Concentration des médias : les 32 propositions du Sénat

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Les sénateurs David Assouline et Laurent Lafon

48 auditions, plus de 80 personnalités reçues et plus d’une centaine d’heures à siéger… Les membres de la commission d’enquête sénatoriale sur la concentration des médias n’ont pas chômé depuis novembre 2021, date à laquelle ont débuté les auditions qui ont abouti officiellement à la présentation jeudi de 32 propositions pour moderniser les règles du paysage médiatique français, dans un rapport de 379 pages. Et tout n’a pas été simple de l’aveu même du président et du rapporteur de la commission, respectivement le centriste Laurent Lafon et le socialiste David Assouline. « Chacun a fait des efforts pour arriver à un consensus » a ainsi relevé M. Lafon alors que sans l’unanimité des 21 parlementaires membres de la commission d’enquête, le texte n’aurait pu paraître et être tout simplement renvoyé aux calendes grecques. Une possibilité à laquelle le sénateur Assouline n’aurait pu se résoudre, à la vue du travail fourni depuis des mois, alors que « beaucoup auraient parié qu’il était impossible » d’atteindre ce consensus sur un texte définitif.

Sur fond de rapprochement entre TF1 et M6 ou sur le « cas » CNews, les sénateurs ont auditionné parmi les plus grands acteurs du secteur des médias, tels que Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Arnaud Lagardère, Xavier Niel, Patrick Drahi, Gilles Pélisson, Nicolas de Tavernost ou encore Martin Bouygues ainsi que des médias indépendants, syndicats et pouvoirs publics. Une brochette de rares personnalités, pour certaines d’entre elles, invitées à un ping-pong de questions-réponses qui ferait rêver bien des rédactions… De quoi, bien évidemment, susciter quelques attentes (vous pouvez lire le Dossier consacré à ces différentes auditions sur le site de CB News, ici).

Dans leur texte final, les sénateurs préconisent notamment de renforcer l'indépendance et l'éthique au sein des médias au moyen d'un dispositif incluant un administrateur indépendant, l'Arcom (ex-CSA), régulateur de l'audiovisuel et du numérique, et des comités d'éthiques. Ils insistent également sur une nécessaire part minimale de l'investissement consacrée à l'information sur les antennes. Ils proposent également d'"assurer une ressource fiscale autonome et pérenne pour le financement de l'audiovisuel public" alors que le candidat Macron a d’ores et déjà promis de supprimer la redevance audiovisuelle s'il était réélu. Le rapport pointe en outre la révision "des conditions d'octroi des aides au pluralisme et à la modernisation en prenant en compte la situation financière des groupes auxquels les titres candidats sont rattachés". Ils souhaitent même l'organisation d'un grand débat cette année au Parlement où le gouvernement viendrait présenter ses conclusions pour réformer la loi relative à la liberté de communication de 1986, votée à une époque où les géants d'internet n'existaient pas. Puis, parce que la publicité ne peut pas être exemptée des propositions, les sénateurs voudraient que "dans le cadre d’une réécriture complète" de cette loi, que soit étudié la faisabilité d’un examen "des concentrations neutres en termes de médias et fondé sur la part d’attention ».

Mais au-delà du rapport, c’est son avenir lui-même qui interroge alors que l’élection présidentielle n’a lieu que dans quelques semaines. Mais le gouvernement présenterait les orientations qu'il envisage suite à ce rapport sénatorial et à celui sur le même sujet commandé par les ministres des Finances et de la Culture, Bruno Le Maire et Roselyne Bachelot, qui devait leur être rendu, hasard du calendrier (?), également jeudi. Les ministères n'ont pas encore communiqué à ce sujet. Le 7 mars dernier, auditionné devant la commission du Sénat, le ministre de l’Economie Bruno Le Maire avait indiqué que la mission de l'Inspection des Finances et celle de la Culture avait des champs "technologiques et économiques" alors que la commission d’enquête sénatoriale est dans le "champ politique", afin de les différencier. "Je ne suis pas sûr que l'on ait connaissance de ce rapport dans les quinze jours, voire dans les deux mois à venir", a estimé Laurent Lafon. Et d'ajouter : "quelle sera l'ambition du quinquennat à venir, cela dépendra du résultat des élections". Si une réforme des règles avait lieu, elle ne pourrait "dans tous les cas pas s'appliquer rétroactivement", rappelle David Assouline, et donc ne concernerait pas les deux grosses opérations en cours, la fusion TF1-M6 et l'assaut de Vivendi sur Lagardère.

Au final, « ce rapport sera une référence » veut croire le sénateur Assouline alors que pour Laurent Lafon, la concentration des médias est un sujet crucial mais qui n’est « pas perçu par le public. Il ne se demande pas qui possède le média dans ce qu’il lit ou regarde ». Quoi qu’il en soit, pour M. Assouline, « une grande loi est nécessaire pour remplacer celle de 1986 qui a été refaite cent fois », souligne-t-il. « Nous avons besoin d’une réflexion globale, pas de reboucher des trous », insiste le rapporteur de la commission d’enquête.

Les 32 propositions du rapport

Proposition 1 : dans les groupes disposant d’un ou plusieurs médias, quelle qu’en soit la nature, confier à un administrateur indépendant au sein du Conseil d’administration une fonction de veille sur les questions liées à l’indépendance des rédactions et aux conflits d’intérêts.

Proposition 2 : la nomination de cet administrateur serait soumise à un avis consultatif de l’Arcom, dans le respect des prérogatives du conseil d’administration.

Proposition 3 : doter cet administrateur d’un pouvoir d’évocation des sujets devant le conseil d’administration.

Proposition 4 : prévoir, au sein de chaque comité d’éthique, la présence d’un journaliste ou d’un réalisateur en fonction.

Proposition 5 : doter les comités d’éthique de moyens leur permettant d’assurer leurs missions.

Proposition 6 : assurer une réelle visibilité aux comités d’éthique, à la fois au sein des groupes et au-delà, en particulier par une exposition sur le site Internet des entités.

Proposition 7 : prévoir l’obligation de la publication sur le site Internet des bilans et avis formulés par les comités d’éthique.

Proposition 8 : étendre l’obligation de créer un comité d’éthique, à partir d’un certain seuil, à tous les groupes de médias.

Proposition 9 : de la part de l’Arcom, transmettre immédiatement toute saisine dont il ferait l’objet au comité d’éthique et à l’administrateur indépendant de l’entité concernée. Le cas échéant, l’Arcom doit pouvoir les entendre à leur demande pour éclairer son appréciation de la situation.

Proposition 10 : de la part de l’administrateur indépendant, prévoir la possibilité d’informer l’Arcom de toute affaire susceptible de constituer à ses yeux un manquement aux règles d’indépendance des rédactions.

Proposition 11 : proposer à l’AFEP et au Medef une révision du code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées afin de préciser que, s’agissant des sociétés cotées disposant d’activités médias, l’actionnaire majoritaire veille avec une attention particulière à prévenir les éventuels conflits d’intérêts avec les autres branches du groupe qu’il contrôle, à documenter les dispositions visant à garantir l’étanchéité entre les activités (murailles de Chine) et à tenir compte de l’indépendance des rédactions.

Proposition 12 : n’autoriser la mutation ou le licenciement du président d’une SDJ qu’avec l’accord d’une organisation professionnelle de journalistes ou, à défaut, d’une commission paritaire qui statue en appel.

Proposition 13 : assurer une information motivée et étayée de la rédaction quand un changement de directeur de la rédaction d’un média est envisagé par l’actionnaire, dans des délais permettant aux organisations représentatives de faire valoir leur point de vue.

Proposition 14 : mettre en place une commission actualisant l’état des lieux dressé en 2013 des conditions d’emploi dans les métiers artistiques, avec une présence du ministère du travail en tant que médiateur, afin d’aboutir à un salaire minimum conventionnel pour les réalisateurs de l’audiovisuel.

Proposition 15 : accorder aux journalistes travaillant dans des agences de presse les mêmes droits que tous leurs autres confrères, en matière de clause de conscience ou de cession.

Proposition 16 : prévoir à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 une part minimale d’investissement consacrée à l’information sur les antennes qui signent une convention avec le régulateur.

Proposition 17 : prévoir à l’article 28 de la loi du 30 septembre 1986 le respect de la pluralité des points de vue et des sensibilités dans la présentation des débats.

Proposition 18 : inciter l’Arcom à traiter plus rapidement la procédure de mise en demeure et de sanction, dans le respect des règles du procès équitable qui figurent dans la loi du 30 septembre 1986.

Proposition 19 : obliger à la déclaration, auprès de l’Arcom, de tous les actionnaires – directs ou indirects – détenant plus de 5 % du capital, par titre et groupe, et des pactes d’actionnaires, afin que l’Arcom publie annuellement une base de données centralisée de la composition du capital des services de communication audiovisuelle et l’identité des membres des organes dirigeants.

Proposition 20 : mieux faire respecter l’obligation de publier les comptes des différents médias, titre par tire et non uniquement les comptes consolidés.

Proposition 21 : confier à l’Arcom la mission d’une évaluation tous les quatre ans de l’état des concentrations et de l’évolution souhaitable des règles. Ce rapport ferait l’objet d’une présentation au Parlement devant les commissions compétentes.

Proposition 22 : confier à l’Arcom un pouvoir d’injonction et de sanction en cas d’échec des négociations entre les éditeurs et les plateformes sur les droits voisins.

Proposition 23 : assurer la publication des accords passés entre les éditeurs et les plateformes.

Proposition 24 : prendre en compte dans les obligations de financement de la création des plateformes le chiffre d’affaires des offres dites « couplées », par le biais d’une intégration au périmètre du chiffre d’affaires de l’offre sportive.

Proposition 25 : assurer une ressource fiscale autonome et pérenne pour le financement de l’audiovisuel public. La mission commune de contrôle sur le financement de l’audiovisuel public menée au Sénat par la commission des finances et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication pourra faire des propositions.

Proposition 26 : Prévoir la nomination d’un administrateur indépendant dans les conseils d’administration des sociétés de l’audiovisuel public, chargé de veiller à l’impartialité de l’information et de rendre compte de cette impartialité devant les commissions chargées des affaires culturelles des deux assemblées.

Proposition 27 : réviser les conditions d’octroi des aides au pluralisme et à la modernisation en prenant en compte la situation financière des groupes auxquels les titres candidats sont rattachés.

Proposition 28 : accorder une bonification des aides à la presse aux titres respectant de manière volontaire certains critères permettant de mieux assurer l’indépendance des rédactions.

Proposition 29 : organiser en 2022 un grand débat au Parlement où le Gouvernement viendrait présenter les conclusions qu’il tire et les orientations qu’il envisage suite aux rapports de la commission d’enquête et des corps d’inspection.

Proposition 30 : dans le cadre d’une réforme partielle de la loi de 1986, intégrer à l’analyse l’ensemble de la presse écrite aux articles 41-1 et 41-2, et non plus seulement la presse quotidienne d’information politique et générale.

Proposition 31 : soumettre les chaînes non hertziennes au contrôle de l’Arcom en cas de projet de modification de leur structure de contrôle ou de rapprochement. Cet examen pourrait être déclenché au-delà d’un certain seuil, ou bien de la propre initiative de l’Arcom si elle estime être en présence d’une atteinte au pluralisme.

Proposition 32 : dans le cadre d’une réécriture complète de la loi du 30 septembre 1986, étudier la faisabilité d’un examen des concentrations neutres en termes de médias et fondé sur la « part d’attention ».

Pour consulter l’intégralité du rapport, c’est ici.

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