Albin Serviant : « Têtu est rentable »

Albin Serviant

CB News a rencontré l’actionnaire majoritaire du magazine gay Têtu, Albin Serviant. L’entrepreneur de la tech annonce que son média a retrouvé la rentabilité et mise tout sur la diversification en s’inspirant des médias communautaires anglo-saxons « qui fonctionnent très bien ».

En février 2018, Albin Serviant reprend le média gay Têtu avec un collectif d’amis entrepreneurs « qui ne réfléchissent même pas avant de dire oui, tellement la marque est très forte ». Avec ses copains DRH, de la Tech, chasseurs de têtes et Marc-Olivier Fogiel, il reprend le titre. Le collectif s’associe à Hervé Labeille, le second actionnaire le plus important « et qui connaît très bien l’écosystème média ». Têtu avait été vendu en 2013 par Pierre Bergé pour un euro symbolique à Jean-Jacques Augier. L’homme d’affaires tiendra jusqu’en 2015, date à laquelle le titre se présente devant le Tribunal de commerce qui décide de sa liquidation judiciaire.

Pour relancer Têtu, Albin Serviant - qui vit à Londres et est président de la French Tech locale - a un modèle, et il est anglo-saxon. « En Angleterre, il y a quatre marques qui fonctionnent très bien », dit-il, citant notamment le magazine Attitude. Albin Serviant a un objectif clair. Il veut « sortir la marque du magazine », et donc diversifier les activités du média. Première étape, le support papier : « on l’a premieumisé, avec une nouvelle direction artistique ». Plus de lifestyle, de voyage, de la santé, de la mode. « Les annonceurs sont revenus », indique fièrement le serial entrepreneur, qui a lancé de nombreuses entreprises (iBazar, LibertySurf, Musiwave ou EasyRoommate). Des hors-séries sont aussi au programme. Le premier pour octobre 2019, le second pour mars 2020. Côté web, l’agence Cosavostra a accompagné la refonde du site de Têtu, qui affiche aujourd’hui, selon Albin Serviant, 1 million de visiteurs uniques par mois.

« Têtu reste une marque gay masculin »

Une partie est réservée au contenu premium. Car Têtu a choisi le modèle économique du membership, encore une fois d’inspiration britannique. « Comme au Guardian, ce sont les lecteurs qui choisissent le montant de leur abonnement », explique Albin Serviant. Les abonnés sont ici des « soutiens », qui ont accès au magazine papier, à un club et des articles premium. Ils sont environ 2500, et donnent en moyenne 8€ par mois (le minimum est de 5,90€ par mois). « Têtu reste une marque gay masculin », précise l’entrepreneur, qui ne souhaite pas changer de cible. Et pour cause, le pari est tenu : le magazine est aujourd’hui rentable, annonce Albin Serviant, et ceci uniquement avec les ventes au numéro : 30 000 sont vendus en moyenne chaque trimestre, pour une diffusion totale à 60 000. « La marque est légitime » et depuis peu, le titre a accès des aides grâce à sa classification « Information politique et générale » (IPG) par la Commission paritaire des publications et agences de presse (CPPAP). Un critère d’assortiment de la presse qui oblige les kiosquiers à vendre le titre, et à mieux le ranger dans les étagères : exit le rayon presse érotique, utilisé à tord, se félicite Albin Serviant, qui déclare : « on travaille beaucoup à la présentation du magazine par les kiosquiers ».

L’équipe de Têtu, ce sont six personnes en CDI. Antoine Patinet, anciennement chez L’Obs et La Tribune, a rejoint la rédaction en avril au poste de directeur adjoint. Il vient seconder le directeur de la rédaction Romain Burrel, qui participe davantage à la mise en place de la stratégie de diversification souhaitée par M. Serviant. « Les médias qui marchent sont ceux qui ont une communauté », assure-t-il. Et comment se bâtir une communauté tout en diversifiant ses sources de revenu ? Par la création d’un festival, « Paris est Têtu », d’une boutique en ligne, d’un forum Têtu Connect pour faire avancer la cause dans les entreprises, d’un pop-up store éphémère pendant la pride parisienne, ou par le développement d’un projet tech.

Un projet tech et un festival

Têtu a en effet obtenu 250 000 euros du « Digital News Innovation Fund » de Google, pour développer un projet intitulé « Minority Report ». Prévu pour mars 2020, son but est de faciliter l’émergence des voix marginalisées dans l’espace médiatique, via la mise en place d’une plateforme digitale construite sur des API (interface de programmation), qui permettra aux médias de mettre en valeur les voix marginalisées des personnes LGBT+, sur les réseaux sociaux mais également sur leur propre page « Minority Report ».

A côté de cette activité tech à l’étude, dont le développement débutera en septembre, Têtu a lancé son festival en partenariat avec Décibels Productions,  « Paris est Têtu », qui se tiendra à l’hippodrome d’Auteuil les 21 et 22 septembre prochains. 65€ les deux jours : « l’argent rentre par les ventes au billet, et la présence de sponsors », précise l’entrepreneur. Un festival qui a vocation à se propager : des éditions seront organisées en régions. « C’est l’ADN de la marque. Ce mélange avec la culture pop, c’est Têtu ».

Du conseil et des paillettes

Le média se diversifie aussi dans le conseil auprès des entreprises. Avec « Têtu Connect », il organise des diners privés pour mettre en avant des role models, comme le patron gay de BP UK. « C’est très anglo-saxon », rappelle Albin Serviant, dont l'inspiration reste outre-Manche. Après avoir organisé une première conférence en octobre dernier, qui a rassemblé 150 personnes, l’entrepreneur a décidé d’étendre le modèle. Au programme pour les entreprises qui financent le forum : un site réservé avec un annuaire, des conférences, des dîners/débats, des workshops dans les entreprises et un gala annuel. 11 entreprises sont déjà engagées. « L’objectif, c’est de signer tout le CAC40 », vise Albin Serviant.

La diversification du magazine continue lors de la marche des fiertés parisienne, fin juin dernier. Pas de char, mais un pop-up store éphémère « Le bar à paillettes », en partenariat avec Ralph Lauren et Oreo. « Et pourquoi pas un lieu permanent ? », s’interroge l’actionnaire majoritaire du média. Un pop-up qui a fermé ses portes mais qui a laissé derrière lui une boutique en ligne bien réelle : mode, goodies, et bientôt, un jeu de société « Blanc Manger Coco » spécial Têtu, qui sera disponible en novembre 2019. La rédaction travaille avec l’agence Arboresens, qui gère le licensing et développe la marque Têtu.

Objectif : 75% du CA dans la diversification

Mais ce n’est pas tout, car la stratégie de diversification fonctionne à plein. Le magazine s’est également associé à la plateforme de financement participatif Ulule pour soutenir davantage les projets LGBT+. Plus récemment, Têtu a créé des guides touristiques qui présentent cinq destinations LGBT+ friendly pour la société TripAdvisor. « Le magazine est rentable mais les activités de diversification demandent de l’investissement, et cela prend du temps », temporise Albin Serviant. Aujourd’hui, 75% du chiffre d’affaires est apporté par la vente du magazine, la publicité - les espaces sont commercialisés en externe par la régie MediaObs - et les abonnements. Les 15% restants sont de l’ordre de la diversification. L’objectif : « dans trois ans, ça doit être l’inverse », ambitionne le propriétaire.

L’année prochaine, Têtu fêtera ses 25 ans et a pour objectif d’être rentable sur l’ensemble de ses activités fin 2020. Les ventes au numéro devraient atteindre 50 à 60 000 exemplaires, selon Albin Serviant, qui se veut prudent : « je ne parierai pas sur un doublement des ventes ». Albin Serviant est par ailleurs co-fondateur et directeur de l’accélérateur de start-ups « Founders Factory Paris », qui ouvrira à la rentrée. « Du coup, je reviens à Paris à plein temps, je pourrais consacrer davantage de temps à Têtu et je serais plus proche des équipes que je compte renforcer d’ici à la fin d’année ».

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