Français d'adoption (2)

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Stefan Ilkovics, suédois, DC de Blondie, nous livre sa vision de la création française. Dans le mag de février, nous avons demandé à quelques directeurs de création étrangers comment ils voyaient la création française de l'intérieur. Vu la richesse de leurs réponses, nous avons décidé de publier leurs contributions dans leur intégralité.



 

Au vu de votre expérience internationale, quelles sont les particularités culturelles de la création en France ?

En Espagne, un très bon projet ou une excellente idée étaient accueillis par un chaleureux “¡de puta madre!”, aux États Unis, par des “Awesome! Great!”, alors qu'ici en France, si une idée plait vraiment, elle est accueillie par un “Rien à redire” ! C'est très déstabilisant au début. De même, quand on vous dit que votre concept n'a jamais été tenté ou réalisé auparavant, il ne faut pas forcément le prendre comme un compliment…



Le plus dur pour moi en arrivant dans une agence française fut sans doute de garder ma crédibilité une fois que les gens avaient vu mon orthographe douteux et ma grammaire de CM2 ; mais les choses s'arrangent avec le temps, et l'expérience passe au final avant le reste. Je pense cependant que la personne qui a inventé l'expression "Armée Mexicaine" n'a jamais travaillé dans une agence digitale parisienne ! Car, et c'est assez paradoxal, dans un pays où le rejet de l'autorité est si présent, de voir que si l'on est pas directeur, on n'est rien. Ici, tout le monde est "général", il n'y a plus de hiérarchie ; c'est même tout le contraire, quand tout le monde a des super titre. Il y a des dizaines de directeurs de création, de plus en plus jeunes. Tous le monde est directeur - même si ils sont seuls dans le département ! DC, c'était un titre auquel on aspirait, qui demandait certaines compétences (autre qu'être un bon DA ou bon CR), mais maintenant j'ai l'impression que c'est un next step automatique. comme passer de junior à senior... D'ailleurs, je pense qu'il y a des agences ou il y a plus de DC que de DA senior.



Souvent en agence, je trouve que les réunions de travail prennent des allures de café littéraire, où l'on puise dans la culture générale, littéraire ou artistique pour s'exprimer comme nulle part ailleurs. En France, il y a un culte du talent, plus que du travail. Il y a plus de valeur à dire qu’on a trouvé une idée par inspiration, comme un artiste, plutôt que par un travail méthodique et acharné. Je n'ai par ailleurs jamais vu autant de gens arriver à 11h au bureau et raconter à quel point ils sont stressés et débordés en prenant un café ! Je ne travaille que pour les milieux du luxe et de la mode, et contrairement au US, par exemple, l'ambition des clients français est de faire une "œuvre" artistique. J'admire la place et le respect que les clients français ont pour l'Art. Je suis toujours aussi impressionné par la modestie des clients par rapport a leur Maison. Il jugent leur travail avec de la hauteur, dans la continuité d'une Maison qui a un passé, un héritage et un futur. Aux US, on est beaucoup plus dans la rupture, dans l'envie d'imposer sa patte sur la Maison, plutôt que de la servir réellement.



 

Pourquoi on ne produit pas de campagnes pouvant rapporter un Lion Integrated ou un Titanium à Cannes ?

Les idées françaises n'ont jamais de Titanium à Cannes, c'est évidemment plutôt triste… Mais les projets primés a Cannes sont souvent ceux où les agences ont placé le consommateur avant les marques, et on a encore beaucoup de mal à faire cela en France.



J'adore la gastronomie française, et faire des déjeuners d'affaire dans les brasseries typiques ou les restaurants étoilés est un plaisir chaque fois renouvelé. J'aime ce côté bon vivant des Français, même dans les affaires. Mais je suis toujours surpris de me faire reprocher de ne pas prendre de vin à table au déjeuner !

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