Cocktails ambassadeurs : Le nouveau marketing du sens
Quand Dentsu X imagine demain, neuvième épisode…
Cet exercice de design fiction, réalisé par Dentsu X, a pour ambition d’analyser comment les signaux faibles de notre société pourraient la faire évoluer s’ils devenaient la norme dans vingt ou trente ans. Cet exercice n’a pas vocation à prédire l’avenir, mais plutôt de comprendre comment les marques pourraient s’adapter, voire jouer un rôle dans ces éventuelles transformations.
En 2060, l’accumulation des crises climatiques et la saturation sensorielle ont bouleversé nos modes de vie : la possession matérielle a cédé la place à la quête d’expériences intenses et porteuses de sens. Les voyages ne sont plus de simples déplacements, mais des rituels émotionnels, et chaque geste du quotidien doit laisser une impression durable. Dans ce nouveau monde, même nos plaisirs les plus simples, comme la dégustation d’un cocktail, prennent une dimension inédite. Ils deviennent des expériences à part entière, capables de relier l’intime et le collectif, le goût et l’histoire. Et si, demain, les spiritueux n’étaient plus des produits, mais des ambassadeurs vivants des territoires, capables de transformer la mémoire individuelle et l’économie locale ?
2060 : Quand l’expérience prend le pas sur la possession
En 2060, l’expérience prime désormais sur la possession. Que ce soit à travers le tourisme, l’alimentation ou la culture, les pratiques ont profondément évolué vers moins de quantité, davantage de qualité et une quête constante de sens. Voyager ne signifie plus collectionner des destinations, et boire ne se limite plus à une simple recherche de distraction : chaque geste doit générer une émotion profonde, laisser une empreinte durable.
Les crises climatiques répétées, les quotas carbone stricts (chaque citoyen dispose d’un “passeport carbone” annuel), et la saturation culturelle ont profondément transformé les comportements. Les déplacements longue distance se font désormais en train à hydrogène ou en véhicules autonomes électriques, et chaque voyage doit être justifié par une expérience transformatrice, dont la valeur émotionnelle est parfois accompagnée ou validée par des outils d’analyse sensorielle.
Dans ce monde saturé de stimuli, l’attention humaine est devenue précieuse. Les marques, territoires et villes rivalisent d’ingéniosité pour émerger dans le brouhaha numérique. Il ne s’agit plus seulement de visiter, mais de vivre des moments rares, personnalisés et profondément ancrés dans les territoires, où chaque expérience touristique devient un souvenir sensoriel unique, partagé et recherché. Les campagnes publicitaires classiques ont disparu, remplacées par des expériences immersives et multisensorielles, capables de susciter une émotion authentique et mesurable.
La mixologie : quand le goût devient territoire
Le secteur des spiritueux a été précurseur dans cette mutation. Depuis la loi “Low&Less 2047”, chaque boisson commercialisée doit prouver son impact sociétal positif : 80% des ingrédients doivent provenir de circuits ultra-courts (moins de 50 km), la traçabilité carbone est obligatoire et chaque bouteille doit générer un emploi local certifié. Les spiritueux génériques ont disparu, remplacés par des créations locales, narratives, enracinées dans leur terroir.
Face à ces nouvelles exigences, les grands groupes d’alcooliers ont créé des cabinets de conseil en expérience territoriale. Leur mission : transformer chaque boisson en ambassadeur d’un territoire, en condensé d’Histoire et d’émotions. Ainsi sont nés les Cocktails Ambassadeurs, véritables œuvres d’art liquides, conçues en collaboration avec des chefs, des artistes, des ethnologues et des ingénieurs sensoriels. Chaque recette est unique, élaborée à partir d’ingrédients rares et ultra locaux (comme le miel d’arbousier des Cévennes, le sel de lave de Camargue ou la fleur de gentiane sauvage des Pyrénées) et servie dans des verres imprimés en 3D à partir de sédiment local.
Ces cocktails ne se consomment pas simplement : ils se vivent. À chaque gorgée, des capteurs biométriques intégrés au verre mesurent la dilatation des pupilles, la micro-sudation et la fréquence cardiaque, afin de quantifier l’intensité émotionnelle ressentie.
Élise, Curatrice Sensorielle
Dans ce nouveau paysage, Élise, 35 ans, ancienne graphiste reconvertie en « curatrice sensorielle indépendante », conçoit des parcours de cocktails pour une clientèle exigeante. Elle collabore avec des artisans locaux, des neuroscientifiques et des designers olfactifs pour créer des expériences sur-mesure.
Ses créations sont lancées sur TKTK+, le réseau social multisensoriel de référence. Ici, pas de scroll infini ni de commentaires toxiques. Chaque contenu est une immersion profonde, combinant textures visuelles en ultra-haute définition, sons spatialisés à 360°, et stimulations olfactives diffusées par des diffuseurs intégrés connectés aux smartphones. Ces influenceurs sensoriels publient peu mais chaque post est un événement, validé par des IA bio-affectives qui mesurent en temps réel les réactions physiologiques des testeurs (frissons, larmes, sourire involontaire). Un frisson authentique vaut désormais plus qu’un million de likes simulés.
Élise s’appuie aussi sur Atlas Liquide, l’application la plus téléchargée de ces 2 dernières années. Initialement conçue comme un index des Cocktails Ambassadeurs, elle est devenue un véritable GPS émotionnel. Chaque boisson y est associée à trois critères : territoire d’origine, lieux de dégustation limités (souvent des bars éphémères ou des lieux naturels secrets), et score émotionnel moyen, calculé à partir de données biométriques anonymes.
Certaines expériences, comme le Sel de Lave, ne se débloquent qu’après avoir validé deux autres cocktails préalables, créant ainsi des parcours initiatiques. D’autres ne sont accessibles qu’en saison, ou lors de phénomènes météorologiques rares (par exemple, une infusion florale uniquement disponible lors de la floraison annuelle d’une espèce endémique). Les cocktails jugés trop artificiels ou marketés sont rejetés par la communauté, qui veille à l’authenticité des expériences.
Les utilisateurs construisent ainsi leur propre “Bibliothèque du Goût”, indexant chaque expérience comme on collectionnait autrefois des estampes ou des parfums rares. Certains passionnés, appelés “marcheurs affectifs”, traversent des régions entières pour goûter une note de sel fumé ou une liqueur de bruyère sauvage. Des “cartographes émotionnels” publient des cartes sensorielles interactives, et des hackers du goût simulent des balades dans les Cévennes pour débloquer virtuellement un cocktail depuis Tokyo.
Au fil du temps, ces pratiques individuelles et communautaires ont fini par dessiner une véritable cartographie émotionnelle des territoires. Ce mouvement, parti de la quête personnelle de sens, a progressivement bouleversé l’économie locale et la dynamique des régions.
C’est ainsi qu’est née une nouvelle économie du goût et de la mémoire, où l’impact émotionnel d’un cocktail ne se limite plus à l’expérience intime, mais devient un moteur de transformation collective. Lorsqu’un cocktail atteint un score émotionnel supérieur à 92, il déclenche une série d’événements : ouverture d’un bar miroir dans une capitale étrangère, résidence artistique, production d’un documentaire immersif, voire renaissance d’un village autour de la filière agricole locale. Des coopératives agricoles rebaptisent leurs cuvées, et la politique locale utilise parfois ce score comme levier d’aménagement du territoire.
À l’échelle individuelle, ces dynamiques collectives enrichissent les parcours personnels. C’est précisément cette résonance entre intime et collectif qui guide Élise dans ses choix. Élise, cette année, a débloqué neuf destinations. Elle hésite entre une infusion saline née aux abords des salins de Camargue, uniquement accessible lors de la grande marée d’équinoxe, et un cocktail rare lié à l’éclosion annuelle d’une fleur pyrénéenne, dont la cueillette est ritualisée par la communauté locale.
Pour Élise, ce n’est pas le cocktail qui compte, mais la vibration qu’il déclenche, le souvenir qu’il grave. Ces expériences relocalisent le désir, attirant les visiteurs pour une émotion gustative là où les brochures touristiques échouaient. Le marketing territorial est devenu sensoriel : l’image a laissé place à l’émotion, le slogan au rituel. Dans cette nouvelle économie du goût et de la mémoire, les marques capables de créer des expériences incarnées et authentiques deviennent les nouveaux opérateurs culturels.
Ce n’est plus une question de visibilité, mais de résonance. Dans un monde saturé d’images, c’est le goût juste, au bon endroit, au bon moment, qui ouvre les portes de la mémoire et du désir.