Marc Feuillée : les leçons de la fusion Figaro-CCM Benchmark

Avec le rachat de CCM Benchmark fin 2015, le groupe Figaro affichait résolument ses ambitions dans le digital. Un an plus tard, le nouvel ensemble savoure sa fusion sans perdre de vue que la bataille dans le secteur est féroce. Son directeur général, Marc Feuillée, détaille cette nouvelle vie commune, le travail effectué, les résultats et aussi ses projets pour le groupe. Il prend aussi position face aux GAFA et aux sujets de crispations actuelles dans les médias. Interview.

CB News : il y a un an, le groupe Figaro faisait l'acquisition de CCM Benchmark. Quel bilan en tirez-vous ?

Marc Feuillée : Il y a toujours beaucoup de défis dans ce type d'acquisition. La question est toujours, au final, de savoir ce qu'elles sont devenues. Je voudrais rappeler que nous avions plusieurs objectifs avec ce rachat. Le premier était de peser plus sur le marché digital et de devenir le premier groupe média français digital en audience. De ce point de vue-là, la dynamique d'audience du groupe est restée positive indépendamment de sa reprise. Le second objectif était de pouvoir investir plus, ensemble, sur la technologie pour faire face aux nouveaux défis que sont la data, la migration vers le mobile, la vidéo et, surtout, le challenge incroyable qui est pour les médias, de faire face à deux acteurs de plus en plus dominants sur le marché publicitaire : Google et Facebook. De ce point vue également, l'idée de nous rapprocher et de se dire que l'on serait plus fort ensemble, s'est vérifiée. Heureusement que nous avons fait ce mouvement. Nous avions également un troisième objectif : culturel. Je dirais que cet aspect est sans doute le plus important et plus difficile que tout le reste.

CB News : Pourquoi ?

Marc Feuillée : Ce rachat était un véritable projet d'entreprise et de transformation. Le groupe Figaro s'est toujours construit ainsi. Nous essayons toujours de consolider les fondations et lorsqu'elles le sont, nous nous sentons plus légitimes pour croïtre. C'est fort de tout ce qui a été fait par le passé (Sport 24, la Chaine Météo, Figaro Classifieds, etc.), que nous avions intégré, que l'on a pu se sentir crédible et fort pour la reprise de CCM Benchmark. Cette opération s'est bien passée, d'abord grâce à cet acquis. Nous parlions le même langage, nous avions les mêmes problématiques, nous partagions aussi la même vision du marché... Bref, nous étions en phase. Et cet aspect culturel est essentiel. Il y a donc eu entre nous un très gros brassage des savoir-faire. Par exemple, l'institut de formation de CCM Benchmark a formé et forme encore tous les collaborateurs du groupe. Pour que la culture digitale s'imprègne fortement dans l'entreprise avec des méthodes de travail nouvelles, de la conduite de projets, de l'agilité technologique. Il fallait ce brassage.

CB News : Et les résultats sont là ?

Marc Feuillée : Oui. Les audiences sont pour nous un gros point de satisfaction. Nous savions que CCM Benchmark avait une très grosse dynamique de croissance. Nous étions de notre côté confiants sur la dynamique du Figaro face à des compétiteurs de la presse et de la télévision. Selon des chiffres Médiamétrie, en octobre 2016, nous sommes, sur le web fixe, à 23,2 millions de VU pour le groupe Figaro CCM Benchmark. Le Figaro est numéro un avec près de 9,7 millions de visiteurs uniques sur le fixe. Sur tablette, le groupe Figaro CCM Benchmark atteint 8,3 millions visiteurs uniques pour août 2016. Le pari que nous avions de nous installer en 2016 comme le premier groupe media digital français est non seulement préservé mais surtout consolidé sur tous les écrans. Dans le détail, toujours selon Médiamétrie, le Journal des femmes est à 10,3 millions (internet global, juillet 2016). Sur le segment féminin, nous nous sommes hissés en tête, durablement, devant Doctissimo et AuFeminin. De même, le site Droit-finances est à 6,6 millions de VU (internet global, août)  tandis que le Journal du net, en juillet, enregistrait 3,3 millions de VU (Internet global, août) et que Comment ça marche affiche 11,7 millions de VU (internet global, août).

CB News : A quoi attribuez-vous ces bons chiffres ?

Marc Feuillée : Nous avons un gros savoir-faire sur l'audience. Mais nous avons également revu les sites (Linternaute en juin 2016, Journal du net en juillet et Journal des femmes en octobre, ndlr). Nous les avons "premiumisés". C'est un véritable apport du groupe Figaro. Il y avait une culture chez CCM Benchmark fondée sur l'efficacité, mais une certaine forme de discrétion sur les brands, sur l'élégance, mais avec un contenu de qualité. Nos nouvelles maquettes ont conduit à des sites plus élégants, plus homogènes. Et la publicité à été mieux intégrée. Nous avons également supprimé un certain nombre de formats publicitaires que nous jugions intrusifs. Ce qui nous fait perdre environ 1,5 million d'euros de revenus.

CB News : Le facteur technologique n'a pas non plus été oublié...

Marc Feuillée : En effet, nous avons homogénéisé tous les outils technologiquesdu groupe. Que ce soit sur l'adserving avec AppNexus pour le fixe et le mobile, avec DFP (Google) pour la vidéo. Nous avons en outre une DMP commune (Krux), des outils de mesures analytiques communs (Google Analytics), une cellule data unifiée qui devrait regrouper une vingtaine de personnes en 2017.

CB News : quels seront les résultats de CCM Benchmark en 2016 ?

Marc Feuillée : La société affichera pour 2016 +5% de chiffre d'affaires (37 millions d'euros) et une rentabilité à 25%. Le résultat a quant à lui progressé de +10%. CCM Benchmark a été performante en 2016 sur la data marketing et les opérations spéciales. La situation a été plus difficile sur le display premium. Nous serons, je pense, en ligne aussi avec les objectifs pour le groupe, au global, qui s'est fixé un résultat d'exploitation de 30 millions d'euros en 2016. 35% du CA du groupe vient des activités digitales et représentent 60% des profits des résultats du groupe. Aujourd'hui, le titre phare, Figaro, ne représente "que" 20% du chiffre d'affaires du groupe. Tout le reste de l'activité vient soit de la diversification de la marque Figaro, soit de la digitalisation de ses activités, soit de la diversification de ses activités avec d'autres marques.

CB News : vous avez également fusionné rapidement les régies publicitaires de CCM et Figaro...

Marc Feuillée : Cela a été un très gros chantier pour nous. Il a fallu organiser la fusion des équipes, adapter les mêmes outils. Nous avons pour le 1er semestre 2017 un très gros projet baptisé "Hermès" de rénovation de tous nos back-offices de régie. Il implique notamment l'adoption de l'outil de Salesforce déjà déployé. Nous allons aussi prendre une initiative pour rassembler toutes les forces du groupe en créant une enseigne sur les activités de publicité à la performance, à côté de notre trading-desk Exchange.

CB News : Où en êtes-vous dans le processus de rachat du groupe Les Maisons du Voyage ?

Marc Feuillée : Nous venons d'en boucler le rachat. Sur cette activité voyage sur-mesure haut de gamme, nous avons vraiment voulu accélérer. Le groupe Figaro organisait déjà des croisières, des voyages de groupes thématiques et culturels... Il fallait poursuivre ce développement. Sur ce segment, nous pouvons implémenter tout notre savoir-faire en data, en audience et en promotion. Le groupe fait environ 40 millions d'euros de chiffre d'affaires grâce à cette acquisition. Avec Les Maisons du Voyage, notre segment voyage pourrait peser en 2017 50 millions d'euros de chiffre d'affaires.

CB News : certains éditeurs appellent aujourd'hui à leur rassemblement au sein d'une même place de marché pour être encore plus forts ? En êtes-vous ?

Marc Feuillée : Il faut étudier cette option. Cependant, il y a deux sujets. En premier lieu, la capacité de croiser et de qualifier les audiences pour obtenir une meilleure efficacité de la publicité digitale. Là, nous avons intérêt à nous associer et à proposer des offres premiums. Fusionner La Place Media (Le groupe Figaro est l'un des éditeurs cofondateurs, ndlr) avec Audience Square, pourquoi pas. Mais il faut que la gouvernance soit simple et efficace. Cela demande a être démontré. Le marché média est extrêmement dispersé, il y a énormément de régies. Quelques 500 régies côtoient 5 grandes agences média et des milliers de clients. En second lieu, il y a ceux qui parlent de partager des bases CRM, de la data science, des bases des données... Et là, quant on commence à mélanger ses bases clients, on mélange ses actifs, des propriétés... C'est aller très loin dans l'intégration. Il y a un vrai problème de confidentialité des données. Il faut dans ce cas des partenariats durables, solides et impliquants car on va alors vers des partages de moyens, des exploitations communes... C'est un vrai débat. Les coûts technologiques sont de plus en plus importants. Qui pourra, ou non, relever ces défis parmi les éditeurs ? C'est aussi une vraie question.

CB News : Depuis plusieurs semaines, on note chez certains acteurs du marché des points de crispations autour de le mesure des audiences, de la signature du décret étendant la loi Sapin au digital... Quel est votre sentiment ?

CB News : On voit bien qu'il y a un problème. Peut-on à la fois se mesurer, maitriser la technologie et être acteur de publicité ? Chez Figaro-CCM Benchmark, nous ne nous mesurons pas, nous sommes mesurés. Je dirais même que l'on est "sur-audité" sur la visibilité de nos audiences et la qualité de notre environnement éditorial. Les annonceurs sont très exigeants et ils ont raison. Mais il faut alors des équilibres. Entre tous les acteurs du marché, qu'ils soient Français ou internationaux. La loi Sapin, à qui s'applique-t-elle ? Aux médias français. Mais est-ce vraiment le problème ? Le problème c'est l'équité pour tous les acteurs du marché publicitaire, qu'elle que soit leur origine ou leur nationalité. Avec le même degré d'exigence sur les KPI's et la fiabilité des données d'audience. Il faut que l'on s'interroge sur les raisons des écarts très surprenants qui peuvent exister chez certains acteurs. Est-ce que tous les critères de transparence, de vérifications, d'audience, d'audit et de visibilité sont les mêmes pour tout le monde, les médias, Google ou Facebook ? Y répondre, cela participera à la décrispation actuelle du marché. Je conseille d'ailleurs aux acteurs français de participer à ces débats. L'UDA ou l'UDECAM doivent aussi s'exprimer sur tous les débats liés à l'audience et la manière dont un traitement équitable peut être fait entre les différents acteurs. Nous ne pouvons pas avoir sur le marché des acteurs comme Google et Facebook qui absorbent chaque année 110% de la croissance du marché publicitaire digital. Cela pose à tout l'écosystème de vrais problèmes de pérennité. Je ne crois pas que cela soit bon pour l'avenir des médias mais aussi des agences et des annonceurs.

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