Le Parlement européen rejette la réforme du droit d'auteur

Le Parlement européen a rejeté jeudi la réforme du droit d'auteur, un texte ardemment défendu par les créateurs, les artistes ou les éditeurs de presse, mais auquel les géants du numérique ou les militants de la liberté sur internet étaient opposés. Sur 627 eurodéputés présents dans l'hémicycle européen à Strasbourg, 318 se sont prononcés contre le texte, 278 pour et 31 se sont abstenus. Avec ce rejet, le Parlement n'est pas autorisé à entamer des négociations sur cette réforme avec les États membres et la Commission. Le texte, qui divise les eurodéputés au sein même de leurs groupes politiques, sera à nouveau débattu lors de la session plénière de septembre par l'ensemble des parlementaires, qui pourront l'amender avant un nouveau vote. L'EDiMA, un groupe de pression qui rassemble les Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) et d'autres grands noms du secteur technologique, a salué dans un communiqué "une victoire pour la démocratie". "Les Gafa, qui volent les artistes, ne payent pas d'impôt, ont gagné une bataille. Quel angélisme de la part de ceux qui pensent défendre les consommateurs", a répondu sur Twitter la socialiste française Pervenche Berès. Un très fort lobbying entoure depuis des mois cette réforme, qui oppose des créateurs de contenus du monde entier - du cinéma, de la presse ou de la musique - favorables au texte, aux géants du numérique et aux activistes de la liberté sur internet, qui y sont opposés. "Il est incroyablement décevant de constater que le Parlement européen, après avoir fait l'objet de pressions féroces de la part d'opposants utilisant de faux arguments, n'a pas soutenu les droits" des créateurs, a réagi le musicien Jean-Michel Jarre, président de la Confédération internationale des sociétés d'auteurs et compositeurs (Cisac).

L'eurodéputé français Marc Joulaud (PPE, centre-droit) a dénoncé "une campagne de lobbying d’une violence sans précédent orchestrée par les Gafa". "On a manipulé les citoyens en jouant sur leurs peurs, on a assimilé les députés à des censeurs militaires, on les a insultés et menacés de mort", des "méthodes abjectes et profondément cyniques", a-t-il affirmé. L'objectif principal de cette réforme, proposée par la Commission européenne en septembre 2016, est de moderniser le droit d'auteur à l'ère de la révolution numérique, la dernière législation sur le sujet remontant à 2001. L'idée est d'obliger les plateformes, comme YouTube par exemple, à mieux rémunérer les créateurs de contenus (article 13). Le texte les rend aussi légalement responsables pour le contenu mis en ligne par les utilisateurs. En signe de protestation, Wikipedia, qui craignait que la réforme ne restreigne "la liberté en ligne", n'était d'ailleurs pas disponible dans au moins trois pays européens mercredi. La directive prévoit aussi la création d'un nouveau "droit voisin" pour les éditeurs de presse (article 11). Il permettrait aux journaux, magazines, mais aussi aux agences de presse comme l'AFP, de se faire rémunérer lors de la réutilisation en ligne de leur production. Les Gafa, mais aussi des eurodéputés écologistes et libéraux ou des juristes, affirment que ce projet favoriserait les groupes de presse les plus connus au détriment des médias indépendants et des start-up, au risque de restreindre la liberté d'expression. "Des mensonges !", a répondu le rapporteur du texte, l'Allemand Axel Voss (PPE), quelques secondes avant le vote. "Il n'y a aucune violation des droits des utilisateurs ici", a-t-il ajouté. Les organisations d'éditeurs de presse de l'UE sont également montées au créneau, en soulignant que sans juste rémunération, les médias jouant un rôle essentiel dans le pluralisme de l'information et la démocratie, ne peuvent survivre. "Le vote d'aujourd'hui n'est pas un vote contre le texte lui-même mais un vote pour l'ouverture de nouvelles discussions au sein du Parlement. Les majorités étaient en effet très faibles. Nous voulons obtenir un texte plus équilibré", s'est défendu l'écologiste Pascal Durand dans un communiqué.

Les réactions françaises s'accumulent...

De son côté, la ministre de la Culture Françoise Nyssen dit « prendre acte » de la décision du Parlement européen de ne pas ouvrir les négociations avec le Conseil sur la base du rapport de sa commission des affaires juridiques, et d’ouvrir un nouveau débat sur ce rapport pour un examen au mois de septembre, afin de déterminer sa position. Elle assure en outre les créateurs et les éditeurs de presse « de sa mobilisation entière et se réjouit de l’élan formidable et solidaire des créateurs dans ces derniers jours pour alerter sur l’importance du texte pour le futur de la création, et rappeler combien la culture est essentielle pour l’Europe ». Enfin, elle « forme (…) l’espoir » que le nouveau débat puisse déboucher « rapidement sur un texte permettant de conserver l’esprit de ces avancées majeures ». Pour sa part, la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) dit « regretter » ce vote négatif du Parlement européen, fruit « d’un lobbying insensé et inédit fait de mensonges, de caricatures et de menaces qui a réuni les grandes plateformes commerciales de l’Internet et les libertaires du Net », assène la société. Celle-ci rappelle néanmoins qu’il ne s’agit pas à de « l’enterrement de la directive droit d’auteur » et en appelle « à la responsabilité du Parlement dans ce nouveau contexte et à la reprise sans tarder des discussions autour d’un calendrier ambitieux ». De même, pour la SACEM ce vote négatif est là aussi le fruit « d’une violente campagne des GAFA qui a manipulé l’opinion d’une grande partie des parlementaires européens au mépris du travail accompli par leurs collègues membres de la Commission Affaires juridiques », détournant au passage « artificiellement » la problématique économique et de rémunération « sur le terrain de la liberté d’expression, détournée en slogan pour préserver en réalité leurs recettes publicitaires », plaide-t-elle. « Les géants de l’Internet ont trompé les consommateurs, les citoyens européens et la majorité de l’assemblée plénière européenne », conclut-elle. La SCAM exprime pour sa part son « immense déception face cette occasion manquée », déplorant « qu’une majorité de députés ait visiblement cédé aux campagnes de propagande des acteurs dominants du numérique aux moyens financiers hors normes consacrés au lobbying (…) pour empêcher ce texte d’aboutir ». Cependant, pour la SCAM, il n’est « pas question de perdre la guerre » alors que le texte doit à nouveau être présenté à la rentrée prochaine. Dans un communiqué commun des syndicats de presse (SPQN, l’UPREG, le SPHR, le SEPM et la FNPS) et des agences de presse représentées par la FFAP, celui-ci « déplore » une « occasion manquée » pour la création d’un droit voisin. Mais il ne « doit pas être enterré » même s’il condamne à nouveau « les actions bruyantes et trompeuses des détracteurs du droit d’auteur, qui se sont livrés à une véritable campagne de désinformation en ligne ». Ensemble, les signataires de ce communiqué entendent poursuivre leurs actions en faveur du droit voisin auprès des députés européens dans les semaines à venir, avant que le texte ne soit voté en septembre.

Le MoDem à la riposte

Et justement, le groupe MoDem de l'Assemblée compte revenir à la charge en novembre pour créer un "droit voisin", à l'image du droit d'auteur, pour les éditeurs de presse, ont affirmé jeudi des députés. Mi-mai, l'Assemblée avait renvoyé en commission, à l'initiative de LREM, une proposition de loi du deuxième groupe de la majorité présidentielle, la ministre de la Culture Françoise Nyssen plaidant pour que ce droit voisin soit créé mais "d'abord au niveau européen". Le texte MoDem entendait anticiper sur l'adoption au plan européen de la révision de la directive sur le droit d'auteur, en discussion depuis près de deux ans, qui devrait consacrer l'instauration d'un tel droit dans les 28 pays de l'UE. Il visait à permettre aux éditeurs de presse et agences (comme l'AFP) de se faire rémunérer par les plateformes numériques. Après le rejet jeudi de la réforme par le Parlement européen, Patrick Mignola (MoDem), qui avait porté la proposition de loi s'est dit "un peu en colère". Dénonçant lors d'un point presse une "campagne indescriptible de désinformation" à l'échelon du Parlement européen conduite "par les géants du net" et relayée par certaines formations politiques, ce membre de la commission des Finances a appelé à faire table rase de la "candeur". "Je sais que le Premier ministre et la ministre de la Culture sont absolument persuadés de la nécessité de l'instauration du droit voisin (...) et nous allons représenter cette proposition de loi lors de la prochaine niche parlementaire du MoDem au mois de novembre", a affirmé cet élu savoyard, issu du monde de l'entreprise. L'adoption de cette proposition permettrait de créer ce droit voisin au niveau français avant de relancer "le combat européen", a-t-il encore plaidé, évoquant des échanges "informels, officieux, positifs" avec LREM sur le sort qui pourrait être réservé au texte s'il revenait dans l'hémicycle. "On va tout faire pour que les Gafam (Google, Apple Facebook, Amazon, Microsoft...) aient gagné cette bataille, mais certainement pas la guerre", a ajouté à ses côtés Laurent Garcia, qui avait été le porte-parole du groupe MoDem au sujet de ce texte.

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