« L’attention est intégrée by design à nos méthodes », Kevin Gras (Carat)

KEVIN GRAS et JULIE HUMEAU

Six questions sur l'attention publicitaire à Julie Humeau (Dentsu) et Kevin Gras (Carat).

Après Jean-Damien Agurto (IPG Mediabrands) et Faïza Rabah (OMG), ce sont Kevin Gras et Julie Humeau, respectivement directeur général de Carat France (Dentsu) et Head of Business Intelligence & Insights de Dentsu France, qui répondent à nos questions sur l'attention publicitaire.

CB News : Comment définissez-vous l’attention publicitaire ? Quelle est votre approche du sujet ?

Kevin Gras : La définition qu’on peut trouver dans le livre blanc du CESP et de l’IREP nous va assez bien : « Dans un environnement donné, l’attention est le fait pour un individu de fixer son esprit sur un ou plusieurs des éléments d’un message publicitaire. » Donc c’est assez simple, l’attention, c’est être concentré sur ce que l’on voit / entend / regarde et pas sur ce qui se passe autour. Notre écosystème est très loquace sur le sujet. Cela fait bien 3 ans qu’on en parle en France, peut-être un peu plus longtemps en Amérique de nord. Et chez Carat, cela fait 10 ans que l’attention est intégrée by design à nos méthodes. Nous avons un mega panel propriétaire qu’on interroge sur l’attention (15 000 individus en France). Cela nous permet de mieux comprendre les audiences et donc de proposer de meilleures approches média et de meilleures allocations budgétaires par média. L’attention est un sujet que nous traitons de façon holistique car n’est pas qu’un sujet digital. C’est un sujet qui doit être travaillé en mode « parcours conso », sur la suite des touchpoints qui composent un parcours consommateur. Nous travaillons l’attention en développant des référentiels spécifiques par client (one size does not fit all). Le travail pour maximiser l’attention sur un soft drink ou un produit d’épargne n’est pas le même.

CB News : Avez-vous un/des indicateur(s) de préférence pour rendre compte de cette attention ? 

Julie Humeau : Aujourd'hui dans nos outils et dans le pilotage ce que qui va compter pour nous c’est la couverture attentive et de plus en plus le nombre de contacts que l’on va générer, donc la répétition attentive. Pour atterrir sur cette couverture attentive, nous partons des metrics de chacun des leviers de communication envisagés en amont ou utilisés post-campagne. L'intérêt pour nous, c'est de respecter l'intégrité de ces leviers en prenant une mesure - et des indicateurs - de référence tout en l’incluant dans une vision plus large et plurimedia de l'attention. Du temps passé au % d'impressions chaque indicateur est intégrable dans nos outils. C'est d'autant plus important que c'est aujourd'hui un des piliers de notre réflexion sur chacune des étapes du process-planning.

CB News : Quelles solutions mettre en œuvre collectivement pour améliorer l’attention publicitaire ?

Julie Humeau : Le collectif c'est déjà de prendre en compte ce que dit le marché. Notre dernière étude sur les CMO montre que 88% d'entre eux s'accordent sur l'importance de l'attention. D'un point de vue marché ou instance, à notre sens il y a 2 étapes :  l'étape 1 est d’avoir un standard minimum comme la visibilité en son temps. L’étape 2 sera d’intégrer ces données pour les rendre opérables en média-planning. Chez Carat, nous avons toujours été pionniers dans les métiers de la communication, donc fédérer le marché autour de l'attention c'est bien entendu une ambition forte et la raison pour laquelle nous participons non seulement à développer le sujet en interne mais aussi auprès des instances compétentes dans le monde et en France. Parce que nous croyons très fort aussi que c'est un sujet qui doit intégrer les spécificités culturelles des pays pour être bien utilisé.

Kevin Gras : Le collectif pour nous, c’est aussi avec nos clients car si le client n’est pas convaincu, ça bloque. La bonne nouvelle est que presque tous les clients sont assez rapidement convaincus. Le vrai sujet client est le passage à la mise en place du premier protocole des tests de mesure de son attention publicitaire. La décision « d’y aller » dépend beaucoup de la nature du message que la marque souhaite faire passer. Dans le cas d’un produit ou d’un service qui demandera davantage de pédagogie (un produit d’assurance par exemple), on travaillera sur des protocoles d’attention plus aboutis. Concrètement, nous faisons du prototypage de plusieurs mix média, avec des leviers et des formats différents aussi. L’idée est de chercher à optimiser avec chaque partenaire média et de mesurer notre impact sur les KPIs de l’attention.

 CB News : Le sujet de l’attention est-il lié à la question des formats publicitaire intrusifs ?

Kevin Gras : Oui, le lien est évident car le format intrusif crée souvent une attention négative. Cette attention négative peut influencer les métriques sur l’image de la marque, la considération et même le business. Selon nous chez Carat, il convient davantage de parler d’intrusion publicitaire que de formats publicitaires intrusifs. En effet, l’’intrusion publicitaire n’est pas qu’un sujet de format. Plusieurs facteurs peuvent créer cette intrusion publicitaire : la création bien sûr, le format, l’emplacement, la fréquence de l’exposition, l’absence de ciblage ou l’incapacité à cibler le bon individu… Et puis, au-delà de l’impact négatif sur l’attention, l’intrusion publicitaire peut aussi fortement impacter les budgets média de nos clients. Dans le contexte économique actuel, notre responsabilité est - plus que jamais - de permettre à nos clients de réaliser les meilleurs choix d’investissement en média.

De plus, l’intrusion publicitaire crée aussi un impact négatif direct et réel sur la planète car plus on communique de façon excessive, plus on consomme en CO2. Finalement, quand nous recommandons à nos clients de mesurer et de piloter l’attention, nous créons un cercle vertueux : d’un côté nous préservons leur pouvoir d’achat en média en réduisant les impressions inutilement diffusées ; de l’autre nous réduisons le gaspillage publicitaire et faisons du bien à la planète. C'est à la fois le pouvoir et le savoir « d'achat ».

CB News : Pour un annonceur, la personnalisation est-elle la solution pour capter l’attention ?

Julie Humeau : Remettre le consommateur au cœur de la communication, c’est l’essence même de ce que défend Carat. Et l'attention, comme le travaille aussi JCDecaux, c'est le « CARE » de nos amis outre-manche. Prend soin de ses audiences, s'intéresser à eux et à ce qui les intéresse c'est le fondement des métiers de la communication. C'est vrai aujourd'hui et dans le futur. Notre étude Consumer Vision 2035 dit que 77% des individus s'attendent à ce que les marques leur proposent des offres et des publicités qui soient à l'image de ce qu'ils vivent en temps réel et à leur contexte personnel. Chez Carat, nous travaillons le "Designing for people" : tout est dans le nom. Donc oui, la personnalisation est un levier fort pour capter l’attention, on est toujours plus attentif à ce dont on est proche. Mais attention à la sur-personnalisation qui pourrait induire un biais cognitif avec l'impression d’être tracké et donc générer un rejet.

CB News : Le sujet de l’attention est-il avant tout un sujet de création publicitaire ?

Kevin Gras : Au départ oui car on peut se dire que le message, l’émotion, l’originalité et la surprise sont bien sûr des éléments qui peuvent agir sur l’attention. Néanmoins, dans un monde où nous sommes surexposés aux stimuli publicitaires, où la fragmentation des médias et des usages s’accentue, où les écrans et les algorithmes se multiplient, nous pensons chez Carat que le sujet de l’attention est un des plus grands sujets à traiter pour une agence média. Quand on réfléchit un peu, on voit bien que le niveau d’attention dépend de plus en plus des canaux qui diffusent la création.

La force de Carat est de pouvoir prendre de la hauteur sur le sujet de l’attention en traitant le sujet sur chaque étape de l’élaboration d’une campagne de communication. Pensé en 4 étapes, notre operating model – Designing For People – intègre by design l’attention publicitaire. Celle-ci est intégrée dès la première étape qui consiste à comprendre les cibles. Dans la deuxième étape (orchestrer), nous prototypons des scénarios pour sélectionner les meilleurs touchpoints qui agiront le mieux sur l’attention. Dans la troisième étape (activer), nous avons une approche créative destinée à concevoir les meilleures activations (opérations spéciales, influence …) qui contribueront à l’atteinte de l’objectif. Enfin, dans la quatrième étape (mesurer), nous intégrons systématiquement le KPI de l’attention au sein du framework global de mesure. Last but not least : « Il est difficile d'attirer l'attention tendue du monde pendant plus d'une demi-heure de suite. Moi, j'ai réussi à le faire pendant vingt ans, et chaque jour ». Une citation de Salvatore Dali.

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