Le Monde pousse sa data éditoriale

« Les données du Monde » sont en ligne depuis quelques jours à peine. Mélange de data et d’éditorial dédiés aux communes de France, elles ambitionnent de faire basculer Le Monde dans un data journalisme ambitieux et assumé. Robots-journalistes compris. Luc Bronner, directeur de la rédaction du Monde, s’explique. Interview.

CB News : Vous avez discrètement mis en ligne il y a quelques jours « Les données du Monde ». Qu’est-ce que c’est ?

Luc Bronner : C’est un sujet sur lequel nous travaillons depuis un an. Nous avons effectivement mis en ligne 36 000 pages dédiées aux communes de France. L’idée est que dans chacune de ces pages, nous pouvons avoir une information de qualité type Le Monde, avec des informations et des données qui sont vérifiées et validées, qui vont permettre de devenir des lieux d’informations locales.

CB News : concrètement ?

Luc Bronner : Chacune de ces pages comporte un moteur de recherche, des informations sur la population, la démographie, sur les revenus, sur le prix de l’immobilier, le taux de chômage dans les zones d’emplois, le maire de la commune, les membres du conseil municipal, le nombre de naissance, de décès, les résultats électoraux de la commune depuis 2002… À cela, nous rajoutons un fil d’actualité du Monde lié à la région de la localité recherchée. Avec tout ça, notre idée, est de considérer qu’à travers un travail data, nous offrons un service supplémentaire à nos lecteurs. Nous allons pousser ces pages fortement au moment des prochaines échéances régionales en décembre prochain puisque c’est un moment où les audiences du Monde sont très importantes.

CB News : C’est l’élément déclencheur ?

Luc Bronner : Cela correspond aussi à un changement de philosophie important pour nous. Jusqu’alors, au moment de chaque élection, Le Monde recréait 36 000 pages différentes sur les municipales, la présidentielle, etc. Au lieu de faire des pages élections, nous faisons des pages sur les communes avec l’ambition de les faire vivre dans la durée, en les réactualisant notamment au gré des chiffres INSEE dont on disposera et des résultats électoraux. Nous avons également un partenariat avec MeilleursAgents, un spécialiste des prix et des estimations immobiliers.

CB News : De la data éditoriale en quelque sorte ?

Luc Bronner : Oui. La data est une forme de journalisme qui va trouver sa place au même titre que le grand reportage, les longs entretiens, les dossiers… La data comme outil numérique est une entrée intéressante, efficace et très pertinente du point de vue éditorial. Nous avons une expérience qui est très réussie avec les Décodeurs, par exemple, qui nous a permis de progresser significativement ces dernières années dans la data éditoriale, c’est-à-dire des contenus qui ont vocation à être partagé avec nos lecteurs. Outre la volonté de fournir des données de qualité, en faisant ces pages-là, la probabilité que les gens fassent des liens avec ces pages augmente, et donc notre espoir aussi dans la bataille du référencement de se positionner le mieux possible.

CB News : 36 000 communes, c’est colossal, comment cela se passe-t-il éditorialement ?

On va aller plus loin sur un terrain journalistiquement sensible. Pour une partie de ces données, nous travaillerons avec des algorithmes, des robots-journalistes comme disent certains, qui vont nous permettre d’écrire automatiquement les textes. Ces textes seront bien sûr revus par des journalistes. Les textes sont partis écrits à l’origine par des journalistes et on travaille ensuite sur les algorithmes. À cette échelle-là, cela n’a jamais été fait dans le monde, tout du moins à l’échelle d’une élection. Le texte obtenu n’obtiendra pas le Prix Pulitzer, certes, mais en termes d’ergonomie et de qualité d’information nous progressons par rapport à ce type de données. Ce sont ainsi 36 000 textes qui ont été générés en quasi-instantané à partir des derniers résultats des élections départementales en mars avec un taux d’erreur nul. Nous avons travaillé avec une start-up pour avoir une variabilité minimum du texte. Nous procéderons de la même façon pour les prochaines élections régionales de décembre. Je précise que nous serons très transparents. Quand un texte n’est pas écrit par un journaliste mais par un robot, le lecteur en est informé. En revanche, la présentation des enjeux des élections régionales à l’échelle de la région est rédigée par des journalistes maison. En tout cas, tous ces éléments pourront être facilement partagés via Twitter ou Facebook.

CB News : Et quelle sera la prochaine étape ?

Luc Bronner : La stratégie est de construire briques par briques. Nous travaillons sur des innovations à deux ans. On pense tout cela dans l’optique de la Présidentielle de 2017. Nous considérons que la data sera une des portes d’entrée fondamentale de l’analyse de la future élection présidentielle. Nous avons construit des outils pour être potentiellement leader.

CB News : Et à plus longue échéance ?

Luc Bronner : Demain, j’aimerais que l’on puisse comparer graphiquement ce type de données à une échelle plus importante, et même à l’échelle de la France entière. On pourrait même aller plus loin, à termes, en comparant avec des infographies dynamiques. Sur les 36 000 communes, il y en a sur lesquels nous pourrons avoir des données par quartiers. Mon rêve serait aussi de permettre à nos lecteurs de générer eux-mêmes leurs infographies avec nos données. On n’y est pas encore.

CB News : C’est ambitieux…

Luc Bronner : Dans notre stratégie data, il y a ce travail-là de mise en avant de données localisées vraiment ambitieuse, oui. Mais à côté de cela, il y a l’envie d’en avoir un traitement éditorial. On pourrait envisager des analyses électorales en les comparant avec les prix de l’immobilier, par exemple. Les Américains font cela, nous n’en sommes pas encore capables. Ce type de lecture permettra de proposer des analyses politiques plus ambitieuses. Avoir une grille d’analyse traditionnelle, on le fera, mais demain on pourra faire des analyses à partir des revenus, du taux de chômage, du prix de l’immobilier… Le data journalisme, c’est un univers qui s’ouvre devant nous, Le Monde se doit d’y être. C’est une partie de notre avenir.

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