Les projets de Delphine Ernotte pour France Télévisions

"France Télévisions est une entreprise qui doute". La première phrase du projet stratégique de Delphine Ernotte Cunci nommée par le CSA, et qui prendra ses fonctions de président du groupe audiovisuel public le 22 août prochain, résonne à l'aune de sa volonté de changement. Le document de 31 pages mis en ligne par le CSA vendredi était jusqu'alors confidentiel, connu des seuls Sages de l'instance qui ont auditionné celle qui n'était alors que candidate. En 3 parties ("restaurer la confiance", "réinventer l'offre" et "réaffirmer le service public"), le projet stratégique décline "(sa)vision des enjeux et mes partis-pris sur ces trois priorités". Alors ?

En baptisant le projet "Audace 2020", il s'agit pour le nouveau président "remobiliser" l’ensemble des collaborateurs de France Télévisions "autour de leurs valeurs". Car l'avenir du groupe "se joue dans les quelques années qui viennent autour d’un dilemme simple : l’adaptation ou l’affaiblissement". De fait, elle devra composer avec un budget comprimé. D'ores et déjà, elle constate que France Télévisions est aujourd’hui "prisonnier" de "compromis successifs avec les organisations syndicales ayant abouti à une organisation discutable des délégations et des responsabilités dans le travail". Pour elle, une des clés pour "restaurer la confiance interne" est "de sortir d’un « mille-feuilles » statutaire et managérial en simplifiant l’échelle des responsabilités et en structurant la valorisation des compétences"... insistant sur la mise en place, "ma priorité", d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Pour "éviter tout départ contraint (...), il est indispensable d'agir sur trois leviers: le non-remplacement des départs, une politique de mobilité et de formation et la modération salariale". Elle promet ainsi "un management dans et par le dialogue", et préconise un effort sur les coûts de structure du groupe dès cette année, qui ciblera "prioritairement les frais de siège" et sera inscrit dans un "budget rectificatif 2015". Elle fera  également en sorte "de mieux rentabiliser" l’outil de production de France Télévisions.

Le management

"Dès mon entrée en fonction, je nommerai une équipe strictement paritaire". Elle sera composée, selon le plan, de 14 membres et comprendra, outre la présidence, les 5 directions de chaînes, les deux directions transversales (stratégie et programmes, information) auxquelles s’ajouteront six directions fonctionnelles : commerciale, technique et système d’information, financière, ressources humaines, communication et secrétariat général. La direction commerciale aura notamment, explique-t-elle, "la tutelle de la régie publicitaire, de FranceTV Distribution et de la MFP". Pour sa part, le secrétariat général du groupe "veillera particulièrement à rétablir un climat de confiance avec l’ensemble des tutelles". Elle assure par ailleurs qu'elle choisira comme responsable des cinq chaînes des personnalités "indiscutables" quant à leur connaissance et leur savoir-faire des contenus audiovisuels. Elle annonce en outre qu'elle choisira un(e) directeur(trice) de la stratégie "dont l’expérience, notamment dans la télévision publique, sera garante d’une efficacité et d’une synergie immédiate avec les « patrons » de chaîne". Elle indique également qu'elle optera pour un directeur(trice) de l’information "dont les qualités à la fois éditoriales et organisationnelles auront été reconnues dans le passé.

Misant sur un management "responsable", Delphine Ernotte souhaite dans les faits désormais associer la direction des chaînes à des objectifs à la fois éditoriaux et économiques. Mais ce pilotage "exige de véritables comptes d’exploitation, chaîne par chaîne, comme cela existe pour n’importe quelle division dans n’importe quelle grande entreprise". Les responsables de chaînes, qui gèreront leur grille et leurs moyens propres, rendront "logiquement" des comptes à la Présidence. Ils seront de véritables "patrons" d’unités de productions, "avec tous les droits et devoirs que cela suppose", insiste-t-elle, précisant que "l'amélioration des programmes ne rime pas nécessairement avec l'augmentation des moyens". Elle propose aussi de grouper certains coûts hors grille avec Radio France et l'INA (les études, la formation, les achats techniques...).

Et les chaines, les programmes ?

"L’audience et la qualité ne sont pas antinomiques, au contraire". Delphine Ernotte Cunci fait du "rajeunissement de l'audience de France Télévisions" l'"objectif fondamental de (sa) présidence". Par effet "d’habitude et de prudence", la télévision publique fabrique "mécaniquement des programmes pour seniors", relève-t-elle. Pour changer la donne, elle compte sur le numérique, et envisage de rénover les programmes en "mettant l'accent sur l'innovation". Mais aussi faire du groupe public "une plate-forme de référence" pour tous les contenus jeunesse sur tous les supports. Et France Télévisions doit aussi "créer de nouveaux rendez-vous rassembleurs" (divertissements, fictions, informations, sports...). Pour elle, l'innovation et le risque ne doivent pas être "cantonnés à un secteur ou à une chaîne". Au contraire, martèle-t-elle, il s’avère "nécessaire d’investir dans les processus d’écriture et de développement en y consacrant au moins 5 % des budgets de programmes". Il est d'ailleurs "prioritaire" de "raccourcir" les délais de création.

Mme Ernotte Cunci veut également clarifier le positionnement des deux chaînes généralistes du groupe, en "distinguant clairement" France 2, "chaîne du flux", et France 3, "chaîne du patrimoine et des territoires". France 2 a ainsi "vocation naturelle à devenir la chaîne leader de la télévision française : populaire, positive et de qualité". Sur France 3, "l'actualité nationale doit devenir complémentaire par rapport aux actualités régionales", et non l'inverse. France 4 "doit devenir la référence pour la jeunesse" alors que France 5 "doit demeurer la chaîne des savoirs, de la connaissance, de l’éducation" et que France Ô "doit rester la chaîne des ultra-marins". En termes d’investissements, la dominante est d’un côté l’événementiel – sportif notamment – sur France 2, de l’autre la création – audiovisuelle ou cinématographique – sur France 3. "Je considère que la meilleure identification de France 3 passe par un repositionnement nécessaire de France 2", souligne le futur président de France Télévisions.

Rapprocher France 3 et France 3 Régions

France 3 devrait donc connaitre le rétablissement d'une "unité de commandement entre le national et les régions. Delphine Ernotte propose donc que France 3 et France 3 Régions soient "enfin" assemblés au sein d'une même chaîne. A charge pour elle de "sortir de la dictature de l'urgence pour redonner sa place à la maîtrise des rythmes et des temps, à la mise en perspective des évènements et à leur explication". Dans ce cadre, il lui apparait "nécessaire" d'accroître le nombre de décrochages locaux et de multiplier les décrochages évènementiels, "qui connaissent un important succès d'audience". La grille des programmes doit en outre être "nourrie de programmes financés par la chaîne avec une forte connotation régionale". De même, les matinales d'animation, "qui connaissent une érosion de leur audience", doivent être "progressivement" transférées sur France 4, "à l’exception sans doute des périodes de vacances et des fins de semaine". Enfin, selon le plan stratégique, "il doit être envisagé de déconcentrer des unités de production dans des antennes régionales, particulièrement créatives".

Un pacte de refondation avec les producteurs

Pour Delphine Ernotte, France Télévisions doit s'adapter à la concurrence internationale et aux nouveaux usages, et "repenser (son) modèle de production. C'est pourquoi, elle entend engager un "pacte de refondation" avec les producteurs. Ce contrat pour cinq ans, négocié avec l'ensemble des acteurs de la production, "fixera des objectifs précis de part et d'autre" pour faire de l'audiovisuel français "un champion à l'international".

Le numérique ce n'est pas que le web

"Le premier enjeu à venir de la télévision est celui du second écran. Le numérique ce n’est pas que le web". Si "la dimension éditoriale numérique doit devenir centrale", l'ambition de Mme Ernotte Cunci est de voir dans le numérique la constitution d'un "rapport nouveau entre la télévision publique et les jeunes". Afin de créer une véritable passerelle, une nouvelle plateforme numérique, "basée sur un algorithme de recommandation", doit rendre la télévision de rattrapage "plus accessible, sur le modèle de Netflix par exemple". Il y a en la matière "beaucoup de progrès à faire", précise-t-elle. Il faut ainsi mettre les sites de France Télévisions "au standard du marché" Pour nouer encore plus fortement ces liens et pour permettre une offre numérique personnalisée, France Télévisions doit mettre en place "une stratégie relationnelle avec ses usagers, s'appuyer sur les outils professionnels de la relation client", relève-t-elle. Il faut donc " penser une offre numérique plus riche, qui n’est plus uniquement liée à l’antenne". Dans ce cadre, un programme "ne doit plus être pensé uniquement en fonction de sa place dans la grille, mais aussi en fonction de ses usages à tout moment et dans tous les contextes".  Elle prévoit le lancement d'une chaîne numérique d'information en continu dont le projet sera intégralement présenté au CSA "avant la fin de l’année 2015" avec l'objectif d’une mise à l’antenne en septembre 2016". Pour cela, France Télévisions pourrait s'allier avec France Média Monde et Radio France pour "élaborer un projet unique de niveau international, mais aussi avec l'INA.

Un outil de mesure de la satisfaction des téléspectateurs

"Ce serait une erreur que de considérer l'audience comme ne devant pas être un guide d'action pour France Télévisions". Mais pas que. le futur président du groupe audiovisuel souhaite une évolution de la notion "d’audience instantanée" en intégrant la notion de "satisfaction des téléspectateurs". Pour ce faire, il veut "dès la première année", la mise en place d'un outil "Qualimat" quotidien basé sur les technologies numériques. Un outil qui sera par ailleurs proposé "à l'ensemble des grandes chaînes françaises qui seront invitées à rejoindre ce panel". Sans toutefois oublier la mesure quantitative de l'audience qui "doit aussi évoluer", Mme Ernotte Cunci prône un affinage "au niveau local et départemental" de la mesure de l'audience. A cette fin, elle indique que "les outils de mesures liés aux box des différents opérateurs peuvent être de véritables moyens de capter l'audience".

Enfin, elle ambitionne la création d'un Comité pour la diversité des programmes associant producteurs, experts et associations, la mise en place au sein du groupe d'une politique de prévention et de lutte contre les conflits d'intérêts, mais aussi d'un Conseil des jeunes formé de téléspectateurs, qui soit un guide pour l'orientation de la grille...

L'intégralité du projet stratégique est consultable ici.

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