Inclusion et diversité dans la publicité  : on avance

Baromètre

Luc Wise et Anne-Lise Toursel

Certes, des progrès ont été faits ces dernières années en matière d'inclusion et de diversité dans la publicité. Mais il reste du chemin à parcourir pour arriver à une représentation plus juste de la société. Kantar Insights et The Good Company se sont associés pour proposer un baromètre sur cette thématique pour confronter la perception et les attentes des français à la réalité du contenu publicitaire (voir le résultat de l'étude ici). Les résultats de cette première édition ont été dévoilés le 24 mars. Luc Wise fondateur de The Good Company et Anne-Lise Toursel, Head of Media & Creative Domains de Kantar Insigh, nous en expliquent les contours.

1/ The Good Company et Kantar Insights dévoilent les résultats du premier baromètre Inclusion & Diversité dans la publicité, d’où est venue l’idée d’un tel projet ?

Luc Wise : c’est un sujet très important. Nous en entendons beaucoup parler ces derniers temps, mais la représentation de la diversité dans la publicité a toujours été une question fondamentale. Kantar et The Good Company sont très attachés à avoir une représentation juste des Françaises et des Français dans toute leur diversité, c'est cette diversité qui fait de la France un beau pays. Mais si la diversité est présente dans la société, elle ne l’est pas forcément sur les écrans. Par ailleurs, quand on parle "diversité", il n’y a pas que la question d’origine géographique ou la couleur de peau, il y a aussi tout ce qui touche au genre, au sexe, à la représentativité des âges. Dans la publicité n’y a-t-il pas un tropisme de jeunisme au détriment des seniors par exemple ? Les personnes en situation de handicap représentent presque 20% de la population française et pourtant le sujet est rarement traité en publicité. C’était important pour nous d’avoir un baromètre référent pour objectiver ce sujet. Et c’est assez paradoxal parce qu’en agence et chez les annonceurs on parle de ce sujet, il provoque même des débats passionnés. Mais à notre grande surprise nous nous sommes rendus compte qu’il n’y avait pas vraiment d’étude dédiée. Nous avions à cœur de prendre ce sujet à bras le corps et en ayant de la data précise. L'objectif était également d'avoir des éléments factuels et tangibles pour que les gens puissent argumenter aussi en interne dans cette voie-là. 

2/ Quelle a été la méthodologie employée pour cette étude ? 

Anne-Lise Toursel : les résultats sont issus de trois grandes ressources de data. La première est un baromètre au sein duquel nous avons interrogé 1 000 Français représentatifs de la population sur leurs perceptions et leurs attentes en termes d’inclusion et de diversité dans la publicité. Pour compléter cette première source, nous avons mené un travail sur notre base de données de pré-test. Cette dernière permet d’avoir une grande source de data sur les campagnes publicitaires et, depuis 2019, nous avons justement un indicateur qui mesure l’inclusion et la diversité au sein de ces pré-tests. Cela nous permet donc de voir si les publicités qui remplissent les cases de l’inclusivité performent mieux. Enfin, nous avons aussi fait une étude factuelle sur le panorama de l’inclusion et de la diversité en termes de publicités diffusées grâce à une intelligence artificielle qui photographie le secteur alimentaire par exemple.

3/ Quels sont les résultats qui vous ont le plus marqués ?

Luc Wise : le premier constat est que trois Français sur quatre disent qu’ils attendent des marques de la diversité dans la publicité. Les marques le savent et redoutent à la fois d’être accusées de "purple-washing", de woke ou d’opportunistes et de se couper d’une cible. Le deuxième constat, est que la question progresse chez les annonceurs dont les consommateurs ont noté des progrès. Là aussi pour trois sondés sur quatre. Si hier la question était "faut-il le faire ou pas ? " aujourd’hui c’est plutôt : "comment montrer la diversité ?". Par ailleurs, les hommes se sentent encore moins représentés que les femmes dans la publicité, c’est une donnée qui m’a marqué. Aujourd’hui, les masculinités ont beaucoup évolué, elles sont plurielles et les archétypes publicitaires sont un peu en retard par rapport à ça. Nous ne nous sommes pas encore totalement défaits du paradigme des années 50 avec son cowboy Malboro… Nous avons tendance à penser que la publicité avance plus vite que la société. Je pense, à l'inverse, qu'elle a toujours un petit train de retard sur la réalité.  Sans doute parce que la publicité s’est longtemps construite sur un modèle aspirationnel : on y vendait du rêve alors qu’aujourd’hui nous sommes davantage dans un modèle de reconnaissance et d’identification.

Anne-Lise Toursel : le chiffre qui m’a le plus interpellée c’est également les 47% de la population masculine qui ne se sentent pas représentés dans les contenus de marque. Les femmes sont à 39%. Je trouve ça très marquant, parce que l'on a souvent pointé du doigt, à raison, les représentation de la femme, mais nous avons moins souvent pensé que les représentations des hommes dans la publicité pouvaient aussi leur donner un sentiment de distanciation. Hommes et femmes souffriraient pareillement de stéréotype de genre.

4/ Vous parlez de tokénisme dans votre baromètre comment expliquer cette notion ? 

Luc Wise : le tokénisme c’est un peu comme le greenwashing. Mais pour l’inclusion et la diversité. Le mot vient de l’anglais "token" qui se traduit par jeton, mais qui veut plutôt dire en réalité "façade". Dans le sens où l’on emploie quelqu’un pour se donner bonne conscience, pour l’utiliser de manière opportuniste ou éphémère. Le jeton pour dire qu’on fait l’effort ...mais pas beaucoup plus.

5/ On comprend que Benetton et Dove apparaissent en tête de votre baromètre, mais comment émerger aujourd’hui en tant que nouvelle marque sans se faire taxer de purple ou social washing ?

Luc Wise : ces deux marques que les gens citent le plus sont deux marques qui parlent d’inclusivité et de diversité depuis plusieurs décennies. Il y a donc une prime à l’audace et cette audace paye. Je me souviens quand la campagne de Dove est sortie en 2004, elle a été extrêmement raillée et critiquée, on disait que ça marcherait jamais en termes de vente, que c’était opportuniste et qu'elle ne ferait pas long feu. Pourtant Dove s'appuie sur la même plateforme de marque. Ils n’ont pas changé de stratégie et leur business a explosé depuis. Dans les exemples plus récents, Gillette est passé aux Etats-Unis d’un “A best a man can get” à “A best a man can be”. Quand on décide de prendre un sujet tel que celui-ci, il faut persévérer. La marque doit être constante. Car même si l’on entend dire que beaucoup de marques montrent la diversité et que c’est devenu une nouvelle "norme", statistiquement c’est faux quand on regarde le contenu des pubs avec l’étude Kantar. D'ailleurs dans les sondages les gens ne citent pas d’autres marques que Dove et Benetton ou alors elles sont loin derrière en présence mémorielle. Même si Carrefour et Decathlon commencent à avoir des scores corrects. Il existe encore un boulevard à explorer. Chez The Good Company nous avons identifié trois règles d’or : avoir un casting authentique et non pas caricatural, inclure la diversité dans l’idée créative et être cohérent avec l’ADN de marque. Dans notre campagne récente de la Macif, nous avons mis en scène des vrais sociétaires et la Macif a été la première mutuelle ouverte à tous quelque soit la ville d'origine ou le métier. 

6/ Votre étude montre que les personnes en situation de handicap ne se sentent pas non plus représentées, pourriez-vous nous rappeler les chiffres ? 

Anne-Lise Toursel : il n’y a pas de représentation des handicaps dans la publicité. Nous l'avons mesurée et moins de 1% des créations publicitaires les représentent. Le handicap rend les marques encore plus frileuses, parce que la société et les marques se sont moins emparé du sujet. Il existe tout de même quelques exemples de marques qui ont pris ce sujet à bras le corps notamment à l’international. Je pense à une campagne sur la Xbox qui met en scène un enfant handicapé mais également en France en affichage les publicités pour Café joyeux. Cela reste cependant minime. 

7/ Globalement est-ce que l’on peut dire que la France est une bonne élève en termes d’inclusivité ? Quels pourraient être les axes d’amélioration ? 

Luc Wise : l’étude porte uniquement sur la France et je ne voudrais pas risquer de faire du french-washing ! En revanche, il est évident qu’il y a eu des progrès en France. De plus en plus de plans médias visent désormais les hommes et les femmes. Par exemple, les publicités de bières il y a dix ans ciblaient exclusivement les hommes. Ce n’est plus le cas aujourd'hui. Il reste du travail notamment sur la communication des sujets écologiques, j’espère que l’étude permettra une prise de conscience aussi. 

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