Carton rouge et écran noir pour Telefoot

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(© Nathan Rogers, unsplash)

Cela a commencé par une énorme surprise, en 2018, s'est poursuivi par pas mal de patience jusqu'en août 2020 pour s'achever par ce qui ressemble en décembre, à s'y méprendre, au plus grand fiasco de l’audiovisuel français. La chaine dédiée à la diffusion de la Ligue 1 et Ligue 2 de football pour 4 ans, Téléfoot, est sur le point de disparaître du paysage français en moins de temps qu'il lui en aura fallu pour se bâtir, 4 mois. Sa maison mère, le groupe sino-espagnol Mediapro, est dans le tourbillon depuis son refus de verser à la Ligue de football professionnel (LFP), d’abord en octobre puis un décembre, un montant global d’environ 325 millions € de droits TV, invoquant notamment la crise sanitaire. Depuis, la confiance est rompue et le branle-bas de combat est signifié à tous les étages des instances du football français, LFP, clubs et Fédération française de football (FFF)… La décision de mettre fin au contrat entre le Ligue et Mediapro était devenu inéluctable, un accord de retrait a même été acté vendredi, a indiqué Mediapro, sans plus de détail. Celui-ci, négocié avec le mandataire judiciaire Marc Sénéchal, pourrait être homologué rapidement, entre le 17 et 22 décembre, évoque-t-on, par le Tribunal de commerce de Nanterre, permettant ainsi à la LFP de reprendre la main sur les droits TV. En échange, croit-on savoir, Mediapro aurait négocié sa sortie à hauteur de 100 millions € (64 M€ tout de suite et 36 millions à verser en 2021) avec l’engagement de la Ligue de ne pas entamer d’action en justice contre son presque ex-partenaire qui devait lui apporter, à l’origine chaque saison, près de 830 millions € sur un total de 1,153 milliard € pour la Ligue 1, comprenant ainsi les lots détenus par beIN Sports et Free. Si, concrètement la chaine Téléfoot pourrait diffuser les matches jusqu’au 23 décembre, il semble qu’un délai puisse lui être octroyé jusqu’à fin décembre afin d’éviter l’écran noir entre son retrait et l’arrivée rapide d’un nouveau diffuseur. Un appel d’offres s’avérerait bien trop long à mettre en place.

Pas de réinvestissement « à perte » pour Canal+

Depuis, un seul nom est sur toutes les lèvres : Canal+. Le grand perdant de l’appel d’offres de 2018, sorti bredouille à la surprise générale alors qu’il était le diffuseur historique du football français depuis 1984. Le groupe présidé par Maxime Saada est pour l’heure dans l’attente, rien ne presse pour lui. Il est surtout en position de force pour être à même de négocier son retour en grandes pompes alors qu’il propose déjà sur ses antennes deux matches de Ligue 1 par journée de championnat, lot négocié dès fin 2019 et sous-licencié par beIN Sports pour 330 millions € annuels, prix coûtant. Ce qui en l’état, le satisfait déjà pleinement. Et puis, M. Saada l’a toujours dit : il ne réinvestirait pas « à perte » dans le football. Le directeur des antennes de Canal+, Gérald Brice-Viret, ne disait pas autre chose mercredi dernier dans une interview à Europe 1 : « Notre objectif, c'est bien sûr d'aider à la renaissance de la Ligue 1 (...) mais il faut que les prix ne soient pas hors sol ». De quoi doucher quelques ardeurs mal placées et revoir largement à la baisse un contrat avec la LFP. On évoque le plus souvent une proposition de l’ordre de 590 millions € par saison avec un bonus de 100 millions € corrélé à une évolution du parc d’abonnés à la chaine cryptée. Canal+, seule solution de repli pour la LFP, alors ? Peut-être. Peut-être pas… Une possibilité pour les plateformes de s’immiscer, à l’image d’Amazon qui a mis la main sur l’un des lots mis en concurrence pour la diffusion du Tournoi de Roland Garros 2021 ? Une chose est sûre, le temps presse.

Depuis son apparition sur le marché français en 2018, le groupe Mediapro a toujours fait face a beaucoup de scepticisme. De la part du groupe Canal+ lui-même et de son président du directoire Maxime Saada, qui n’a eu de cesse depuis l’attribution du marché de la Ligue 1et Ligue 2 français au groupe sino-espagnol, de douter non seulement des capacités financières de son concurrent mais aussi, et surtout, de sa capacité à rentabiliser son investissement. Si l’on pouvait à l’époque mettre ces positions sur le compte d’une amertume légitime à avoir perdu un produit-phare de Canal+, force est de constater que le présent lui aura donné raison, même si la crise sanitaire est passée par là. Et puis, ensuite, quelques alertes se sont faites jour, comme la perte par Mediapro des droits de la Série A (équivalent italien de la Ligue 1 française), faute de garantie bancaire dès 2018. Et puis la confirmation, pour sa première conférence de presse en France dès la fin mai 2018 par Jaume Roures, le fondateur du groupe Mediapro, d’un abonnement à 25 € par mois (en réalité, aujourd’hui, l’abonnement est à 25,90 euros par mois avec un engagement d'un an, ou 29,90 euros par mois sans engagement) qui avait fait s’écarquiller bien des yeux et engendrer bien des mines dubitatives. Déjà. Avec 600 000 abonnés revendiqués il y a quelques semaines à peine par M. Jaures, la marche était encore (très) longue, surtout avec les 3,5 millions d’abonnés en ligne de mire. Objectif affiché clairement par le dirigeant catalan.

TF1 et Mediapro, l’alliance surprise

Et pourtant, Mediapro avait finement joué le coup avec l’annonce surprise, en juin 2020, d’un accord avec le groupe TF1 pour récupérer la marque Téléfoot. Et ainsi se voir déléguer son duo-star Grégoire Margotton et Bixente Lizarazu pour assurer les commentaires des grosses affiches de Ligue 1 et de se voir produire un magazine récurrent. Le tout, estimé à 5 millions € par an dans la poche de TF1, permettait de s’éviter pas mal de travail de fond sur la notoriété de la nouvelle chaine dont les contours et le lancement, à ce moment-là, semblaient bien flous pour être sur pied avant la date du début de championnat de football 2020-2021, fixée à fin août. Le vendredi 21 août, Téléfoot se lançait tout de même, enfin, dans le grand bain avec sa toute première affiche, Bordeaux-Nantes, alors qu’un plus alléchant Marseille-Saint Etienne était à l’origine prévu. Un signe ? Mais la crise sanitaire battait son plein. Pour la chaine, l’été avait été cependant très studieux. Sous la houlette de Julien Bergeaud, directeur général de Mediapro France, et de Jean-Michel Roussier, ancien président de l'Olympique de Marseille et de l’AS Nancy Lorraine, nommé en mars dernier directeur conseil, délégué sur l’Antenne et les Programmes, la chaine recrute une cinquantaine journalistes mais aussi des consultants, des techniciens… Pour eux, réunis en visioconférence vendredi, le verdict est tombé par la voix de M. Bergeaud : « c’est fini ». D’abord catastrophe économique et financière. Catastrophe humaine, maintenant… Contactée par CB News, une porte-parole du groupe TF1 nous a indiqué : « avant tout, notre soutien aux équipes de la chaîne qui ont porté ce projet avec professionnalisme et engagement ». Quant à savoir si dans ce battage médiatique à tout le moins défavorable, la marque emblématique de la Une, Téléfoot, n’allait pas sortir écornée de cet épisode ? Chez TF1, une fois encore, on ne s’inquiète pas trop : « Il n’y aura pas d’impact car Téléfoot est une marque historique qui existe depuis plus de 40 ans avec une très forte notoriété. Les audiences de l’émission (sur TF1, ndlr) se portent très bien », assure encore la porte-parole.

Des opérateurs et abonnés dans l’expectative

Et maintenant ? Que va-t-il se passer avec les opérateurs avec lesquels Mediapro a signé des contrats de distribution ? Orange, SFR, Bouygues Telecom et Free ont en effet tous signés avec le groupe pour diffuser la chaine. « Évidemment si Mediapro cesse d'émettre, ne diffuse pas de matches, et que sur un mois nos clients n'ont pas le service auquel ils se sont abonnés, ils ne seront pas facturés », assurent les opérateurs, cités par l’AFP, encore en attente comme tout le monde d'une notification officielle de l'arrêt de la chaîne. De son côté, la Fédération française des télécoms, qui défend les intérêts des opérateurs, demande « instamment » à la LFP que les droits des distributeurs et de leurs clients soient préservés, et ce « quelle que soit la suite des événements, l'enjeu de notre secteur reste la protection de ses abonnés ». Justement, les abonnés actuels à Téléfoot seront-ils les dindons de cette mauvaise farce ? « Dès lors que vous ne verrez plus rien à l'antenne, vous pourrez réagir », explique à l'AFP Raphaël Bartlomé, responsable juridique de l'UFC Que Choisir. Ainsi, lorsque abonnés constateront la fin de la diffusion du championnat, et quel que soit leur mode d'abonnement, ils pourront arrêter de payer les mensualités, notamment en mettant fin aux règlements bancaires. « Il n'y a aucun risque juridique. C'est un principe du code civil, transversal dans tous les contrats", assure M. Bartlomé. Il conseille tout de même par « prudence » d'adresser un email au service client pour l'informer de l'arrêt des paiements. Toutefois, prévient-il, pour ceux qui ont payé leur abonnement d’avance directement à la chaine, un parcours du combattant s’annonce, surtout si elle est placée en redressement judiciaire. La probabilité de récupérer quelque chose est « très très faible », assène Raphaël Bartlomé. En attendant, Mediapro qui a donc mis fin à la possibilité de s'abonner à sa chaine Téléfoot, a mis en ligne dimanche de nouvelles offres commerciales afin d'engranger quelques euros avant la fin de son contrat. Elles prennent la forme, jusqu'au 23 décembre, d'un véritable pay-per-view avec trois tarifs possibles : un Pass journée à 3,90€, un Pass 3 jours à 6,90€ ou un Pass Semaine à 9,90€.

En 4 mois, de la splendeur factice à la descente aux Enfers résolue. Avec Mediapro et Téléfoot voient s’allonger la longue liste des échecs des chaines sportives depuis une quinzaines d’années : CFoot, TPS Star, Orange sports. Des chaines qui n’ont pas pu ou su s’imposer dans le paysage. Il est aujourd’hui encore bien tôt pour pointer toutes les responsabilités du fiasco sans précédent de Mediapro en France, l’Histoire tranchera. Le groupe audiovisuel ne s’est pas montré à la hauteur de la barre qu’il s’était lui-même fixé alors que le football français pourra difficilement s’exonérer de ses errements, ni plaider l’amnésie, ébloui qu’il a été, comme des papillons sans les phares, par ce milliard d’euros à atteindre qui satisfaisait tout le monde en 2018. Quitte à prendre quelques largesses avec les certitudes d'avoir affaire à un groupe aux épaules aussi larges qu’il le prétend, et pourtant si incontournable depuis de très longues années sur son territoire domestique, l'Espagne. La leçon est rude et sera tenace. Elle laissera des traces dans un secteur où les droits TV ont perdu la tête. Mais pour l'heure, place au Sauveur. S’il n’en reste qu’un…

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