Georges Mohammed Chérif : "Le maître-mot du deal, c'est autonomie pure"

George Mohammed-Chérif

La rumeur bruissait depuis le printemps. Ce fut signé cet été. Havas a donc mis la main sur Buzzman avant l'automne. Rencontre avec George Mohammed-Chérif, Thomas Granger et Julien Levilain quelques jours avant l'annonce officielle.

Souriants et détendus avant l'annonce qui va, non pas véritablement surprendre le marché, mais rebattre sans aucun doute les cartes de la création française. Buzzman rejoint le groupe Havas. Georges Mohammed-Chérif, fondateur-président, Thomas Granger, vice-président et Julien Levilain, directeur général, nous ont accordé une interview dans un endroit chic de Paris. Loin de Puteaux et du Faubourg Poissonnière donc.

Pour quelles raisons avoir vendu ?

Georges Mohammed-Chérif : "Depuis que j'ai crée l'agence j'y pense. Treize ans donc. Un chiffre symbolique non ? Et puis j'ai cinquante ans... Quand on crée une entreprise avec un parti pris très fort, c'est forcément spéculatif. Plus sérieusement, il y a une histoire de taille et de moment. Pour la taille, nous sommes désormais outillés pour avoir le bon "rapport de force" avec un groupe. On peut discuter et négocier comme une agence pas trop jeune comme la nôtre. En clair, nous avons la maturité pour ne pas se laisser avaler sans broncher. Le maître-mot du deal, c'est autonomie et liberté. Notre autonomie pure est garantie dans le contrat. Ensuite, la réalité de la mécanique des rachats d'agences indépendantes, n'est souvent pas très glorieuse. Beaucoup ont pris des "bouillons". Un groupe ne peut pas racheter une agence pour des atouts qu'il n'a pas, pour ensuite la travestir à son image. C'est un non sens".

Que dit-il ce contrat ?

Georges Mohammed-Chérif : "Classique : 51%. 24,5% dans deux ans et 24,5% dans cinq ans. A part un report financier, rien ne doit changer chez Buzzman".

Thomas Granger : "Rien ne change d'ailleurs. Ni le nom, ni l'adresse, ni le top management. Aucun directeur général ou directeur financier du groupe Havas ne s'installe chez nous non plus".

Avez-vous été surpris par le prix qu’on vous en proposait ?

Georges Mohammed-Chérif : "Non. Il a été assez convaincant. Quand un groupe veut faire l'acquisition de ton agence, il regarde très logiquement les chiffres. Si nous sommes reconnus pour notre créativité, nous le sommes moins pour nos performances. Notre gestion est irréprochable. Cela fait six ans que notre croissance est hyper stable et que nous sommes profitables. Entre le glamour de l'agence et les bons résultats, la négociation financière a été plutôt rapide".

Julien Levilain : "Ce sont des professionnels. Quand ils observent les résultats [ndlr : 12,5 M€ en 2018] et la croissance de 15% attendue cette année, ils ont un tableau clair de ce que nous valons. Nous n'étions pas dans l'obligation de vendre et l'équilibre de la négociation était, du coup, limpide".

Qui a fait le premier pas ? Et quand ?

Georges Mohammed-Chérif :" C'est Matthieu de Lesseux [ndlr : ex CEO des activités créatives qui a quitté le groupe Havas en juin] qui s'est montré convaincant. Et ce depuis l'hiver 2018. Il a été le moteur. Lui même dans sa trajectoire avec son agence Duke [vendue à Razorfish en 2007] a vécu ce moment particulier dans l'histoire de l'agence qu'il avait fondée. Il savait ce qu'il ne fallait pas faire dans pareil cas. Quand on est courtisé, ce qui est notre cas et ce régulièrement depuis des années par à peu près tout le monde - agences et groupe de consulting - , sans jamais avoir fait ce premier pas, nous étions plutôt sereins et bien sûr flattés. Cela nous a également permis d'affiner nos attentes".

Pourquoi le groupe Havas plus qu'un autre groupe alors ?

Georges Mohammed-Chérif : " C'est une manière assez claire de truster la création française. Avec Betc, Rosapark et nous désormais, c'est, pour les annonceurs, un très bon signal. C'est dire que dans ce groupe-là on trouve " les meilleurs". Pour nous c'est aussi une manière de rassurer nos prospects et clients pour qui, parfois, le fait d'être indépendant, les inquiète un peu. Notamment pour les implémentations hors des frontières. De plus, le positionnement du groupe, qui mise très franchement sur la création, nous convient. Le fait également que ce soit un groupe français a fini par nous convaincre. Enfin, je tiens à préciser que nous ne partons pas à la conquête du monde. Nous restons en France".

Julien Levilain : "Nous allons également nous nourrir de leurs  expertises, notamment en termes de média, de data et continuer à apprendre. Le groupe est tentaculaire et nous allons en profiter".

ne plus être « numéro un » et l'incarnation quasi unique de l'agence va-t-il vous manquer  ?

Georges Mohammed-Chérif : "Je ne me reconnais pas dans ce que vous décrivez. Cela fait six semaines que je n'ai pas mis les pieds à l'agence et tout va bien pour elle ! Depuis six ans, ce travail de "désincarnation" est vraiment amorcé. Il y a aujourd'hui sept associés [ndlr : Thomas Granger (vice-président) - Julien Levilain (directeur général) - Olivier Amsallem  (secrétaire général) - Clément Scherrer (directeur du planning stratégique) - Tristan Daltroff et Louis Audard (directeurs de création) et Georges Mohammed-Chérif (fondateur et président)] qui vont continuer, durant ces cinq ans, à développer l'agence. Je n'incarne pas l'agence. Si les gens ont besoin de "cases" pour ranger, cela les regarde. Ce que nous faisons, ne porte pas ma "patte"  mais celle de l'agence. Je le redis, j'ai cinquante ans. Dans cinq ans ou dans dix ans, peut-être que je resterai. Même sans être associé...Il y a, au sein de l'agence, des talents qui sont beaucoup plus forts que moi ! Pour être encore plus clair : je reste et je continue à travailler. Ceux qui disent que je suis installé à Marseille depuis des années [ndlr : il est associé dans le restaurant Yma], ça m'amuse. Et puis, même si c'était le cas, cela veut dire que l'agence tourne très bien sans moi ! Enfin, le fantasme de l'argent coulant à flot depuis le rachat, qui va peut-être animer quelques conversations, me fait également sourire. J'avais largement les moyens d'arrêter de travailler. Ce n'est pas un braquage ! Mon rythme de vie ne va pas changer. Ni professionnel, puisque la création reste ma passion. Ni personnel, d'ailleurs".

Pour les salariés de Buzzman (140 personnes)  qu’est-ce qui va changer ?

Georges Mohammed-Chérif : "Ils intègrent un groupe mondial. A moyen terme, certains pourront évoluer au sein du groupe Havas. Cela ouvre des perspectives. Le top management est au courant et tout le monde l'a été , une heure avant l'annonce officielle. Notamment avec la venue de Yannick Bolloré à l'agence".

Pour vos clients ? Les appels d’offres : comment ça se passe ?

Georges Mohammed-Chérif : "Rien n'est imposé à nos clients. Ils ne sont pas obligés de travailler avec Havas Media par exemple. Mais nous pouvons bénéficier de leurs assets quand on va être sur un pitch. Par exemple, si nous avons besoin de leurs expertises en termes d'études ou de planning, nous allons être beaucoup plus armés pour gagner."

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