Hors-séries, numéros spéciaux, collectors : une économie bien rodée pour les éditeurs

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Les éditeurs l'ont compris. Pour engranger des revenus de plus en plus compliqués à générer dans leurs offres print, ils développent assidument leurs marques pour en proposer des déclinaisons papier aussi bien opportunistes que haut-de-gamme. Des offres qui ne s'improvisent pas, loin s'en faut, et qui demande du temps et des ressources. Décryptage.

Geo, Le Figaro, Le Point, Télé 7 Jours, Paris-Match, Beaux-Arts… Tellement disparates. Pourtant, ces marques de presse ont un point commun. Oui. Vous ne trouvez pas ? Celle de la culture du numéro hors-série, du collector, du numéro spécial… Véritable économie parallèle quasi-indispensable, dont les éditeurs ont aujourd’hui totalement pris la mesure. Parce que crise de la presse « aidant », il faut trouver de nouvelles lignes de revenus. Et puis s’éloigner de son cœur de métier en traquant de nouvelles activités peut coûter cher, alors que le savoir-faire et l’expertise éditoriale sont sont là, dans les murs des groupes de presse. Aussi bien côté rédaction que régie publicitaire. Dans les starting-blocks, ceux-ci hument l’air du temps, se montrant tout aussi opportunistes face à un événement majeur (l’incendie de Notre-Dame, l’exposition Toutankhamon à Paris…) que réglés comme du papier à musique, avec une feuille de route bien établie dès le début d’année, déclinant leurs marques phares, chevaux de Troie des ventes parfois bien assurées au final. 

À cet égard, le groupe Figaro ne se cache pas derrière son petit doigt. “Nous sommes passés d’une marge de plusieurs centaines de keuros à 1,5 M€ en 4 ans pour un chiffre d’affaires de 7 millions €. D’une dizaine de produits par an, à une quarantaine aujourd’hui”, explique à CB News Robert Mergui, éditeur du pôle News du Figaro. Dans les faits, “nous bâtissons notre modèle sur des objectifs de ventes et non publicitaires car ces produits sont atypiques et non-récurrents”, ajoute-t-il. Mais pas question de se lancer dans le grand n’importe quoi. Selon M. Mergui, il faut rester dans l’ADN du Figaro. Et lister les thématiques qui potentiellement intéressent les lecteurs de la marque (santé, culture, voyage, langue française, science…). “Nous ne ferons jamais de hors-série sur le football, cela n’aurait pas de sens, ce ne serait pas nous”, argue-t-il. Pour ce faire, l’éditeur organise soigneusement le plan de bataille. 90% des lancements de ce type de titres sont connus dès le début de l’année, laissant 10% aux sorties d’opportunités, le plus souvent liées à l’actualité brûlante ou à une tendance repérée dans l’année qui s’écoule… Pour ce faire, il s’entoure “toujours” d’un coordinateur du projet éditorial, un journaliste du groupe, qui fait travailler en interne et/ou fait appel à des pigistes. Au final, tous canaux confondus, Robert Mergui revendique, “entre 700 et 800 000 ventes par an”, dont la quasi-totalité est réalisée au numéro. Pour lui, cependant, avec 40 titres par an, un plafond de verre est peut-être atteint pour Le Figaro. “La seule manière de dépasser ce plafond serait la publicité, mais la régie n’a pas forcément ni le temps ni les moyens humains”, relève-t-il. Dès lors, la piste de développement actionnée, pour de nouvelle sources de revenus, associe aujourd’hui l’événementiel thématique au lancement du hors-série.

S’appuyer sur la forte caution de la marque

Du côté de Prisma Media, les hors-série et autres collectors sont aussi au centre des enjeux de développements. Ainsi, indique Gwendoline Michaelis, directrice exécutive du pôle premium du groupe, 200 parutions de hors-série et déclinaisons sont-elles comptabilisées, en 2018, représentant “10% du chiffre d’affaires print de nos marques”. Une offre bien rodée qui ambitionne de “continuer à avoir une approche centrée sur les attentes des lecteurs”. Une façon de chercher de “nouvelles audiences en scrutant la possibilité d’une offre de niches, en s'appuyant sur la forte caution de la marque, gage de qualité et d’exigence éditoriale”, tout en s’appuyant sur un fort capital de confiance de la part du lecteur. Ce qui permet d’avoir, toujours selon elle, “un écrin pour les annonceurs plus spécialisés, qui investissent sur une thématique où ils seront peut-être un peu plus légitimes”. Et ces lancements permettent également de tester de nouvelles thématiques avec pour objectif, “pourquoi pas”, d’envisager la pérennisation de certains d’entre eux. Dans ce cadre, par exemple, “Ca M’intéresse Questions-Réponses” a d’abord été un hors-série alors que Geo Aventure s’est transformé en trimestriel. Mais pour cela, tout est aussi question “d’agilité en fonction de l’actualité”, souligne-t-elle. Réalisé en 3 semaines, en 2018, Prisma Media a par exemple proposé un numéro hors-série dédié au phénomène du bitcoin, via sa marque Capital.

Des produits chers, mais qualitatifs

En support de chaque “rédaction-mère”, depuis un peu moins de deux ans, Prisma Media a donc mis en place sa “content pool”, une petite équipe éditoriale au service des rédactions qui permet là aussi, de façon opportuniste, de lancer des produits éditoriaux print “en cohérence avec la viralité des sujets”. Pour la dirigeante, le hors-série est “aussi une approche numérique du print. Avec le numérique, nous raisonnons en verticales.C’est la même chose avec ce type de titre puisque nous nous adressons à des communautés-groupes très thématisés”, explique-t-elle. Ces publications sont aussi la possibilité non négligeable de capitaliser sur le patrimoine aussi bien éditorial que photographique des marques de l’éditeur. Pour les 40 ans de Geo, “nous avons sorti les archives pour un très beau collector”. Que ce soit au Figaro ou chez Prisma Media, on concède que , certes, les prix pratiqués pour ce type de presse sont élevés, mais “ce sont des produits très qualitatifs”, plaident-ils, jouant ainsi à plein la carte du fond et de la forme. De l'objet de collection(s). Ne dit-on pas, d’ailleurs, que le titre régulier est consommé, alors que le hors-série est conservé.

En quelques chiffres...

Selon Marie Pinatel, chargée d’études au sein du service marketing de Presstalis, en 2018, le prix moyen d’un hors-série était “de 7,47€ contre 5,32€ pour le total Publications”. Des prix qui au sein de la messagerie ont progressé sur la période de +2,9% sur les 12 derniers mois contre +2,1% pour le total Publications. Au global sur les 12 derniers mois, toutefois, ce marché des hors-série est en recul de -8,7% en volume et de -4,7% en valeur, à mettre en perspective avec le total marché de Presstalis en baisse de 11,2% en volume et de -8,5% en valeur. Un marché qui représente 9,9% des titres qu’elle distribue. Chez MLP, que CB News a également interrogé, on nous indique que 15% des titres de presse réalisent des hors-séries, soit 15 millions d’exemplaires distribués en 2018, représentant  5% des produits distribués et environ 7% du chiffre d'affaires global réalisé par les titres de la messagerie. MLP relève en outre un prix facial de +10% en moyenne par rapport aux titres mères alors que leur tirage et couverture du réseau de vente sont réduits “d'environ 20% par rapport au titre régulier”. 

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