Gabriel d’Harcourt : « La Voix du Nord n’est plus une vieille dame de 75 ans »

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La voix du Nord a changé. En profondeur. Il lui aura cependant fallu changer parfois dans la douleur, avec un PSE notamment, mais une nouvelle page s’est ouverte pour le titre qui fête ses 75 ans. Des projets, des ambitions et des objectifs que détaillent Gabriel d’Harcourt, directeur général délégué et directeur de la publication. Entretien exclusif.

CB News : Début 2017, La Voix du Nord lançait son plan d’entreprise « Demain La Voix » qui comprenait notamment un plan de Plan de sauvegarde de l’emploi (PSE), la volonté de réorganiser les rédactions mais aussi de créer les conditions d’un retour à la croissance du groupe. Peut-on tirer un bilan de ce plan ?

Gabriel d'Harcourt : Même si nous sommes en 2019, il y a une cohérence dans le développement de ce plan depuis 2017. Il a effectivement débuté avec un plan de départs volontaires qui touchait la rédaction. C’est toujours un moment délicat et difficile pour toutes entreprises. Une situation susceptible de troubler, voire de freiner une dynamique. Au final, il y a eu 130 départs dont 30 à la rédaction. Un nombre un peu moins élevé que le plan initial. C’était la 1ère vraie étape.

CB News : Les autres étapes ont-elles pu s’enchainer ?

Gabriel d'Harcourt :  Oui. Nous avons procédé à la réorganisation des rédactions, entre le print et le web. Côté print, nous avons mis en place un binôme à la tête de la rédaction : un directeur de la rédaction (Pierre Mauchamp, ndlr), orienté organisation, management et projets, et un rédacteur en chef (Patrick Jankielewicz, ndlr) qui est le patron des contenus. Nous sommes également passé de 24 à 20 éditions print locales, certes, mais nous sommes aussi passés de 25 à 35 agences locales. Deux ans après, je peux dire que c’est une réussite. Nous appelons de nos vœux, aussi, la montée en puissance des chefs d’édition, nos patrons d’agences sur le terrain. Ils doivent être des éléments moteur, au-delà de la création de contenus. Il leur faut intégrer le pilotage par l’audience, et le suivi des évolutions des abonnements. Des dashboards sont à leur disposition. Pour le web, nous avons fait beaucoup de formation, car nous avions changé de système éditoriale deux ans auparavant, très orienté numérique, mais qui au final n’était pas exploité dans sa pleine mesure. Nous avons fait le choix d’une forte impulsion à donner sur le digital pour que cette culture imprègne les équipes. Nous avons ainsi mis en place des pôles Editeurs avec des journalistes de terrain qui remontent la matière et produisent directement sur le digital. Celle-ci est ensuite enrichie et complétée par les éditeurs digitaux pour ensuite être adapté par les éditeurs print.

CB News : Comment gère-t-on la culture du web gratuit lorsque l’on est historiquement un media payant ?

Gabriel d'Harcourt :  C’est un vrai sujet. Ce n’était effectivement pas dans nos gènes. La culture du gratuit n’était pas la nôtre. Nous n’avions pas abordé ce sujet-là par le bon bout avec des équipes qui pouvaient voir cela comme une approche « low-cost » du journalisme. Nous avons changé tout cela avec une équipe dédiée, incarnée, au pilotage de notre offre gratuite, avec une culture de la performance numérique gratuite. Elle cartonne aujourd’hui. Nous sommes donc beaucoup plus à l’aise sur ces sujets du gratuit aujourd’hui.

La logique « Content First »

CB News : Vous vous considérez « digital first » ?

Gabriel d'Harcourt : En terme de support, c’est effectivement digital first, mais notre logique est plutôt celle du « content first ». Je veux dire par là que notre priorité n’est pas celle du support, mais l’actualité qui est la matière première. L’idée n’est pas de se sentir contraint par un support digital, mais que le digital est un support supplémentaire qui va nous permettre de mieux enrichir la palette de nos offres pour, in fine, mieux raconter l’histoire aux lecteurs.

CB News : Le 3ème point de votre plan d’entreprise était lié à l’organisation et au fonctionnement de la Voix du Nord pour « gagner en agilité » … Qu’est-ce que cela signifie ?

Gabriel d'Harcourt :  Il nous fallait absolument nous approprier la culture des usages nouveaux. Ce n’est pas facile lorsque celle-ci ainsi que votre fonctionnement sont anciens, donc établis. Nous devons insuffler cette culture de la start-up innovante et agile. Si on ne se transforme pas, c’est peine perdue. C’est finalement une prise de conscience récente chez nous, 5 ans, je dirais… La Voix du Nord n’est plus une vieille dame de 75 ans. Notre impératif est la transversalité. A l’ère du digital, il nous faut pousser les process assez loin. Pour être performant, il faut être réactif. Ainsi, dans quelques jours, je n’aurais plus de bureau seul. Nous aurons une salle de travail commune avec tous les directeurs de La Voix du Nord. C’est expérimental, mais cela doit donner l’impulsion pour montrer l’exemple. Travailler ensemble cela crée de la cohésion.

CB News : Votre plan présenté en 2017 comprenait également la création d’une direction « digital, marketing, développement » … Qu’en est-il ?

Gabriel d'Harcourt :  ll y avait une direction marketing avant, bien sûr. Mais nos changements se font à l’aune de notre maison-mère (le groupe Rossel, ndlr) qui rachète des titres. Notre enjeu était de passer d’une direction marketing groupe à une direction marketing Voix du Nord. Avec un volet partenariats, études, produits et recrutements/fidélisation/conversion/data. Puis, notre régie publicitaire La Voix des Médias n’était seulement notre propre régie, elle était également un « prestataire » pour les autres entités du groupe Rossel en France, pour les outils, les expertises, etc. Il y avait là une confusion, une dispersion, voire un éloignement de l’éditeur Voix du Nord. Ce qui pouvait nous être préjudiciable. Nous avons remis tout cela à plat il y a 6 mois en distinguant la régie commerciale locale La Voix Médias, directement rattachée à La Voix du Nord, dont je suis directeur général, de Rossel Advertising France (RAF) qui est une structure distincte de La Voix Médias, transverse, qui est donc la société prestataire des trois régies de Rossel (celle de Courrier Picard, de L’Union et de La Voix du Nord). Ces corrections ont été apportées pour gérer les impacts collatéraux de la croissance du groupe Rossel.

La priorité vidéo

CB News : Quels sont les chantiers à venir pour La Voix du Nord ?

Gabriel d'Harcourt :  La priorité 2019 est la vidéo. Nous avons dans nos locaux une radio et une TV (Contact FM et Wéo, ndlr), c’est unique en France pour la PQR. Il faut que l’on travaille ensemble pour créer de nouvelles habitudes en la matière. Nous produisons actuellement entre 300 et 400 vidéos par mois, c’est insuffisant. Nous voudrions a minima doubler ce chiffre. Nous avons un véritable plan d’action. Nous montons actuellement une équipe dédiée qui pilotera la coordination de la production entre TV et presse. Nous avons aussi un gros chantier qui nous attend avec la préparation de l’arrivée en fin d’année d’un nouveau système éditorial : Cue. Nos collaborateurs seront encore plus immergés dans le digital qu’ils ne le sont aujourd’hui. Nous voulons également développer le serviciel et l’entertainment sur nos sites et applis (météo, TV, jeux, spectacle...), qui ne sont pas assez présents. Nous sommes certes une entreprise d’information, mais ce doit aussi être un plaisir de venir chez nous pour les moments de détentes… Nous avons également une réflexion sur les paywalls dynamiques, c’est à dire pilotés par la data pour avoir des recrutements adaptés aux profils de l’internaute ou du prospect. Nous allons faire aussi des efforts sur les newsletters. Nous en avons trop peu. L’idée est d’en avoir plusieurs chaque jour en fonction des thématiques… La fidélisation doit aussi faire partie de nos efforts, avec le lancement d’une plateforme du Club des abonnés qui a lieu ces jours-ci.

Lancement de « La Voix des Sports Magazine »

CB News : Côté print ?

Gabriel d'Harcourt :  Nous ne sommes de plus sur des nouvelles formules, qui sont risquées et pas toujours adaptées. On peut y perdre les fidèles lecteurs sans en attirer de nouveaux. Nous sommes dans des touches successives. Nous avons retouché la Une et le logo avant l’été, pour qu’ils soient plus visuels pour le numérique. Nous sommes actuellement en train de travailler sur la fin du journal pour laisser plus de place au débats, aux contributions extérieures. Le 7 octobre, nous lançons « La Voix des Sports Magazine », complément de notre titre hebdo « La Voix des Sports » qui parait tous les lundis. L’ensemble sera vendu 2,90€ au lieu de 1,60€. C’est un enjeu très important pour nous.

CB News : BFM Lille va débarquer dans votre région. Etes-vous inquiet ?

Gabriel d'Harcourt :  En début d’année 2020, je crois. C’est moteur pour nous. C’est stimulant, car je n’ai pas du tout envie que cette chaîne soit la référence de la région. Pour autant, nous n’avons pas l’intention de faire du BFM…

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(© Thierry Wojciak/CBNews)

CB News : Vous annoncez le lancement de rencontres avec vos lecteurs dont le leitmotiv est « Ensemble, écrire la nouvelle histoire du Nord ». Quelle est l’ambition ?

Gabriel d'Harcourt :  C’est aujourd'hui le 4ème volet de notre plan. Il s’agit d’affirmer ce qu’est un média régional aujourd’hui. Nous allons tenter de mettre cela à plat. Nous allons voir nos lecteurs (75 réunions en 2019 !) du Nord-Pas-de-Calais pour les écouter et voir ce qu’ils attendent de nous. S’interroger sur ce qu’on peut leur apporter. Un media régional n’est pas là que pour informer ! Nous souhaitons faire un pas plus loin, ne pas être spectateur, mais être acteur. Et qui dit acteur, dit s’engager pour la région et ses habitants. Il nous faut nous emparer de sujets sociétaux sur lesquels on va pouvoir apporter quelque chose. Ce qui est beaucoup reproché aux médias, c’est d’être un peu au-dessus des gens. De les voir de haut. Il faut que l’on soit au cœur, parmi eux, à côté. Un véritable relai de toutes leurs préoccupations. La crise des Gilets Jaunes dit bien évidemment quelque chose des territoires. Finalement, est-ce qu’un titre de la presse régionale a un rôle à jouer dans ce contexte-là ? Je dis oui.

CB News : Vous avez présenté il y a quelques jours seulement votre « raison d’être », un véritable manifeste… A quoi cela sert-il ?

Gabriel d'Harcourt :  D’abord, c’est dans la récente loi PACTE. Le fait que l’on soit dans un environnement capitaliste avec des entreprises qui doivent gagner de l’argent, certes, mais pas que… L’entreprise a un rôle sociétal. Toutes les grandes entreprises travaillent sur ces sujets. Côté media, nous ne sommes pas encore beaucoup. Si je résumais, je dirais : pour quoi et pour qui je travaille ? Notre raison d’être c’est, « ensemble, écrire la nouvelle histoire du Nord ». Cela va être gravé dans le marbre, sur notre façade, dans le journal d’une façon ou d’une autre. Tout ce que l’on fait doit finalement converger vers cela. Bien sûr, derrière, ce n’est pas à dissocier de la performance économique. La démarche est profonde. Elle a de la valeur si elle est acceptée en interne. Si c’est vécu et concrètement réalisé. On a donc toute une réflexion sur nos contenus qui doivent évoluer vers l’engagement. On travaille, par exemple, sur le harcèlement scolaire, la désertification des centres villes, les ruptures sociales, etc. On veut faire avancer ces sujets. Nous considérons que nous avons à apporter notre pierre à l’édifice, pour expliquer aux gens, alerter les pouvoirs publics, etc.

Un salon Made Hauts-de-France

CB News : Avec des actions concrètes, également ?

Gabriel d'Harcourt :  Absolument. Nous avons l’ambition de travailler avec les acteurs économiques de la région, c’est tout le volet Evénement et autres Partenariats. Nous préparons ainsi le 1er salon BtoC du Made Hauts-de-France piloté par la Voix du Nord, avec le conseil général, la Chambre de commerce et d’industrie, les chambres des métiers, et des partenaires privés, à Lille puis à Amiens en alternance. Ce sera la mise en avant des savoir-faire de notre région (culinaires, artistiques, sportifs, économiques, high-tech, etc.). Nous devons être une entreprise cohérente avec ses ambitions externes et les appliquer également en interne. Nous avons un projet de supplément sur la reforestation du Nord-Pas-de-Calais où la marge effectuée sur le titre servira au reboisement.

CB News : Facebook a annoncé qu’il allait aider la PQR à recruter des abonnés numériques. Vous en êtes…

Gabriel d'Harcourt :  Oui, bien sûr. Certes il y a un côté ami-ennemi avec Facebook. Mais je suis certain que nous allons y apprendre des choses intéressantes. Nous n’avons pas spécifiquement d’objectifs. Nous sommes pragmatiques, pas idéologues. Il y a deux ans, nous avons recruté 2 500 abonnés numériques exclusifs, l’an passé nous avions un objectif de 5000 et cela a été 5 500. Pour cette année 2019, l’objectif était de 9 000, on sera à 10 000. Nous estimons que dans le cadre de nos opérations d’abonnement à 1€/mois, sur 100 recrutements nous en conservons 70… En 2020, pour la 1ère fois, selon le budget que nous nous sommes fixés, nous recruterons plus sur le digital que sur le print. C’est un cap.

CB News : Les objectifs de CA en 2019 ?

Gabriel d'Harcourt :  En 2018, notre chiffre d’affaires était de 130 Millions d’euros. Nous tablons sur une légère croissance en 2019. Notamment le fait de l’augmentation du prix du journal en juin dernier, le lancement de La Voix des Sports Magazine, le programmatique et la régie 366 qui performent, mais aussi aux fruits de notre mutation interne.

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