Christophe Sommet (groupe TF1) : « Avec la chaine Ushuaïa TV depuis 20 ans, il nous faut nourrir l’accessibilité et la légitimité de nos programmes »


En 2025, Ushuaïa TV fête ses 20 ans. L’occasion pour le directeur du pôle Thématiques du groupe TF1, Christophe Sommet, de revenir pour CB News sur les fondamentaux et les ambitions de la chaine payante. Alors que s’ouvre ce lundi la nouvelle édition du marché international du documentaire, le Sunny Side of the doc, à la Rochelle, l’opportunité aussi pour le dirigeant d’en dire un peu plus sur le line-up à venir d’Ushuaïa TV.
CB News : La chaîne Ushuaïa fête cette année ses 20 ans. Est-ce que l’on est toujours dans la promesse qui avait été faite lors de sa création ? Qu’est-ce que c’est aujourd’hui Ushuaia TV ?
Christophe Sommet : Nous avons lancé cette chaîne en mars 2005. À l'époque, on était, et on l'est toujours je pense, pionnier sur ce qu'on voulait faire de celle-ci : une chaîne 100% consacrée à la protection de la planète. C’est en quoi nous sommes encore fidèles à la promesse de départ, avec très vite la prise de conscience que si l’on veut avoir une chance d'intéresser les téléspectateurs, il ne faut pas être anxiogène, culpabilisant. Il faut plutôt que l'on propose des initiatives, des solutions, bref, de quoi pousser les gens à s'engager. Et le point d'entrée de la chaîne qui reste aujourd'hui encore très prégnant, c'est l'émerveillement et la prise de conscience que le monde, il est beau, que la planète, la nature et le vivant sont beaux. On prend dès lors conscience de tout cela et comprenons comment cela fonctionne. Et cela nous donne envie et besoin de protéger ce qui nous entoure.
CB News : Mais le monde est bien souvent anxiogène aujourd’hui…
Christophe Sommet : Je ne dis pas que nous n’avons jamais de documentaire coup de poing dans lesquels nous dénonçons… Mais nous construisons plutôt la chaîne comme une chaîne d'ouverture sur le monde, sur la beauté et mécaniquement, cela fonctionne mieux que d'être 100% dans l'anxiogène et du culpabilisant.
CB News : Notez-vous au cours de ces 20 ans d’existence de la chaîne une véritable évolution quant aux contenus des programmes, quant à ce que veulent voir aujourd'hui vos téléspectateurs ?
Christophe Sommet : Tout à fait. Ce virage de positionnement dans la manière dont on traite les choses, nous l’avons fait il y a plusieurs années. Et je pense que ça fonctionne, ne serait-ce que parce que les audiences de la chaîne ont simplement progressé.
CB News : Justement, pourriez-vous nous en dire un mot ?
Christophe Sommet : En 2024, c'est la deuxième année historique de la chaîne avec +50% d'audience sur les 4+. Sur 5 ans, la part d'audience a été multipliée par 2 sur les 25-49 ans. Et ce sont plus de 3 millions de téléspectateurs qui regardent chaque mois Ushuaïa TV.
CB News : c'est quoi un bon documentaire ? Qu'est-ce qui peut faire la différence sur 10, 15 ans, 20 avec les premiers que vous avez pu diffuser ?
Christophe Sommet : Cela dépend avant tout du sujet que l’on veut adresser, bien sûr. Mais je dirais qu'un bon documentaire, et c’est l’une des clés du succès, c'est l'incarnation. Elle permet de s'identifier potentiellement à l'incarnant. C’est pour cela que nous travaillons de plus en plus avec des YouTubeurs, par exemple. Après, je pense qu'il y a le ton et puis le côté émerveillement. Mais j’insiste, et c’est la marque de fabrique de la chaine, comme le disait le Commandant Cousteau, de mémoire : on aime ce qu'on connaît et on protège ce qu'on aime. C’est ce vers quoi nous tendons.
CB News : Et pendant 20 ans, à chaque saison, comment est-ce qu'on réinvente la chaîne ?
Christophe Sommet : Nous avons une importante politique d'éditorialisation et d'événementialisation. Dans l'événementialisation, nous suivons l'agenda de la planète. Nous avons sanctuarisé certains mois avec des thématiques particulières. Par exemple, le 8 juin dernier, c’était la journée mondiale des océans. Nous avons donc créé tout un cycle sur les océans. En décembre, le 8 décembre, c'est la journée mondiale du climat. Nous aurons là aussi tout un cycle autour du climat. Dans ce cadre bien défini, les producteurs et/ou les distributeurs savent qu'il nous faut des nouveaux contenus inédits pour chacune de ces occasions. Cela nous permet de renouveler les contenus d'année en année. Puis nous travaillons l’incarnation comme je le disais plus haut avec des personnalités connues, mais aussi avec des associations et des ONG reconnues dans l'univers de l'environnement. Ce n’est pas seulement trouver des intervenants, c’est aussi pour nous un moyen fondamental de sourcer des contenus, d’avoir des experts, des scientifiques, toutes les personnes qui vont au final apporter de la crédibilité à notre parole.
CB News : C’est faire rayonner la chaîne même au-delà du linéaire ?
Christophe Sommet : Complètement. C’est quelque chose d’essentiel à mes yeux depuis 20 ans, afin de nourrir l’accessibilité et la légitimité de nos programmes. Faire appel à un écosystème de gens engagés, voire militants, les embarquer avec nous, c’est pouvoir faire rayonner après nos contenus à travers eux et créer une famille d'engagement autour de valeurs communes.
CB News : Quelle est la part entre votre production en propre et ce que vous rachetez pour la grille de programmes d’Ushuaia TV ?
Christophe Sommet : Chaque année, nous achetons environ 200 à 250 heures de contenus déjà réalisés et nous participons dans la production à hauteur de 150 heures. C'est un peu moins de 400 heures de programme qui arrivent chaque année sur l'antenne. C'est un montant quand même significatif pour une chaîne thématique.
CB News : Quelles sont vos modes de production ?
Christophe Sommet : Nous en avons deux. Pour le premier, nous intervenons en préachat derrière les grosses productions qui peuvent être faites pour France Télévisons ou Arte, ce qui nous permet de sourcer les meilleurs contenus qui sont faits pour ces chaînes en clair. Ensuite, entre 6 mois et 1 an, nous les récupérons pour Ushuaia TV. Pour le second, c'est à peu près 75 heures par an, nous sommes en coproduction et donc en première diffusion. Ce sont vraiment nos bébés à nous 100%. Nous choisissons les thèmes que l’on va aborder en fonction des besoins de couvrir tel ou tel événement, telle date anniversaire de l'agenda de la planète. Je crois que chaque année, nous recevons plus de 300 projets de production.
CB News : Avec l’arrivée des plateformes, on note depuis quelques années la montée en puissance du documentaire avec des budgets importants. La concurrence devient féroce dans ce domaine ? Il faut sortir du lot ?
Christophe Sommet : Exactement. C'est la qualité, le côté inédit et l’exclusivité qui importe aujourd’hui. Je vous parlais plus haut de l'incarnation, mais il y aussi la communication et le marketing qui font l’environnement de tout cela. Pour lutter contre les chaines en clair et les plateformes, il faut que nous soyons dans « le faire savoir ». Pour nous, acteur de la « Pay TV », il essentiel.
CB News : Malgré le fait que vous soyez une chaine payante, vous êtes tout de même présent sur la plateforme gratuite de streaming du groupe TF1, TF1+ ?
Christophe Sommet : C’est vrai. Nous y sommes présent avec 200 contenus qui sont disponibles en permanence via une offre de stock de contenus liés à la transition écologique et solidaire. Nous y sommes brandés « Ushuaïa TV for Change ». Idéalement, nous aimerions nous en servir comme relais pour faire venir les abonnés sur la chaîne mère.
CB News ; Le succès phénoménal du YouTubeur Inoxtag avec son film Kaizen, cela donne des idées à la chaine ?
Christophe Sommet : Sans aucun doute. Pour l’anecdote, nous avons diffusé Kaizen en mars lors de notre mois anniversaire. C’est effectivement un marqueur pour nous d’être le deuxième diffuseur TV de ce film diffusé fin 2024 sur TF1 et TF1+. Mais au-delà de cette rediffusion qui est « juste » un achat pour nous de programmes, nous avons développé plusieurs collections documentaires avec des influenceurs. Nous avons ainsi diffusé en mars le premier opus de la collection « Immersion Sauvage » avec Yvan Kereun, YouTubeur très connu dans l’univers de la protection des animaux. Cela a généré de bonnes audiences et nous travaillons d’ores et déjà avec lui sur un second opus.
CB News : Est-ce que ce type de production avec ses Youtubeurs, c'est moins cher à faire qu'un documentaire que vous avez initié ?
Christophe Sommet : Il n’y a pas de règle. Cela dépend vraiment du type de documentaire. Une chose est sûre, en revanche, c’est que nous sommes très sensibles à l'éco-production pour limiter l'empreinte carbone. Nous avons déjà fait tout un travail avec les producteurs pour les sensibiliser. Le message est, je crois, bien passé.
CB News : Ce lundi et jusqu’au 26 juin se déroulera le traditionnel marché international du documentaire, le Sunny Side of the doc, à la Rochelle. Vous allez y présenter votre line-up pour le second semestre… Pourriez-vous nous en dire plus ?
Christophe Sommet : Bien sûr. Nous allons annoncer la diffusion dès septembre sur Ushuaia TV de « Mare Nostra », un 52 minutes que nous avons produit avec TF1 Production et Yes Sir qui vient à la suite de la 3ème Conférence des Nations Unies pour l’Océan, organisée à Nice, qui donne la parole à des personnalités qui veulent faire entendre leur voix pour sauver les Océans. Il y aura également « Objectif Wild » (saison 2) qui sera diffusé en novembre. Là aussi, un 52 minutes (coproduction AH! Production et Ushuaia TV) intitulé « face à face avec l’anaconda géant ». Nous aurons également « Faites entrer la nature » (52 mn) coproduit par Seppia et la chaine qui sera visible en décembre. Le téléspectateur pourra suivre Marine Calmet, juriste des droits de la nature, qui prépare un recours contre l’État français pour carence fautive concernant l’abattage massif des requins à La Réunion. Il y aura enfin « Chère mère nature » (90 mn) coproduit par KM et Ushuaia TV et diffusé lui aussi en décembre. On y retrouvera 5 personnalités publiques ou anonymes (Marie José Pérec, François-Xavier Demaison, Jean Sulpice,…) à travers un voyage dans cinq territoires français, partageant ainsi leur émerveillement, leurs premiers souvenirs, leur attachement à cette nature et leur engagement pour la protéger. Prochainement également, un nouvel épisode de la collection « Terres d'urgence » : Amazonie, menace sur la biodiversité. Un 60 minutes réalisé et incarné par Guy Lagache et coproduit par Flair Production et Ushuaia TV.