Podcast : les marques sont-elles vraiment prêtes ?

Pénélope Boeuf

Les marques sont-elles vraiment prêtes à se lancer dans le podcast ? Quel ROI attendre de l’audio ? Comment s’y prendre ? Pénélope Bœuf, podcasteuse et fondatrice du studio de production de podcasts « La toile sur écoute », porte un regard acerbe sur le podcast de marque. Auteure d’un livre à paraître le 6 mai prochain chez Flammarion, elle propose des formations au podcast en agences, du conseil en storytelling ou la création de podcast « pour parler autrement ».

Aujourd’hui, quelles sont vos créations audio ?

J’ai lancé trois chaînes de podcasts : « L’arnaque », des chroniques courtes sur la vie d’une trentenaire parisienne ; « Pique Parole », des portraits de personnalités au parcours extraordinaire racontés à la première personne du singulier ; « 1, 2, 3… Fictions », des fictions audio de huit épisodes de 15 minutes (KUPLA, RAP&ROLL, SIRI). J’ai décliné parce que je ne voulais pas me cantonner dans un seul format, la chronique. J’ai voulu m’essayer à d’autres exercices dans le but de montrer aux marques que je savais faire différent. Quand je fais des reco à des marques, je leur propose une variété de formats.

Comment en êtes-vous venue à la création de podcasts ?

J’ai fait quatre ans de droit et Audencia, parce que je ne savais pas ce que je voulais faire et je pensais que ça m’ouvrirait des portes. En sortant d’Audencia, j’ai trouvé un job au Publicis Drugstore, je m’occupais de la communication du Drugstore. Ensuite chômage. Puis j’ai gagné un concours pour être animatrice sur la matinale de Ouï FM : on m’a toujours dit que j’avais une voix, j’ai testé, je me suis retrouvée animatrice du jour au lendemain, pendant une saison. En parallèle, j’enchaînais chez M6 où je m’occupais de la communication des chaînes musicales. J’ai continué mon parcours chez Groupon pendant deux ans, où j’ai appris à travailler énormément.

Vous avez également lancé une startup…

A un moment je me suis dit : si je sais travailler autant, pourquoi je ne le ferai pas pour moi ? Avec une copine, on a monté Eat your box, sur le modèle des box par abonnement. Tous les mois vous recevez une boîte surprise avec des produits culinaires et des recettes. On a monté ça en un mois, et au bout d’un an et demi on faisait 850 000 euros de chiffre d’affaires. On s’est fait approcher par Reworld Media, qui voulait nous racheter pour développer leur e-commerce. Après trois mois de négociation, on a vendu 500 000 euros.

Le déclic est apparu à quel moment ?

Je me suis retrouvée à nouveau à ne pas savoir ce que je voulais faire, mon associée est partie vivre à l’étranger, je me suis retrouvée seule. Après une descente aux enfers pendant huit mois, j’ai trouvé un job au Cristal Festival, où je m’occupais d’organiser des conférences autour du digital, pendant un an et demi. Ils ne pouvaient plus nous payer, je me suis à nouveau retrouvée au chômage. Je me suis retrouvée ensuite directrice évènementiel chez NRJ pendant un an et demi, et un ancien boss de chez Groupon m’a appelé pour que je monte le département évènementiel du guide Michelin. J’ai fait ça pendant huit mois, le temps de ma période d’essai, jusqu’au moment où je me suis dit « en fait, je crois que j’ai envie de faire quelque chose pour moi, qui m’anime ». J’ai quitté le guide Michelin et lancé mon studio de podcasts, la Toile sur Ecoute, en octobre 2018.

Pourquoi le podcast ?

Je ne savais pas du tout ce que c’était un podcast. Ce qui m’animait c’était le projet, la nouveauté, les perspectives. Je me suis intéressé au sujet, j’ai trouvé ça passionnant. J’avais adoré mon expérience à la radio, donc j’aimais bien le média de la voix, de l’intime. On fait passer des messages, ça fait travailler l’imaginaire. Il y avait un côté artistique et un côté business, parce que l’idée c’était d’accompagner les marques. Moi j’avais fait quand même dix ans de business donc ça faisait sens. Au fond de moi, je savais que j’avais quelque chose de très créatif. Donc je cumulais les deux.

C’est quoi « un bon podcast » pour une marque ?

C’est un podcast qui ne parle pas explicitement de la marque. C’est un podcast qui, par son contenu, est bon par définition. Il faut que le contenu du podcast soit en lien avec la marque mais de façon détournée. Par exemple, moi je prône les fictions pour les marques. Parce que ça permet de raconter une histoire – chose dont les marques ont besoin – à travers un spectre complétement différent. Donc l’idée est de raconter une histoire en lien avec l’histoire de la marque, ou avec les problématiques de la marque, mais sans citer la marque. Cela reste une fiction, donc à aucun moment on sait que c’est la marque, on le sait juste parce que sur la vignette du podcast, il y a le nom de la marque.

Pourquoi la fiction plus qu’un autre format ?

Il peut y avoir d’autres contenus, mais la fiction permet de faire voyager l’auditeur. C’est un peu le nouveau format : si tout le monde aime les films, tout le monde peut aimer les podcasts de fiction. C’est exactement la même chose, sans les images. Si une fiction est bien réussie, quand on ferme les yeux, on voit les images dans sa tête : parce que la réalisation sonore, l’écriture et le jeu des comédiens sont très bons. A travers une fiction dans laquelle on est embarqué, à la fin si on trouve que l’histoire est géniale, ça veut dire que la marque est géniale et hyper créative, on a envie d’aller voir ce qu’elle fait.

Le format classique de l’interview est-il trop galvaudé ?

Cela peut être aussi du format interview – mais aujourd’hui 90% des podcasts sont des interviews, de la conversation – ce n’est pas comme ça, je pense, qu’une marque peut émerger avec son podcast. Cela peut être aussi le format reportage, sur comment sont faits les produits de la marque, en mode documentaire dans les usines, etc. Mais on raconte une histoire. L’idée, a priori, si la marque fait un podcast, c’est parce qu’elle veut raconter une histoire. C’est à ça qu’elle doit penser quand elle crée un podcast, et surtout pas se dire « je fais un podcast parce qu’il faut faire un podcast ».

Le podcast, un passage obligatoire ?

Oui, en effet, le podcast est un média sur lequel il faut être. Si on est un média c’est sûr, si on est une marque, oui et non. Si on n’a rien à raconter, ça sert à rien, ça n’a pas de sens. Il faut en faire un quand on a un objectif derrière et s’il y a un message à faire passer, qu’on n’arrive pas à faire passer autrement que par la voix. On peut communiquer en print, en digital, en télé, en radio, mais le podcast permet de raconte quelque chose sur la longueur, de créer une intimité avec ses clients, d’attirer des nouveaux clients en apportant une nouvelle image de marque.

Le marketing de la marque doit DONC accepter d’être moins poussif...

Exactement. Si je vois une marque en 4 par 3 dans le métro, je ne vais pas forcément acheter le produit. Si je vois une phrase rigolote qui n’a rien à voir, et je vois que c’est signé du nom de la marque, là cela m’intéressera plus. Plus c’est évident, moins on a envie d’y aller. Plus on se donne, moins on a envie. Il faut aller dans du subtil, il faut accepter que le nom de la marque ne soit pas l’identité de la marque. L’identité de la marque, c’est ce qu’elle raconte. Et de plus en plus, les gens ont besoin d’histoires, ont besoin de savoir ce que la marque a dans le bide, ses valeurs, comment ça fonctionne dans le fond : qui est-elle vraiment ?

Quelle place pour un podcast dans un plan média ?

Le podcast doit de toute façon être accompagné d’un plan de communication. Soit on shoote un podcast dans le cadre d’une stratégie digitale, et dans ce cas il doit s’inscrire dans la durée, avec des rendez-vous toutes les semaines ou tous les mois ; soit on décide de produite un podcast en one shot pour un lancement de produit ou un coup de com, et dans ce cas-là on peut se permettre de diffuser 8 épisodes d’un seul coup, une saison tout de suite. Dans les deux cas, le podcast en lui-même doit s’accompagner d’un communiqué de presse, de diffusion sur les réseaux sociaux, etc.

Une marque doit-elle privilégier le sponsoring de podcasts ou créer son propre podcast ?

Le sponsoring en pré-roll, pourquoi pas, mais il va falloir bastonner sur beaucoup de podcasts différents, ciblés, pendant longtemps. Si vous faites un seul pré-roll, d’un seul épisode, d’un seul podcast, aucun intérêt. Le problème que la marque va rencontrer, c’est que le podcasteur ne voudra pas avoir la même marque pendant dix épisodes de suite. En plus, le texte de la publicité doit être changé régulièrement, adapté. En termes de notoriété, c’est mieux de faire un podcast de marque : on maîtrise son image, on raconte ce qu’on veut, on push comme on veut, on adapte la communication qui va avec comme on veut. Et c’est beaucoup plus fort. Pour un lancement de produit, le pré-roll est bien. Mais pour la notoriété globale d’une marque, pour les fondations, il faut qu’elle produise son propre podcast.

Les marques sont-elles prêtes à passer au podcast ?

Les marques se posent la question du ROI du podcast. Evidemment c’est intrackable : on ne sait pas d’où vient l’auditeur, etc. C’est leur première interrogation. Un podcast, ça coûte moins cher que la vidéo mais ça coûte quand même de l’argent : création du concept, écriture, réalisation, production, ça demande du monde, du temps. On croit que cela se fait en deux minutes, mais c’est quand même un petit budget. Elles ont envie de se lancer, parce que c’est la tendance. Mais je crois qu’elles ne sont pas prêtes à faire du podcast créatif, pour obtenir un contenu qui émerge parmi tous les contenus existants. Elles veulent que leur marque soit citée tout le temps dans le podcast, et ça ne fonctionne pas. Celles qui sont davantage prêtes, ce sont les petites entreprises, start-ups, PME, plutôt que les grands groupes, parce qu’elles sont en test-and-learn.

Faut-il attendre du podcast un ROI significatif ?

A long terme, c'est ROIste. A court terme, c’est de la pure notoriété, du pure branding. La marque véhicule un message à sa communauté sous un format différent. C’est donc ROIste à long terme, tout comme l’affichage. Et pourtant, on ne se pose pas la question de faire de l’affichage. Alors que c’est exactement le même sujet. Les agences média doivent pousser dans ce sens-là, en expliquant que c’est un investissement sur le long terme, en privilégiant un podcast qui ne soit pas en one shot, mais une prise de parole régulière, pour renforcer sa communauté, pour créer une vraie intimité avec ses auditeurs. Et insister : pour émerger, il faut faire différent, en fonction de son propre ADN et de ses valeurs.

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