Emmanuel Faber débarqué de Danone

Emmanuel Faber

Après moins de deux semaines à la "seule" présidence du groupe Danone, et sous la pression d'actionnaires hostiles (l'anglais Bluebell Capital et l'américain Artisan Partners), Emmanuel Faber a été remercié et relevé de ses fonctions dans le nuit de dimanche à lundi 15 mars. En juin dernier, les actionnaires avaient plébiscité la transformation de Danone en entreprise à mission, un statut qui l'enjoint à poursuivre des objectifs extra-financiers, notamment en matière de préservation de l'environnement. Il est remplacé par Gilles Schnepp, ex patron de Legrand, dans une phase de "transition" avant la nomination d'un nouveau directeur général. Selon le Monde, en attendant le recrutement d’un directeur général, le groupe sera piloté par Véronique Penchienati-Bosetta, directrice générale International et Shane Grant, directeur général Amérique du Nord. Emmanuel Faber était PDG du groupe depuis fin 2017. Il s'était taillé une image atypique au sein du CAC 40. Celle d'un patron exigeant tiraillé entre ses plaidoyers pour la justice sociale et les exigences des marchés financiers. "Si vous croyez que c'est moi qui décide chez Danone, vous vous trompez", pouvait-on l'entendre dire ces dernières semaines en interview ou lors de la présentation du nouveau siège de Danone France, fin janvier. Il ambitionnait  de voir "une finance qui sert l'économie qui sert les Hommes". Un discours rare pour le dirigeant d'une des plus grosses entreprises agroalimentaires au monde avec 23,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires en 2020. En 2019, il avait renoncé à sa retraite chapeau et à son indemnité de non-concurrence en cas de départ de Danone. Emmanuel Faber avait installé sa "légende" en 2016 en affirmant que "sans justice sociale, il n'y aurait plus d'économie" devant les diplômés d'HEC, dont il est lui-même issu. Son  image de moine-soldat du capitalisme responsable, avait été brouillée par l'annonce en novembre dernier d'une cure d'amaigrissement parmi les managers. Jusqu'à 2 000 postes concernés dans le monde sur 100 000. Bon nombre de personnalités du marketing, comme David Garbous, se sont émus de cette éviction. Ce dernier explique dans un post LinkedIn "Nous sommes nombreux à être choqués ce matin par le débarquement d' Emmanuel Faber de la présidence. Et de son remplacement par un électricien de 62 ans. Si l'homme est sans doute brillant, le signal envoyé est dramatique et inquiétant : le OnePlanetOneHealth a du plomb dans l'aile. Certains comme Auriac Vincent interpellent les autres actionnaires, d'autres comme Rémy Gerin proposent d'acheter symboliquement des actions en signe de résistance. Ce matin, j'ai envie dire : #JeSuisDanone : Je suis pour une alimentation responsable qui préserve les ressources et les revenus de ceux qui les produisent, une alimentation qui entretien et préserve la biodiversité et les écosystèmes".  Michel Coudougnes, coordonnateur SNI2A CFE-CGC se dit "inquiet pour l'emploi. Cette situation semble donner raison aux fonds activistes qui avec quelque 3% du capital arrivent à bouleverser un conseil d'administration". Il a rappelé qu'à l'initiative du président sortant, Danone est devenu en juin 2020 la première entreprise à mission cotée en Bourse, et que la "majorité des salariés a adhéré à ce projet-là. Cela permettait de construire sur l'avenir. Aujourd'hui les cartes sont rebattues, est-ce que ce projet tient toujours ? On a besoin d'avoir des réponses".

Emmanuel Faber a commencé sa carrière comme banquier d'affaires. Il entre en 1997 à Danone où il devient le "lieutenant" de Franck Riboud, fils du fondateur Antoine Riboud. Il est nommé directeur général en 2014. Arrivé dans un climat morose, Emmanuel Faber orchestre le rachat du géant du bio WhiteWave (valorisé 12,5 milliards de dollars), la plus grosse acquisition du groupe en dix ans qui le fait entrer de plain-pied sur le marché américain. Un haut cadre du groupe, cité par l'AFP,  le décrit comme "un Janus, un homme qui a deux visages. Il peut être humaniste, inspirant et pénétré, dans ses discours sur la transformation du monde. C'est aussi un capitaine d'industrie, un financier, ancré dans une culture de banquier d'affaires. Dès qu'on parle de deal ou de pognon, il peut avoir un goût de sang dans la bouche. Il est capable d'être les deux, ça peut être déstabilisant. Mais il n'est pas hypocrite", affirme cette source. Un syndicaliste loue lui un patron "très accessible auprès des partenaires sociaux", soucieux d'expliquer sa stratégie. Quand un autre tranche: "quand il y a un choix à faire, c'est l'économie qui l'emporte sur le social". Trois des quatre organisations syndicales du groupe ont défendu sa gouvernance quand les fonds d'investissement ont demandé sa tête. Quant aux milieux financiers, "il les agace certainement un peu", résume un analyste, pour qui il est perçu "comme étant un peu le Steve Jobs de l'agroalimentaire": il partage avec le cofondateur d'Apple le goût des cols roulés et l'évocation d'une vision "à très long terme"

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