Julien Fere (SNCF Voyages) "nous sommes en service commandé au service de notre actionnaire"

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Nous continuons notre série d'interviews, débutée mardi 17 mars, avec l'une des entreprises majeures du pays et plus particulièrement son activité voyages...Julien Fere, directeur de la communication de la branche Voyages de la SNCF, à répondu à nos questions.

1)  Vous faîtes face avec des contraintes que nous n'imaginons sans doute PAS. Comment communiquez-vous ? Vers quelles audiences ?

Julien Fere : en effet, comme dans l’industrie du tourisme et du voyage, nous sommes sur un secteur où communiquer peut se révéler à contre-courant. A l’heure du confinement, on ne peut pas encourager nos clients à partir évidemment. Et même plus, ce qui nous arrive est inédit : on doit les en dissuader (!) C’est une posture complexe pour des marques qui ont l’habitude de déclencher des envies de voyage… Pour cela, nous passons en mode gestion de crise. Ce qui consiste à modifier notre posture pour passer de la communication à l’information, du côté des clients. Tout d’abord, il a fallu informer des modalités de remboursements et d’annulations les centaines de milliers de clients qui avaient prévu de voyager dans les prochaines semaines. Chaque cas étant unique, il a fallu anticiper les cas particuliers pour parler à chacun. Par exemple les clients ayant effectué leur achat en chèques vacances non dématérialisés, en bons d’achats ou en paiements effectués par des tiers etc. Dans ces cas-là, tous nos canaux « propriétaires » sont synchronisés pour diffuser des éléments cohérents : sites, applis, vitrines des boutiques, serveur téléphonique, téléconseillers etc. Et en fonction des remontées, des questions et de l’évolution, on update, en temps réel, soir et weekend, pour donner le maximum d’éléments en pro-actif et éviter la surcharge de nos lignes téléphoniques ou les interpellations sur les réseaux sociaux. Nous sommes passés en quelques jours de 100% du trafic à 7% des trains TGV Inoui et Intercités, et 0% de Ouigo… Une véritable course contre la montre et le volume, au service du client, où le travail main dans la main entre les équipes de la communication, le marketing, la relation client et la production est clé. Dans ces moments-là, on assiste à une « union sacrée » dans l’entreprise…

2) Dans une France qui ne voyage plus, comment maintenir les liens ?

Julien Fere : alors d’abord elle voyage toujours à 7% du trafic, nous maintenons des liaisons vitales pour le pays. Souvent les gens se demandent « Qui voyage » ? Les personnels de santé, qui sont appelés dans telle ou telle région en fonction de l’évolution de la maladie (et qui bénéficient de la gratuité à bord de nos trains depuis le début du confinement), les militaires en service, des rapatriés qui se retrouvent à Paris via des vols longs courriers … Évidemment, la majorité de nos clients ne voyagent pas, mais nous gardons le lien avec eux. Un lien digital grâce à nos bases de données, notamment avec nos clients fidèles qui possèdent des abonnements du type Forfait ou TGVmax et à qui nous avons écrit pour leur indiquer que le mois d’avril leur serait offert. Mais aussi, nos clients « Grand Voyageur », à qui nous faisons bénéficier d’une prolongation de leurs points. Et puis, l’ensemble des bases en push ainsi que nos réseaux sociaux nous permettent de communiquer sur toutes les mesures que nous mettons en place : la désinfection des trains, l’affichage des gestes barrières ou depuis cette semaine sur l’algorithme de placement à bord permettant de réserver uniquement une place sur deux… Et ce faisant, nous préparons l’après en démontrant, par chacune de ces mesures, qu’en temps d’épidémie, le train reste un moyen sûr. Enfin, maintenir le lien c’est aussi un sujet pour notre personnel, en interne. L’activité « Voyages » de SNCF (qui regroupe les marques TGV Inoui, Ouigo Intercités et les liaisons internationales) compte près de 18 000 agents et la communication interne n’a jamais été aussi cruciale pour garder le contact à distance. Nous préservons le lien via des emails des managers et de notre directeur d’activité, des contenus pour donner des outils pour télétravailler et manager à distance ou des informations qui montrent que la vie continue (Info « Express » sur les 7 ans de Ouigo le 2 avril). Le live reste un moyen privilégié et plébiscité. Un tchat par Skype à destination des managers de « Voyages » a ainsi réuni plus de 3 000 personnes en live pendant une heure, à distance et avec à la clé un recueil de 800 questions auxquelles nous avons répondu en live et en différé…

3) Maintenir la continuité de vos services relève d'une sorte de "réquisition" pour le bien commun ? Les TGV médicalisés faisaient partie de ce "plan" ?

Julien Fere : faire rouler des trains est dans les gènes de l’entreprise. Et ce niveau historiquement bas de trains en circulation est un peu un crève-cœur pour des cheminots dont la passion est de transporter au service des publics. Mais dans ce type de crise, nous sommes en service commandé au service de notre actionnaire. C’est une autre forme d’engagement, solidaire et vital pour les agents. L’entreprise SNCF a une longue histoire du transport de malades et les ferrovipathes ont d’ailleurs montré ce passé au service de la nation sur les réseaux sociaux. Du point de vue du communicant, derrière cette action, ce qui me touche, c’est la création de fierté cheminote en interne, qui ressort, après des conflits en 2018 et en 2019 sur le statut et sur notre identité. Le temps des débats est terminé et cette union sacrée fait qu’un conducteur qui emmène un train médicalisé, ou un chef de bord qui tient un des 7% de trains qui circulent est salué par le grand public comme un héros ordinaire. Évidemment, nous ne voulons pas en faire un motif de « gloire » dans cette période difficile, mais nous amplifions en community management, via nos comptes transporteurs TGV Inoui et Intercités, le travail de ces agents, et la résonance est aussi forte en externe qu’en interne…

4) Observez-vous les mesures prises par vos homologues à l'étranger, notamment en Chine, Italie, Espagne, Royaume-Uni...Ou pas ?

Julien Fere : en ce moment personne n’a la solution miracle, et observer ce qui se fait dans les autres pays est vital pour nous en inspirer, surtout s’ils sont en avance sur la maladie. L’idée du placement alterné à bord nous vient d’Italie par exemple. Pas de chauvinisme en la matière. Deux exemples m’ont particulièrement frappé. Tout d’abord à Wuhan, la fin du confinement a entraîné une très forte affluence dans les transports : des bus, trains, avions bondés - après deux mois confinés, les habitants qui l’ont pu semblent s’être jetés sur la mobilité. Cela nous aide à réfléchir à la relance. On observe également les autres industries, qui testent des procédures, comme la grande distribution qui a mis en place des vitres en plexiglas… Collectivement, en sortie de confinement, nous serons amenés à repenser nos façons de faire, et à réfléchir à la façon de communiquer pour rassurer nos clients.

5) Osons se projeter : la destination France sera plébiscitée après ce chaos. Serez-vous prêts ?

Julien Fere : on fait plus qu’oser ! On se prépare, on crée des scénarios et on sait que la sortie de crise sera l’occasion pour nous d’un nouveau rendez-vous avec les Français. En tout cas, de façon contrainte (fermeture des frontières) ou plus volontaire (peur de certaines destinations), voire militante (un patriotisme économique), la destination France connaîtra sans doute une bonne saison. On ne connaît pas encore les conditions du déconfinement, mais certains devront rentrer chez eux après la transhumance, d’autres au contraire voudront profiter des beaux jours pour aller se détendre, retrouver leur famille etc. Cela ne laissera pas forcément la place à une communication commerciale - et y en a-t-il besoin ?- mais probablement d’abord à une communication rassurante  : vous pouvez y aller, nous avons les procédures et les gestes qui protègent. Et, dans un second temps nous donnerons un rendez-vous beaucoup plus émotionnel avec nos clients… Comme si on se redécouvrait après une longue absence et qu’on avait envie et besoin d’en profiter et de retrouver un certain plaisir de vivre…

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