Guillaume Belmas (Realytics) : "il serait prétentieux de dire qu'une IA peut tout optimiser"


CB News profite des Cannes Lions pour rencontrer les acteurs de l'écosystème adtech. Avec Guillaume Belmas, CEO de Realytics, nous avons fait le point sur les dernières innovations de BEE au sein de smartclip et de RTL AdAlliance. De quoi évoquer l'avenir de la mesure cross-média et la place de l'IA dans la publicité digitale.
CB News : Realytics a récemment intégré BEE dans smartx, l'ad-server de smartclip. Pouvez-vous nous expliquer l'importance de cette évolution ?
Guillaume Belmas : L'un de nos grands enjeux est la mesure cross-média. En ce sens, cette intégration est un bel achèvement qui permet de généraliser la mesure sur toute la chaîne de valeur. On travaille depuis que nous existons avec la demand side, c'est-à-dire les agences et les annonceurs. Et il y a toujours eu un peu ce déséquilibre entre l'achat et la vente, sans mesure commune partagée. Le fait d'avoir intégré Bee au niveau de l'ad server permet d'initier la mesure côté vente.
CB News : Une mesure directement à la source. Qu'est-ce que ça change ?
Guillaume Belmas : Exactement. Et ça a deux vertus. La première : ça met fin à la complexité opérationnelle qui découle d'une mesure cross-média. En TV, tu as la télévision linéaire, la télévision segmentée, ainsi que de plus en plus de services de BVOD activés. C'est autant de configurations de mesures à faire pour nous, via les agences, marché par marché. C'est hyper complexe. En s'intégrant à notre ad-server, où tout transite, cette complexité opérationnelle s'évapore. En termes de gain de productivité, c'est absolument génial.
CB News : Avez-vous déjà des résultats concrets de cette intégration ?
Guillaume Belmas : Le premier client sur lequel nous sommes déployés est RTL Allemagne. Aujourd'hui, environ un millier de campagnes actives sont mesurées automatiquement chaque jour, sans aucune intervention humaine. Ça représente quelques milliards d'impressions à l'année. Si on n'avait pas fait cette intégration, ce serait compliqué de tout mesurer.
CB News : Et quel est le deuxième avantage de cette intégration ?
Guillaume Belmas : Le deuxième point, c'est évidemment de rééquilibrer toute la chaîne de valeur. Nous voulons faire bénéficier tous les clients de smartclip de cette innovation, le tout en rendant la mesure disponible aussi bien côté achat que côté vente. C'est hyper intéressant pour les régies qui peuvent comprendre quelles sont les forces et les faiblesses de leurs inventaires, comment améliorer leurs offres, et pourquoi pas même construire des offres avec un reach garanti. C'est ce que RTL est en train de faire en Allemagne.
CB News : Cela facilite aussi la création d'offres bundle associant TV linéaire, TV segmentée et BVOD ?
Guillaume Belmas : Exactement. Tout ce qui passe dans l'ad-server sera mesuré par défaut. Si la télévision segmentée passe par l'ad-server, ce qui est le cas en Allemagne, ce sera mesuré. Aujourd'hui, pour être très schématique mais très vrai, chez RTL, tous les inventaires non linéaires diffusés sur l'écran TV sont mesurés. On ne fait pas encore la VOL, mais ça viendra plus tard.
CB News : Mais vous pouvez réconcilier cette mesure avec celle du linéaire ?
Guillaume Belmas : En effet, mais ce n'est pas automatique. On déduplique avec le linéaire parce qu'évidemment, il y a un enjeu pour tout le marché de mesurer le reach incrémental par rapport au linéaire.
CB News : Où en êtes-vous de l'intégration de nouveaux acteurs comme Amazon, Netflix ou Disney ?
Guillaume Belmas : De manière générale, on continue d'onboarder un maximum de choses dans BEE pour avoir la mesure la plus complète. Certaines intégrations prennent du temps, comme celles d'Amazon, Netflix, Disney… Nous en parlions déjà l'année dernière, avec peut-être trop d'optimisme !
CB News : Tout le monde semble faire face aux mêmes difficultés. Comment voyez-vous évoluer votre rôle à l'avenir ? Avez-vous vocation à devenir le nouveau Médiamétrie ?
Guillaume Belmas : Nous sommes complémentaires de Médiamétrie. Médiamétrie est le standard, la currency du marché. Ils doivent être là. Mais nos approches sont complémentaires, chacun ayant ses forces et ses faiblesses. Nous avons une approche déterministe, sans panel. Nous captons 100% de la donnée que nous sommes en capacité de capter. Sur des petites et moyennes campagnes, nous aurons donc moins de biais qu'un panel et offrirons une mesure plus précise.
CB News : Ce qui correspond à l'évolution du marché, avec une multiplication des opportunités pour les petits annonceurs ?
Guillaume Belmas : C'est ça. D'autant que le coût de la mesure va devenir, avec le volume, de plus en plus marginal. Il faut donc systématiser la mesure. Cette semaine, nous avons eu la chance d'accueillir Sir Martin Sorrell sur la plage RTL. Selon lui, les agences qui ne considèrent pas la mesure, la data et l'IA sont condamnées à court terme. C'est la réalité d'un monde data-driven.
CB News : Quelles sont vos initiatives dans le domaine de l'IA ?
Guillaume Belmas : Sur l'IA, il y a plusieurs initiatives. Côté Realytics, on a une première feature qui va bientôt sortir : c'est l'intégration de l'IA générative au sein de Bee pour augmenter un peu la productivité de ceux qui utilisent notre dashboard.
CB News : Comment cela va-t-il fonctionner concrètement ?
Guillaume Belmas : Aujourd'hui, dans BEE, tu as accès à beaucoup de données et d'insights, aussi bien sur la partie audience que sur la partie performance. Mais les clients qui nous activent n'ont pas tous le même niveau de compétence ou d'expertise sur ces sujets. Un même graphique peut être interprété de différentes manières par certaines personnes, ce qui peut conduire à la prise de mauvaises décisions. L'IA générative va donc intervenir sur deux aspects. Elle permettra de fournir une analyse descriptive d'une graphique ou d'une donnée, en la contextualisant et en l'expliquant de manière simplifiée. Le deuxième niveau, c'est le diagnostic, l'interprétation de l'insight. Les tendances sont elles positives ou négatives ?
CB News : Donnez-vous également des conseils pour optimiser les campagnes ?
Guillaume Belmas : L'optimisation, c'est compliqué. Il y a énormément de paramètres à prendre en compte. Ça viendra plus tard et sous une autre forme, car c'est une initiative portée directement par le groupe : il s'agit de construire des agents spécialisés sur différents métiers liés à la publicité digitale. Concernant Realytics, un premier agent permettra de « chat with your data ». C'est un expert qui connaît comment ta ou tes campagnes se sont déroulées, et qui, grâce à la partie diagnostic, va pouvoir suggérer des optimisations.
CB News : Pourquoi ne pas automatiser l'optimisation ?
Guillaume Belmas : Encore une fois, il s'agit d'un sujet complexe, et sérieux. L'IA n'aura pas toujours une connaissance fine et exhaustive du business de l'entreprise et de son secteur d'activité. Elle ne saura pas toujours s'adapter au fait que tu sois un leader du marché, ou au contraire un challenger. Elle n'aura pas connaissance de l'ensemble du patrimoine publicitaire de la marque. Autant de variables à prendre en compte. Il serait un peu prétentieux de dire qu'une IA peut tout optimiser. En réalité, une IA répondra toujours à tes questions et trouvera toujours une optimisation à suggérer, même si elle est à côté de la plaque, ou que sa suggestion n'est pas implémentable.
CB News : Les agents autonomes seront donc cantonnés à des tâches très spécifiques ?
Guillaume Belmas : Exactement. Ces agents autonomes vont devenir des experts de la mesure, de l'aide à la planification, etc. Le but n'est pas de développer une IA générale super puissante qui fait tout à ta place, mais bien d'avoir des agents spécialisés sur la base de toutes les données disponibles au sein du groupe ou au travers de collaborations. Je vais citer l'exemple de l'agent de reporting mis en place par smartclip. Le reporting dans un ad server peut être extrêmement complexe. Au minimum, pour une campagne, tu peux avoir 70 dimensions de reporting. Parfois, jusqu'à plusieurs centaines. Il est facile de se perdre ou de se tromper en cherchant des données spécifiques, mais primordiales pour comprendre comment tourne une campagne. Le but de l'agent, c'est d'éviter justement les défauts d'interprétation et d'augmenter la productivité.
CB News : Ces agents sont-ils déjà disponibles ?
Guillaume Belmas : Ce n'est pas encore live. Le but est d'avoir des agents disponibles d'ici la fin de l'année ou le début de l'année prochaine. Ces sujets sont complexes et nécessitent d'importants investissements, mais aussi de la réflexion. Nous n'avons pas parlé du sujet de la souveraineté par exemple, qui est un enjeu critique pour respecter la privacy et l'ownership des données de chacun de nos clients. Il s'agit aussi de la souveraineté sur les modèles. Nous n'allons pas développer nos propres LLM, loin de là. Mais nous sélectionnons des modèles LLM open source, qui opèrent sur un cloud privé de RTL, afin d'assurer un ownership et une souveraineté maximale.