Aloïs Bazin de Jessey (Pressmium) : « la période risque d’être dramatique pour les petits éditeurs »

Alois Pressmium

A l’heure du confinement généralisé, les Français consomment davantage de presse en ligne, et optent pour des contenus souvent gratuits. Comment inciter les lecteurs à franchir les paywall ? Pressmium,  qui se revendique comme le « Spotify de la presse », propose un nouveau modèle par abonnement qui offre un accès unique et lisible à la presse en ligne. CB News a rencontré Aloïs Bazin de Jessey, cofondateur et CEO de la startup.

Quelle est la genèse de Pressmium ?

Il y a un an et demi, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait un décalage entre l’offre actuelle dans l’information et l’usage. Il y avait trois types d’acteurs : les médias, qui proposent du contenu de grande qualité mais chacun leur offre, leur application, et peu de services aux lecteurs. Les réseaux sociaux - agrégateurs qui sont extrêmement utilisés, mais qui offrent de l’information peu qualitative et participent à la diffusion des fake news, et puis les kiosques numériques, avec une consommation linéaire, par titre. Ces trois types acteurs ne répondaient que partiellement à l’usage des lecteurs.

Nous avons alors imaginé Pressmium à partir de quatre grands piliers. D'abord une plateforme multi-sources avec des articles de fond normalement réservés aux abonnés, une application transversale en termes de points de vue et de thématiques. Ensuite, une interface ergonomique avec un accès direct aux articles. Notre service est personnalisé et pousse le contenu en fonction du profil du lecteur. Et enfin un pilier communautaire : il faut développer l’interaction sur Pressmium, parce que l’information se partage, se commente, etc.

Notre modèle est simplement calqué sur ce qui se passe dans la musique ou dans la vidéo. Les médias sont plus forts en mutualisant les forces marketing et techno, afin de répondre aux nouveaux usages des lecteurs.

Quelle différence avec Blendle ?

Blendle est majoritairement présent dans deux pays (Pays-Bas et Allemagne). Ce service a été construit en 2014 par des journalistes, dans le but de proposer une plateforme de consultation d'articles de presse de grands médias. A l'époque, les technologies de personnalisation et d'analyse sémantique n'étaient pas encore ce qu'elles sont aujourd'hui.

De notre côté, j'ai co-fondé Pressmium avec une équipe d’ingénieurs et en partenariat avec le centre de recherche de l’Inria pour tirer parti des dernières innovations. Et puis, nous nous intéressons à toute la presse, notamment la presse indépendante. Nous travaillons d’ailleurs avec Médiacités et Arrêt sur images, qui ont accepté notre modèle. Notre approche est très différente.

Pourquoi avoir entrepris dans le secteur des médias ?

Avec Walid, mon co-fondateur, on se connait depuis très longtemps. Nous avons un parcours assez complémentaire - j’ai fait l'EDHEC, lui Polytechnique. Ensemble, à l'âge de 20 ans, nous avons créé une agence digitale dont nous ne sommes actuellement plus aux manettes. Cela nous a donné une première expérience de l’entrepreneuriat. A la fin de nos études, nous souhaitions nous lancer dans un projet de grande envergure.

L’information est un secteur que Walid, mon co-fondateur, connaissait bien - sa famille étant liée à Presstalis -, on voit que les GAFA s’intéressent beaucoup à ce secteur-là, que les médias français en sont extrêmement dépendants : ce n’est pas normal, il fallait qu’en France on puisse avoir d’autres acteurs pour casser le monopole. C’est beaucoup plus sain d’avoir de la concurrence. Et surtout, les têtes pensantes de la tech dans ce secteur - chez Google, Apple, Facebook - sont souvent des Français. Nous avons les ressources pour développer de beaux projets ici.

Pressmium

Comment concluez-vous vos deals ? Au cas par cas avec chaque média ?

Dans un secteur comme celui-ci, il ne faut surtout pas la jouer solo. Nous co-construisons un modèle qui est le même pour l’ensemble de nos partenaires médias. Nous sommes allés voir les syndicats très tôt, l'Alliance de la presse d'information générale, le Geste (groupement d’éditeurs de contenus et services en ligne), etc. Nous avons essayé de comprendre quel modèle était le plus pertinent pour nos partenaires, tout en répondant aux attentes des lecteurs.

Pressmium se base sur un abonnement mensuel d'une dizaine d'euros, et nous redistribuons 65% de nos revenus aux éditeurs. Ces derniers se partagent cette enveloppe au prorata de la consommation sur la plateforme. Nous avons également pris en compte qu’une brève people ou sportive et une enquête de la presse indépendante ne se valorise pas de la même manière, ça n’aurait pas de sens. Il fallait donc trouver un système qui valorise équitablement le travail journalistique.

Des articles sont-ils davantage mis en valeur ?

De manière générale, on arrive à un moment où on trouve de l’information à foison et on se rend compte que c’est la qualité et l’originalité qui prime. Chez Pressmium, on a fait le choix de mettre en avant les informations travaillées, originales et avec une grande valeur ajoutée. C’est notre postulat. On a par exemple mis en place un algorithme pour éviter les doublons : si quelqu’un reprend à 100% une dépêche AFP, on va retirer l’article parce qu’il n’apporte pas d’informations complémentaires.

Pressmium

Votre modèle peut-il aider la presse indépendante ?

Il y a d’abord une question démocratique : je trouve complètement anormal que lorsque Streetpress ou Ouest-France sort une belle enquête, le média qui arrive en tête sur Google News soit souvent, in fine, un quotidien national. Ça n’a pas de sens. Le nerf de la guerre, il est là. Quand tu n’as qu’un seul canal de diffusion, ce canal impose sa loi. D’autant plus quand ce canal est gratuit et que son business modèle repose sur une publicité toujours plus personnalisé, quitte à être moins variée. Notre algorithme de personnalisation est lui libre de toute contrainte, et ne tient compte que de la pertinence de l'info, puisque les gens paient. Donc oui, on aide nos partenaires du Spiil, parce que leurs articles sont relayés plus équitablement sur Pressmium.

De quoi vit Pressmium aujourd'hui ?

Nous sommes soutenus financièrement par la BPI, des organismes d'entrepreneurs ou encore l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numériques) dans notre développement. De plus nous avons la chance d'être accompagnés par l'Edhec et d'être incubés à Station F. 

La crise sanitaire peut-elle être une opportunité pour votre modèle, pour la presse ?

Je pense que ce qui prime c'est l'inconnu. La période risque d’être dramatique pour les petits éditeurs, et les grands médias souffrent. La chute de Presstalis était déjà périlleuse, la crise n'arrange les affaires de personne. En revanche on constate une augmentation significative de la consommation. Les lecteurs, confinés chez eux, se tournent vers les plateformes de contenus de divertissement et d’information comme Netflix ou Pressmium.

Nous n'en sommes qu'au début de la deuxième semaine, mais on peut déjà affirmer que les fake news vont succéder aux rumeurs, et que les médias, Pressmium y compris, doivent prendre leurs responsabilités. Après tout, « en guerre », chacun doit faire sa part ! Demain, le numérique risque de s’être imposé brutalement dans les usages des lecteurs durant la période qu'aura duré cette pandémie. Les cartes seront rebattues.

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