutritionnelle unique sur la face avant des emballages des aliments (notamment le système coloriel 5C, validé par de nombreux travaux scientifique est plébiscité par les sociétés savantes d’Experts et les consommateurs[1]

2) une régulation de la publicité en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments 

3) une taxe (couplée à des subventions) en fonction de la qualité nutritionnelle des aliments. Ces mesures sont complémentaires et leur cohérence repose sur l’utilisation d’un outil commun, un score global de qualité nutritionnelle comme celui mis au point par la Food Standard Agency  (FSA) et validé et adapté à la situation française par le Haut Conseil de la Santé Publique (HCSP). Bien sur, il faut garder à l’esprit que ces mesure spécifiques doivent être replacée dans le cadre global d’un PNNS renforcé et pérennisé à la mesure des défis de santé publique.            

Cependant un certain nombre de questions sont généralement soulevées lorsqu’est évoquée la mise en place de telles mesures réglementaires dans le cadre des politiques nutritionnelles de santé publique :

Une atteinte aux libertés individuelles ?

Depuis de nombreuses années, un argument avancé par ceux qui souhaitent limiter la place des réglementations dans les politiques publiques est le fait que par ces réglementations, l’état porterait atteinte aux libertés individuelles alors que le choix alimentaire relèverait de la responsabilité des individus. Même si la question est légitime, il est cependant bien difficile de considérer que les individus soient vraiment libres dans un contexte où la pression marketing qui les environne est extrêmement forte. On peut citer par exemple, le rôle et l’importance de la publicité sous toutes les formes, le packaging, le positionnement des aliments aux sorties de caisse et sur les rayons des supermarchés, les promotions au volume ou les happy hours exclusivement pour certains aliments dans lesquelles le consommateur n’est pas décideur, la dictature de l’idéal minceur, l’image unique de la représentation des corps dans le marketing,.. La littérature scientifique a largement documenté les effets du packaging (taille et forme des emballages, charte graphique, portions), de la présentation des menus au restaurant, de la disponibilité des produits sur les rayons ou à la maison, des promotions, des marques, de la publicité, de l’ambiance entourant les choix (luminosité, fond sonore) ou des marques, etc..

Donc, est-ce que l’on peut considérer que le consommateur est réellement souverain etomaître de ses choix ? Est-ce sa volonté seule qui oriente l’offre ou l’offre n’est-elle pas le facteur qui détermine, en fait, sa demande. Comme le rappelle Fabrice Etilé (2013), « les producteurs, les distributeurs et les restaurateurs mettent en œuvre des dispositifs marchands orientant les décisions des consommateurs. On peut, dès lors, douter fortement de la capacité de ces derniers à arbitrer de manières souveraine et optimale entre plaisir et santé. Dans cette perspective, l’invocation rituelle de la liberté de choix des consommateurs n’est qu’une forme habile de populisme, cherchant à évacuer l’ensemble des déterminants sociaux et environnementaux qui pèsent sur les décisions individuelles ».

une perte du plaisir gustatif ?

Certains contestent également le droit de l’État à réguler l’environnement pour peser sur les choix des consommateurs suggérant que ceci se traduirait par une perte du plaisir gustatif. Il a été pourtant clairement démontré par les chartes d’engagement qu’il existait une marge d’action pour améliorer la qualité nutritionnelle des aliments sans que ces derniers ne perdent leurs qualités organoleptiques et donc sans même que les consommateurs se rendent compte de la modification du produit « amélioré sur le plan nutritionnel » par rapport à « l’original ». Il ne s’agit en aucun cas d’interdire ni de réglementer la composition nutritionnelle des aliments mis sur le marché en fixant des niveaux de nutriments à ne pas dépasser (ou à atteindre), ce qui pourrait porter atteinte aux propriétés organoleptiques des aliments risquant de détourner les consommateurs de leur plaisir. Il s’agit de donner un cadre législatif qui provoquera par contrecoup une mobilisation de l’ensemble des acteurs alimentaires afin qu’ils améliorent, par une reformulation adaptée, la qualité nutritionnelle de leurs produits dans la limite de ce qui est faisable pour ne pas nuire à leur goût et/ou qu’ils innovent dans une offre visant au plaisir gustatif mais en intégrant en même temps la dimension nutritionnelle.

Un risque économique ?

Certains opposants aux réglementations avancent également un argumentaire de mise en péril des opérateurs économiques. C’est ce qui avait d’ailleurs déjà été avancé lors de la mise en place de la taxe sur les boissons sucrées par certains fabricants de soda. De même lors de la promulgation de la Loi de Santé Publique de 2004 qui avait intégré un article interdisant les distributeurs automatiques payants au sein des enceintes scolaires, il avait été fait état d’une menace sur l’emploi par les fabricants de distributeurs automatiques qui ne s’est pas avérée réelle dans les années qui ont suivi la mise en place de la mesure.

Cependant, il ne faut pas nier les conséquences économiques de certaines mesures réglementaires de santé publique. Par exemple, au Danemark le retrait de la mesure imposant une taxe sur les acides gras saturés a été justifié par le Ministre des Affaires fiscales, non pas sur ses conséquences en terme nutritionnel, mais sur les coûts administratifs élevés pour les entreprises, notamment les petits producteurs d’aliments naturellement riches en graisses saturées (charcuterie, fromage…) qui devaient faire analyser leurs produits pour avoir la composition nutritionnelle exacte afin de remplir les formulaires du fisc . Ce type de conséquences ne remet pas en question le principe de la taxe mais la façon dont elle doit être calculée et appliquée pour que le rapport entre le coût pour l’opérateur économique et le bénéfice pour le consommateur soit optimal.

Par ailleurs, les divers outils réglementaires proposés peuvent être utilisés pour inciter les firmes à reformuler leur offre alimentaire et innover dans ce domaine: en aidant la dimension « santé » des choix alimentaires à devenir un axe de différenciation essentiel des produits, on augmente les incitations à l’amélioration de leur qualité nutritionnelle. La réglementation ne doit pas être perçue uniquement comme une contrainte, mais peut jouer un rôle d’incitation à être plus compétitif sur le plan de la qualité et du prix, à développer l’innovation et à renforcer une image positive au niveau national et international.         

Par le Professeur Serge Hercberg

Equipe de Recherche en Epidémiologie Nutritionnelle (EREN)

UMR U1153 Inserm/U1125 Inra/Cnam/Univ Paris 13

A l’origine du premier Programme National Nutrition Santé dont il est Président, le professeur Serge Hercberg est également le coordinateur de l’étude Nutrinet-Santé, qui constitue l’une des plus vastes initiatives autour de l’évaluation des comportements alimentaires.


[1] https://www.change.org/p/etiquetage-nutritionnel-alimentaire-les-consommateurs-fran%C3%A7ais-veulent-le-code-5-couleurs/

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