Derya Matras (Meta) : «  avec l'IA, nous harmonisons les règles du jeu entre PME et grands groupes »

Derya Matras, VP EMEA de Meta

À l’occasion de sa première interview accordée à un média français, Derya Matras revient sur les grandes annonces de Meta aux Cannes Lions 2025. L’occasion d’évoquer avec la vice-présidente EMEA du géant américain la transformation du secteur publicitaire, l’essor de l’IA générative et la place des agences au sein de l'écosystème.

CB News : Vous avez débuté ces Cannes Lions 2025 en annonçant le lancement d'une nouvelle offre publicitaire sur WhatsApp. Une offre qui concerne potentiellement 1,5 milliard de personnes, et qui marque une vraie rupture dans votre stratégie. Est-ce en ce sens votre plus grande annonce de la semaine ?

Derya Matras : Cette semaine, nous avons fait plusieurs annonces majeures : WhatsApp en est une, mais nous avons également de nombreuses actualités autour de l'IA générative et de la manière dont ses fonctionnalités vont améliorer les performances des annonceurs. Mais commençons par WhatsApp, avec une mise en perspective. La vision de Mark (Zuckerberg) est que tous les utilisateurs voudront à terme échanger avec les entreprises via une app de messagerie. C'est déjà une réalité pour 80 % des personnes dans le monde, et cela au moins une fois chaque semaine. Et cela va devenir de plus en plus fréquent, alors que WhatsApp est un outil de communication du quotidien.

On recherche la même fluidité dans nos échanges avec des entreprises. D'ailleurs, WhatsApp est déjà utilisé couramment par certaines d'entre elles pour envoyer des messages utilitaires à leurs clients, des mots de passe ou des suivis d'expédition, sans oublier bien sûr la gestion des réclamations. C'est la raison fondamentale pour laquelle nous nous intéressons également à la monétisation et aux opportunités publicitaires au sein de WhatsApp.

CB News : Quelles formes prennent ces publicités ?

Derya Matras : Je précise que cela ne concerne que l'onglet "Actus", pas l'onglet "Discussions". En effet, 1,5 milliard de personnes dans le monde, soit la moitié des utilisateurs de WhatsApp, utilisent chaque jour cet onglet "Actus", qui se rapproche du fonctionnement des stories sur Facebook et Instagram. Les publicités s'insèrent entre deux stories lors de votre navigation. Par ailleurs, les marques et médias auront également la possibilité de sponsoriser leurs chaînes pour qu'elles apparaissent plus facilement dans l'onglet "Actus", à la manière du modèle publicitaire du search. Vous pourrez aussi rendre l'accès à votre chaîne payant, via un modèle d'abonnement.

CB News : WhatsApp est massivement utilisé dans des pays en Asie du Sud-Est, ou encore au Brésil. Allez-vous cibler des marchés spécifiques avec ces innovations ?

Derya Matras : Nous allons avancer méthodiquement. WhatsApp doit rester un espace privé, simple et fiable pour nos utilisateurs. Nous n'irons pas à l'encontre de notre ADN, et nous communiquerons en temps voulu sur les premiers marchés qui pourront bénéficier de ces nouvelles opportunités.

CB News : L'autre volet des annonces de la semaine cannoise concerne l'IA. Quelles sont les principales nouveautés en la matière ?

Derya Matras : L'une des nouveautés qui m'enthousiasme le plus est la possibilité d'interagir directement avec une publicité. Vous pourrez par exemple échanger avec une marque de vêtements qui vous présentera son offre de manière conversationnelle, en vocal ou à l'écrit, et cela sans couture selon votre navigation. Si c'est une Shop Ads, l'utilisateur pourra finaliser la transaction sans quitter Instagram, mais l'annonceur pourra également renvoyer l'utilisateur vers son site.

CB News : Comment monétisez-vous ce type de publicité ou d'expériences ? Prélevez-vous une commission sur les ventes ?

Derya Matras : C'est une solution open-source gratuite, à l'image de Meta AI. Nous ne facturons que la publicité, ou encore les conversations WhatsApp réalisées dans le cadre d'une campagne promotionnelle ou lors de l'envoi d'un message utilitaire.

CB News : Avec ces outils, vous adressez véritablement l'ensemble du funnel marketing, en vous renforçant notamment sur le mid-funnel, soit la découverte du produit et la considération ?

Derya Matras : En effet, mais pas seulement. En matière de branding par exemple, Advantage Plus permet aux annonceurs de garder leur cohérence de marque, en utilisant les bons logos, chartes graphiques et polices à grande échelle. Et en bas de funnel, nous avons aussi des nouveautés comme la possibilité de créer des stickers dotés de CTA pour pousser à l'achat, ou encore des fonctionnalités de virtual try-on. Et au global, je voudrais aussi citer les outils de création d'assets par IA, qui permettent par exemple d'animer des photos. Au total, 30 % des annonceurs utilisent nos outils créatifs basés sur la GenAI.

CB News : L'IA est également utilisée par Meta pour améliorer les performances des annonceurs. Quelles ont été vos annonces sur le sujet ?

Derya Matras : Je ne vais pas tout vous détailler, mais de manière synthétique, le premier volet concerne l'optimisation des publicités. Aujourd'hui, en Europe, chaque euro dépensé entraîne un ROAS de quatre euros. Cela représente plus de 213 milliards d'euros d'activité économique générée en Europe, pour 1,4 million d'emplois, et dans 99 % des cas cela concerne des petites entreprises. Quand vous utilisez l'IA dans le cadre de notre solution Advantage Plus, le ROAS est 22 % supérieur à celui des publicités sans optimisation par l'IA. Nous avons présenté des solutions pour aller encore plus loin sur ce point. Ensuite, il y a le sujet de la mesure. Nous avons une multitude de services, de formats publicitaires et de manières d'engager nos audiences. L'enjeu sera, avec l'IA, d'identifier les combinaisons les plus performantes selon les annonceurs, en créant notamment un score d'opportunité. Enfin, le dernier point concerne la sécurité et la durabilité des marques.

CB News : Deux remarques sur ces sujets. On critique souvent l'utilisation d'outils comme Advantage Plus pour leur opacité. Ces scores doivent-ils amener plus de transparence ? Aussi, concernant la brand safety, vous vous ouvrez de plus en plus depuis un an à des tiers vérificateurs comme IAS, DoubleVerify ou Adloox. Que pouvez-vous dire à ce sujet ?

Derya Matras : Vous avez raison, nous nous intégrons davantage à l'écosystème de mesure parce que nous voulons nous rapprocher de ce que nous pourrions appeler des "sources de vérité" pour les annonceurs. Nous avons également des intégrations avec Google Analytics et d'autres solutions de mesure d'attribution incrémentale. Par contre, je ne vous rejoins pas sur le sujet de l'opacité d'Advantage Plus. Lors de son lancement, nous avons déjà fait face à ces critiques en donnant plus de contrôle aux annonceurs afin d'éviter cet effet boîte noire.

Et nous offrons aussi de plus en plus de contrôle dans la manière d'interagir avec la solution. Au cours de l'année dernière, nous avons travaillé sur ce que nous appelons l'optimisation de la valeur totale. Vous pouvez choisir de maximiser la valeur ou le volume des produits vendus, ou encore d'insister sur un certain niveau de marge, sur les visites en magasin ou encore sur la maximisation de la lifetime value d'un client. Nous devenons de plus en plus granulaires afin de nous adapter aux contraintes et stratégies spécifiques à chacun.

CB News : Avant d'enchaîner sur une dernière question, avez-vous eu d'autres annonces marquantes sur lesquelles vous voudriez revenir ?

Derya Matras : Après réflexion, je voudrais mettre en avant un bêta-test que nous réalisons actuellement et qui pourrait être généralisé au second semestre : il s'agit de ce que nous appelons des "Reels Trending Ads". Il s'agit d'identifier les Reels qui portent sur les plus fortes tendances actuelles ou en devenir, et de permettre aux annonceurs d'apparaître à proximité de ces contenus. Nous allons débuter par des catégories comme la beauté ou la grande conso, avant de les étendre à d'autres secteurs. Le tout dans le respect de la brand safety bien sûr.

CB News : Dernière question au sujet de l'IA, cette fois plus controversée. Et il ne s'agit pas des 100 millions de dollars qui auraient été proposés aux ingénieurs d'OpenAI selon Sam Altman… Je voudrais revenir sur l'ambition affichée par Mark Zuckerberg de désintermédier le secteur publicitaire en automatisant la gestion des campagnes par IA. Qu'avez-vous à dire aux agences qui se sentent menacées par cette sortie ?

Derya Matras : Tant mieux, car je ne me serais certainement pas exprimée sur le sujet d'OpenAI. Mais je suis ravie de la question que vous posez au sujet des agences média. Elles sont cruciales au bon fonctionnement de l'écosystème, leur expertise, leur vision et leurs conseils apportant une valeur significative aux annonceurs et aux médias, et cela depuis des décennies. Les révolutions successives qui ont touché les médias, de l'arrivée de la télévision au digital et désormais à l'IA, n'ont et ne vont rien y changer. Par ailleurs, la créativité est elle aussi cruciale pour faire face et innover dans ces périodes de changement.

À Cannes, je pense que les discussions sont majoritairement enthousiastes à propos du potentiel de l'IA pour renforcer ces différents éléments qui font l'ADN des agences. L'IA va permettre aux agences de renforcer leur efficacité et leur rentabilité en automatisant les tâches à faible valeur ajoutée pour se focaliser sur la conduite des stratégies créatives et sur l'orchestration des activations média de leurs clients, qui opèrent souvent dans différents pays, différentes langues et cultures, avec un portefeuille de marques et des stratégies de prix variées. C'est quelque chose que l'IA ne pourra jamais facilement remplacer. Mais les agences ne travaillent pas avec tous les annonceurs…

Au fur et à mesure des révolutions médiatiques, de plus en plus d'annonceurs ont pu émerger pour communiquer et cibler leurs audiences à moindres frais. C'est ce qui se passe à nouveau avec l'IA, pour des marques opérant sur un seul marché, avec seulement quelques références. L'IA peut alors gérer des campagnes automatisées, tout en faisant croître le marché publicitaire. En démocratisant l'accès à l'IA, nous harmonisons simplement les règles du jeu entre les PME et les grands groupes. C'est ce que voulait dire Mark Zuckerberg.

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