March Madness : le plus grand événement sportif dont vous n'avez jamais entendu parler
Exclu : l'analyse de Vincent Létang de Magna (IPG Mediabrands) sur l'un des plus grands événements sportifs aux Etats-Unis.
Si vous demandez à un Français quel événement sportif américain il connaît, 100% des gens répondront « Le Super Bowl ». Huge, flashy, glamour et over-the-top. Peut-être mentionneront-ils aussi les play-offs de la NBA. Aux États-Unis, 40% des Américains déclarent en effet que leur sport préféré est le football américain (NFL), loin devant le baseball et le basketball, qui réunissent chacun 10% des suffrages.
Mais il existe un autre événement, totalement inconnu des Européens, qui est peut-être tout aussi important—voire davantage pour les Américains. Un événement qui n'a pas d'équivalent en France ni ailleurs en Europe : March Madness, qui concerne les équipes universitaires aussi bien masculines que féminines. Pendant deux semaines et demie, à cheval sur mars et avril, les meilleures équipes universitaires de la NCAA (National Collegiate Athletic Association), 64 équipes de filles et 64 équipes de garçons, terminent leurs saisons par un tournoi à élimination directe, dans un format semblable à celui du championnat de rugby en France. Les matchs sont diffusés sur les networks nationaux (CBS, TNT, TBS) et sur deux plateformes de streaming (Max et Paramount+). Les finales 2024 avait attiré 11 millions de spectateurs pour le match des garçons et 19 millions pour le match des filles (nous y reviendrons). C’est peu bien sûr en comparaison des 127 millions de spectateurs du Super Bowl, mais tandis que l’expérience Super Bowl est très « casual » (bière, Doritos et halftime show), le visionnage de « March Madness » déchaîne les passions, d’où le nom.
Même les Américains qui n'aiment pas particulièrement le basket et qui ne suivent pas la NBA s’enthousiasment pendant March Madness. 29% des Américains regardent le tournoi masculin et 20% regardent le tournoi féminin. Chacun soutient son "alma mater" (son université) ou sa ville, et, si leur université ne s'est pas qualifiée, ils adoptent une autre équipe. Les neutres adorent l’aspect social : on regarde les matchs au bureau ou dans un bar avec des collègues et des amis. Les matchs sont beaucoup plus excitants qu'un match de saison régulière de NBA (84 matchs, c'est trop !) ou même un match de play-offs : seules les séries de play-offs NBA qui se terminent par un 4-3 procurent le niveau d'excitation de March Madness chez les fans. Un sondage a révélé que 40% des Américains avaient déjà prétendu être malades pour regarder des matchs de l’après-midi avec leurs amis. Pendant March Madness, le travailleur américain moyen passe 2,4 heures par jour à suivre les pronostics, vérifier les scores ou regarder les matchs en streaming. La perte de productivité est estimée entre 17 et 20 milliards de dollars pour l'économie américaine !
Les paris font aussi partie de la folie March Madness. 25 % des Américains parient sur March Madness - qu'ils suivent ou non le basketball, qu'ils soient habitués ou non aux paris sportifs. L’American Gaming Association estime que 68 millions d'Américains avaient parié sur March Madness en 2024, pour un total de 2,7 milliards de dollars, et ce chiffre devrait augmenter de 15% cette année pour atteindre 3,1 milliards de dollars. C'est plus du double des 1,4 milliard de dollars misés sur le Super Bowl 2025. La majeure partie de cet argent est misée lors des premiers tours, où les surprises et les "Cinderella stories" (on dirait « Petit Poucet » en français) sont fréquentes - quand un outsider bat une équipe bien meilleure et beaucoup plus riche.
Mais qu'est-ce que le basket universitaire exactement ? Pour un Européen comme moi, il est facile d'aimer la NBA (un spectacle fantastique, des personnages incroyables), mais bien plus difficile de comprendre l'importance du basketball universitaire et, plus généralement, des sports universitaires aux États-Unis. Pourquoi s’intéresser à des équipes d’étudiants ? Le sport universitaire n'est pas seulement un passage obligé vers le sport professionnel, mais aussi une ligue très populaire, très bien financée, avec une exposition médiatique immense. Les meilleurs athlètes reçoivent des bourses dans des universités prestigieuses, s'entraînent comme des pros pendant trois ans sous la houlette d'entraîneurs stars, tout en poursuivant leurs études. Au final, environ 1% des joueurs de Division I de la NCAA (50 sur 4 500) atteindront la NBA, et environ 20% deviendront professionnels, que ce soit dans des ligues mineures ou à l'étranger. Pour les autres, ils obtiennent un diplôme à moindre coût - un avantage non négligeable quand on sait que les universités américaines coûtent entre 50 000 et 75 000 dollars par an. Toutefois, la NCAA génère tellement d'argent grâce aux sponsors et aux donateurs qu'il y a eu des appels à permettre aux athlètes universitaires, bien que techniquement amateurs et déjà fortement aidés financièrement, de monnayer leur popularité. En 2021, la NCAA a modifié ses règles sur le NIL (Name, Image, Likeness), permettant aux joueurs de gagner de l'argent grâce à des partenariats, du placement de produits sur les réseaux sociaux, du merchandising, etc.
Retour à March Madness 2025 : après les trois premiers tours, le tournoi masculin de 2025 bat déjà des records d’audience : une moyenne de 9,4 millions de téléspectateurs par match, la plus élevée depuis 1993, avec une augmentation de 4% par rapport à l’année précédente. Le match le plus regardé, Kentucky contre Illinois, a attiré 15 millions de spectateurs. La finale des garçons lundi soir a rassemblé 18,1 millions de spectateurs, avec un pic de 21,1 millions, le meilleur score depuis 2019.
Du côté féminin, tout le monde s’attendait à une baisse par rapport aux chiffres stratosphériques de 2024, lorsque le buzz autour de la rivalité entre Angel Reese et la jeune Caitlin Clark (la plus grande athlète féminine dont vous n’avez jamais entendu parler, déjà considérée par beaucoup comme la meilleure joueuse de basket de l’histoire !) avait rassemblé une moyenne de 5 millions de téléspectateurs par match et le chiffre astronomique de 19 millions pour la finale, contre 11 millions pour les garçons (pas de superstars du niveau Clark chez les garçons). En finale dimanche, les UConn Huskies ont battu les South Carolina Gamecocks 82-59, attirant 8,6 millions de spectateurs, avec une pointe à 9,9 millions, moitié moins que 2024 – l’année Clark.
L’engouement généré par l’émergence de ce talent "générationnel" (once in a generation) en Caitlin Clark aura donc suffi à faire du basket universitaire le seul sport collectif américain où l’audience d’une compétition féminine a rejoint et dépassé celle de son équivalent masculin. Pour vous donner une idée du phénomène, une campagne publicitaire Nike avec Clark et JuJu Watkins tourne depuis des semaines sur des panneaux numériques géants juste devant le Madison Square Garden (le temple historique des New York Knicks dans le centre de Manhattan, à quelques pas de mon bureau).
Après la finale de 2024, Clark a rejoint la WNBA (qui elle aussi a bénéficié de l’aura de la jeune star sur les réseaux sociaux) et, sans nouvelle superstar cette année, les audiences du tournoi féminin ont chuté de 25 % pour l’instant. Cependant, elles sont restées 30% plus élevées que l’année précédente (2023), ce qui montre que de nombreux spectateurs attirés par le phénomène Clark l’an dernier ont développé un intérêt pour le sport et continuent de suivre l’édition 2025. La montée spectaculaire du sport féminin dans les médias fera l’objet prochainement d’une autre chronique.
Vincent Létang
Directeur worldwide des études et de la prévision pour l’agence MAGNA (IPG Mediabrands) et résidant à New York depuis 13 ans, Vincent Létang nous apporte le témoignage d’un Français sur les médias et la publicité aux Etats-Unis.