Laurent Joffrin : ''Nous réfléchissons à un Libération du dimanche''

Entre conflits internes et la baisse des ventes, le sort de Libération semblait scellé. L’entrée en 2015 de Patrick Drahi dans le capital du quotidien a changé la donne. Des départs, la refonte éditoriale et une réorganisation majeure plus tard, le titre se maintient dans le paysage de la presse quotidienne en travaillant activement à des jours meilleurs. Laurent Joffrin, directeur de la rédaction et cogérant de Libération, revient sur une année 2015 houleuse et sur les projets 2016. Entretien exclusif.

CB News : En 2015, Libération a connu beaucoup de mouvements et des changements majeurs...

Laurent Joffrin : En effet. Libé, c'est quand même une équipe incroyable : conflit interne, changement d'actionnaire, changement de formule print et web, changement de locaux, réorganisation de la rédaction. Mais elle fait. Elle râle un peu, certes. Mais son journal lui tient à cœur. C'est une équipe novatrice contrairement à ce que l'on pourrait croire avec l'image encore tenace de ses vieux soixante-huitards. Aujourd'hui c'est moi le plus vieux, quasiment.

CB News : Pourtant, ce n'était pas facile...

Laurent Joffrin : Le journal, juste avant que j'arrive (juillet 2014, ndlr), était quasiment en état de guerre civile. Il y avait l'expression quotidienne "Nous sommes un journal"...Il y avait, je crois, un malentendu entre les anciens actionnaires et l'équipe. Quand Patrick Drahi arrive dans notre capital en 2015, il nous demande de faire un plan de redressement, ce que nous avons fait. Il demande des départs et nous avons négocié. Notre plan social était fondé sur la clause de départs. Patrick Drahi a remis l'argent qu'il fallait pour redémarrer et pour les financer. Ce qui lui a tout de même coûté plus de 20 millions d'euros. La perte 2014 de Libération était de 9 millions d'euros pour un chiffre d'affaires de 40 millions d'euros. C'était insupportable.

CB News : Un plan de réorganisation devenait indispensable en 2015 ?

Laurent Joffrin : La fin de l'année 2014 a été consacrée à la mise en œuvre du plan de départs qui se s'est terminé en février 2015. L'atmosphère s'est alors apaisée. Il fallait rassurer les gens sur l'indépendance du journal vis à vis du nouvel actionnaire. Nous avons procédé à la réorganisation de la rédaction de manière à unifier le travail des journalistes pour qu'ils travaillent indistinctement pour le web et pour le print. Nous avons également réorganisé les services du journal.

CB News : Et vous lancez une nouvelle formule de Libé en juin 2015 qui n'a pas forcément encore aujourd'hui trouvé son public...

Laurent Joffrin : On l'a peut-être fait un peu trop vite. Au moment de la guerre interne, beaucoup se disait que le journal ne passerait pas l'hiver. Il nous avait semblé important et utile de montrer que l'on était toujours créatif et que l'on pouvait rebondir, changer, s'adapter... Nous avons aussi commis une erreur  : on a adopté une typo trop nouvelle et on a perdu des gens. En 10 jours, nous sommes revenus à une autre typo. Nous avions pourtant testé cette nouvelle mouture qui plaisait. Nous avons dû aussi assouplir la formule. Elle était tellement radicale. Il n'y avait que des petites choses dans la rubrique Expresso et des doubles pages derrière. Notre raisonnement était, et est toujours : le print est conçu en liaison avec le web. L'actu immédiate, au jour le jour, est d'abord sur le web. Mais le lendemain matin, il faut apporter des choses. D'où cette idée d'avoir des papiers plus longs, avec moins de sujets. Cela a rendu le journal un peu plus magazine. C'est toute la difficulté : on fait un magazine quotidien, mais à chaud.

CB News : Cela s'est traduit par une baisse des ventes notables...

Laurent Joffrin : Les ventes baissent par ascenseur et remontent par l'escalier, c'est dur. Mais globalement, en 2015, la diffusion en kiosque s'est à peu près maintenue (la DFP 2015 de Libé est de 88 401 exemplaires, soit -5,74% vs 2014 selon l'ACPM-OJD, ndlr). L'abonnement numérique a quant à lui été victime de nos manques de moyens humains (-9,18% en 2015 vs 2014 pour la diffusion des versions numériques individuelles, ndlr).

CB News : Malgré tout cela, vous faites mieux en 2015 ?

Laurent Joffrin : Nous avons réduit significativement notre déficit. Nous enregistrons un résultat de -1,5 million d'euros en 2015. Nous faisons un journal un peu plus petit (32 pages) avec un tiers de collaborateurs en moins. Nous avons un actionnaire très exigeant sur la gestion, qui construit un groupe multimedia puissant.

CB News : Et votre feuille de route pour 2016 ?

Laurent Joffrin : Un budget en équilibre en 2016. Ce ne sera pas de la tarte, mais on ne va certainement pas retomber dans des déficits abyssaux. Nous avons une sorte de contrat implicite avec Patrick Drahi : vous rétablissez les comptes et je serai attentif à vos propositions de développement.

CB News : Justement, quels développements pour 2016 ?

Laurent Joffrin : Nous sommes en pleine phase de réflexion, rien n'est encore totalement arrêté. Ce seront des chantiers pas très couteux. En octobre 2015, nous avons lancé Le P'tit Libé, un magazine digital à l'attention des enfants et nous envisageons sa déclinaison print. A l'approche d'une période électorale majeure dans l'optique de l'élection présidentielle de 2017, nous réfléchissons également à l'opportunité d'une parution de Libération le dimanche, et ainsi profiter de l'actu politique chargée du samedi... Et pourquoi, pas poursuivre après l'élection si cela fonctionne. Mais il faudra embaucher des gens. Nous souhaitons aussi renforcer le journal du lundi en en faisant un journal très politique, et celui du jeudi qui serait consacré de façon plus large aux débats d'idées. Enfin, nous souhaitons transformer notre supplément Next qui s'est arrêté le 5 mars dernier. Le coût de fabrication par rapport au marché publicitaire était assez lourd. On se demande s'il ne faut pas reprendre le projet Next pour en faire un hebdo plus généraliste. Nous étudions la question. En octobre prochain, on y verra plus clair. On le relancera sans doute à la fin de cette année ou au début de la prochaine. Coté web, nous mettons en place un paywall qui devrait être opérationnel en avril prochain. A plus long terme, nous réfléchissons à la mise en ligne de nouvelles transversales sur notre site avec des thématiques telles que le Food et les Femmes. Vous voyez, les Survivants ne se portent pas si mal...

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