Edouard Schmidt (Magnite) : "nous étions quasiment inconnus à Cannes il y a deux ans"

CB News profite de la semaine cannoise pour aller à la rencontre de l’écosystème adtech. Aujourd’hui, nous faisons le point avec Édouard Schmidt, Country Manager France de Magnite, qui revient sur le développement de l’offre de la SSP en France.
CB News : Quel bilan tirez-vous des douze derniers mois pour l’activité de Magnite en France ?
Édouard Schmidt : Tout d’abord, il faut rappeler que nous étions quasiment inconnus à Cannes il y a deux ans. Magnite s’est formée à partir de 2020, à la suite de fusions successives entre Rubicon Project, SpotX, Telaria et SpringServe, pour donner naissance à la plus grande entreprise de publicité indépendante au monde côté sell-side. En tant qu’acteur adtech « supply », nous étions bien connus des éditeurs, mais nous avions encore du retard par rapport à Freewheel auprès des agences et des annonceurs. Le développement de la CTV sur le marché français nous a été très bénéfique.
Nous étions déjà bien implantés sur la partie « AVoD » grâce à nos partenariats avec Samsung, LG, Rakuten ou encore Molotov. Le fait de s’ouvrir aux broadcasters historiques, en collaborant au développement de l’offre BVoD de TF1, qui a choisi de nous intégrer à son stack technologique, en plus de Freewheel, a été un signal fort envoyé au marché. M6 a d’ailleurs également fait le choix d’avoir un deuxième ad server et SSP, ce qui illustre ce changement d’approche dans un secteur qui privilégiait auparavant les exclusivités.
CB News : Quels sont vos enjeux désormais en matière de CTV ?
Édouard Schmidt : J’identifie quatre grands axes pour nous, sur lesquels nous avançons plus ou moins vite : le premier est le renforcement des capacités de ciblage. Nous voulons capitaliser sur l’essor des identifiants issus de la « fausse fin » des cookies tiers, pour les faire correspondre avec des pools d’ID disponibles chez les éditeurs. En toile de fond de ce sujet d’adressabilité, il faut aussi parler de l’essor du commerce media. Nous avons l’ambition d’être le point d’attache sur ce sujet entre les éditeurs et les acteurs du retail media.
Ensuite, il y a le développement des formats en dehors du flux vidéo : masthead, pause ads, bannières display, shoppable ads… Nous en faisons de plus en plus. Le format Cover+ de TF1 est, par exemple, produit par notre ad server. Pour l’instant, ces formats sont uniquement disponibles en insertion directe, mais l’enjeu est de se développer en dehors du gré à gré, via le programmatique, garanti dans un premier temps, puis en deal classique.
Le troisième sujet est le live, notamment en France, où il y a un retard par rapport aux États-Unis, qui s’explique notamment par le fait qu’outre-Atlantique, les droits sportifs sont plus divers et diffusés par plus d’acteurs. L’enjeu est de mieux monétiser le live, tout en s’assurant que les budgets des annonceurs ne soient pas mis à mal par le système d’enchères propre au programmatique, et le fait qu’en live, il faut surpondérer la diffusion sur un temps très court. Pour répondre à ces problématiques, nous allons développer notre outil Showcase en France.
Et le dernier sujet inévitable : la mesure ! Tout le monde en parle et s’accorde sur son importance, mais pas sur la manière de procéder.
CB News : Quelle est la clé de la mesure en CTV selon vous ?
Édouard Schmidt : D’abord, rappelons qu’il faut que le sujet soit confié à un tiers de confiance, qui ne peut pas être nous ni aucun acteur qui serait alors juge et partie. Personnellement, je ne sais pas si l’approche de Médiamétrie est la meilleure compte tenu de l’évolution de la CTV vers le programmatique : on reste sur du watermarking fait à la main par l’éditeur et l’utilisation de la donnée d’un panel, alors que la donnée ACR collectée au niveau de la Smart TV permet de suivre de manière plus précise l’ensemble de l’activité de l’utilisateur. Par ailleurs, les travaux actuels concernent la mesure de l’audience des programmes, et non des campagnes publicitaires…
Un autre enjeu lié à la mesure est la gestion de la fréquence d’exposition et l’amélioration de la transparence dans les requêtes publicitaires. Aujourd’hui, en tant qu’ad server, nous avons accès à l’ensemble des signaux envoyés par les éditeurs, dont un device ID comme l’IFA qui permet de gérer la fréquence d’exposition cross-éditeurs. Nous poussons beaucoup le sujet auprès des DSP pour qu’elles adoptent ces pratiques. Mais le sujet de la transparence est bien plus vaste, alors que la CTV est souvent accusée d’être un écosystème opaque.
CB News : C’est-à-dire ?
Édouard Schmidt : On entend souvent qu’on ne sait pas vraiment où sont diffusées les publicités en CTV, sur quel programme, quelle thématique, etc. L’un de mes enjeux est d’éduquer les éditeurs et les DSP pour les sensibiliser aux informations présentes dans une ad request et une bid request. Historiquement, les SSP et les DSP se sont toujours regardées en chiens de faïence. Mais plus on partagera de signaux pertinents auprès des DSP, plus les éditeurs pourront générer de revenus. Derrière ces différents sujets, on retrouve un thème central du marché dernièrement : le fait que les acheteurs veulent accéder directement aux inventaires CTV, en supprimant le plus d’intermédiaires possible.
D’où notre annonce, il y a quelques semaines, de la refonte de notre ad server SpringServe, désormais combiné avec notre SSP Magnite Streaming. L’enjeu est de simplifier l’expérience pour nos clients et leurs partenaires, qui devaient auparavant basculer de l’un à l’autre, tout en diminuant le nombre d’intermédiaires, en uniformisant les reportings et en réduisant les pertes entre ad requests et bid requests. Dans la même idée, nous intégrons une plateforme qui s’apparente à une DSP à SpringServe, un bidder qui permet d’acheter les inventaires, grâce à laquelle nous voulons toucher les agences indépendantes et les annonceurs qui internalisent l’achat, que ce soit en CTV, mais aussi en display, en VOL ou encore en audio.
D’ailleurs, Magnite est l’ad server du Spotify Ad Exchange lancé il y a quelques mois. Nous avons des intérêts convergents avec eux : ils sont experts de l’audio, mais veulent devenir une plateforme sociale globale, avec un fort accent mis sur la vidéo. À nous de les aider à monétiser ces contenus via le programmatique.
CB News : Quelles sont les autres tendances structurantes du marché selon vous ? Il est peut-être temps de parler d’IA ?
Édouard Schmidt : En effet, c’est le dernier point à citer ! Vaste sujet, sachant que le programmatique utilise l’IA depuis des années via le machine learning, qui nous permet de filtrer et d’optimiser les enchères, d’améliorer les ciblages, etc. Aujourd’hui, l’arrivée d’agents IA est très intéressante, notamment pour simplifier le media planning et le forecasting au jour le jour. De là à penser que l’IA remplacera totalement les DSP et les SSP, je ne sais pas. Il y aura des surcouches basées sur l’écosystème existant, des interfaces qui simplifieront le programmatique, mais l’infrastructure va rester. Je ne pense pas que Microsoft supprime totalement Xandr : ils vont reconstruire sur l’ossature existante. Et cela vaut aussi pour les équipes. Selon moi, plus il y a d’automatisation, plus il y a besoin d’humains pour expliquer, accompagner, rassurer… La seule crainte liée au développement de ces agents, c’est qu’ils amènent eux aussi plus d’opacité.