Deux livres de réflexions sur l’info : deux conceptions opposées (?) du journalisme !

A votre droite, Edwy Plenel, champion du journalisme d’investigation. A votre gauche, Emilie Kovacs, jeune espoir du journalisme positif, dit journalisme de solutions. Leur premier combat est de sortir en même temps.

Edwy Plenel, on connaît. Même avant le match malheureux avec un certain Président. Le Monde, Mediapart… EP est le plus fervent pourfendeur des puissants (publics et privés) et défendeur d’une information libre, pluraliste et rigoureuse, avec en corollaire, un lecteur qui se doit d’être intelligent, sinon il sort lui même du jeu inventé par Médiapart. Méditez cette phrase d’Orwell en exergue de son dernier livre titré La Valeur de l’Information : « Parler de liberté n’a de sens qu'à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ». Vous avez 4 heures, on ramasse les copies à la sortie : thèse/antithèse/synthèse. Vous pouvez dénoncer tous les excès potentiels de cette phrase après l’avoir adorée en première lecture.

Plus simplement, ce petit livre veut illustrer à chaque page que le journalisme est un combat permanent pour la défense de la liberté individuelle et collective. Il s’appuie sur l’histoire récente de Médiapart (10 ans en Mars 2018) pour le démontrer mais aussi jeter des ponts et faire des parallèles entre les difficultés du site posé en victime, les grandes affaires par lui révélées et les conflits d’intérêt de l’histoire nationale.

Au nom de quoi ? D'une certaine valeur de l’information qui se situe dans une vérité du fait qui associe immédiatement l’exactitude et le sens. Le fait brut ne saurait suffire, il laisse sur sa faim : « La cohérence doit être l’ultime critère de la vérité journalistique », emprunte l’auteur à Jack Fuller, l’auteur de l’essai New Values, rejetant comme toujours le commentaire présenté comme la tentation facile et vaine de la presse française. 

Au nom de quoi ? D'une certaine indépendance financière de la presse et des médias garante de sa liberté de pensée. Et Pulitzer revient en témoin des raisonnements : Plus un journal « est prospère plus il peut se permettre d’être indépendant » de ses actionnaires mais aussi de ses lecteurs à qui on demande une chose essentielle : la confiance.

Ce petit livre qui inclut le texte de naissance Combats pour une presse libre est le credo des 10 ans d’Edwy Plenel et de Mediapart, il reprend les positions développées dans Le Droit de savoir autre livre de l'intéressé, publié comme celui ci par Don Quichotte Editions, cela ne s’invente pas. 

Emilie Kovacs est peu ou prou entrée en journalisme au moment de la création de Médiapart. Et elle dirige la rédaction d’EKOPO.fr, « un site d’information dédié à l’économie responsable qui adopte une ligne éditoriale orientée journalisme de solutions ».

Le mot est laché, Journalisme de solutions, il sera le titre du livre complété par l’ambitieux sous titre ou la révolution de l’information et tout l’objet de ce petit opus est d’expliquer et de valoriser la démarche de ce journalisme "positif", "constructif", "réparateur" voire "journalisme d’impact", qui met en lumière des initiatives progressistes (au sens littéral du terme). 

Didier Pourquery journaliste bien connu (Libération/ Le Monde/20 Minutes ) et auteur de nombreux ouvrages, pose l’équation dès la préface : « Pourquoi les médias parlent ils toujours des mêmes sujets … et tous en même temps ? » + Pourquoi « les médias ne traitent pas de l’essentiel ? » = « on peut faire l’hypothèse qu’une certaine lassitude des lecteurs - et un éparpillement des fréquentations médiatiques - vient de là ». 

Face à un journalisme tenté par la « peoplisation »  de tous bords (l’acteur plutôt que l’actu y compris en politique) ou « la vie mode d’emploi » ( la proximité, le pratique,  …), le journalisme de solutions veut espérer une 3ème voie. Difficile à définir, elle se décrit par opposition : elle n’est pas un journalisme naif, elle veut sortir de l’entre soi, elle ambitionne un journalisme positif : "pas uniquement informer mais montrer un champs des possibles afin de provoquer l’envie d’agir pour tenter collectivement de bâtir un monde meilleur".  Ne pas être concurrent de Médiapart ou de Médiacités, ne pas nier les problèmes que pointent les sites d’investigations « mais bien de pointer du doigt les solutions ».

Emilie Kovacs raconte les origines de ce courant journalistique né aux USA (année 80/90 nldr) arrivé en France au début du siècle autour de Reporters d’Espoirs (2004) dans  un contexte social et politique favorable où chacun a envie de sortir de son quotidien. Son livre est un mémoire sur le développement de ce phénomène en France (et  pas seulement à Paris, cf les initiatives PQR/PHR), mais aussi à l’étranger soit au cœur de publications dédiées à cette démarche, soit par des initiatives au sein de publications plus larges, où les journalistes sont convaincus, ouvrent la porte à l’autre et à ses solutions. Quelques exemples ponctuent ce vrai travail de recherche, publié chez Librinova.

Le parallèle entre ces deux textes, c’est de chercher une issu pour le journalisme en dehors du fait brut et de son caractère incantatoire dans le concert des médias. La psalmodiation de l’actu et des acteurs ne peut constituer un objectif suffisant et les deux courants cherchent leur apport. Le premier par le sens du fait relaté et la cohérence en provoquant l’indignation, le second par le sens du fait oublié et la solution en provoquant l’action. 

A chacun son sens.

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