Quand la suppression de la redevance devient un enjeu politique

Euros

"On a besoin d'un audiovisuel public fort", a assuré mardi le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, écartant la mise en danger de son financement et de son indépendance par la suppression de la redevance proposée lundi par le candidat Emmanuel Macron. "Ce que nous proposons de supprimer, ça n'est pas le financement, c'est l'outil, c'est-à-dire la redevance, c'est-à-dire faire payer à 28 millions de Français 138 euros, quels que soient leurs revenus", a-t-il fait valoir sur France Inter.  "On a besoin d'un audiovisuel public fort dans un contexte de désinformation, dans un contexte où les géants du numérique font circuler des informations qui ne sont pas toujours sourcées, on a besoin d'un audiovisuel public parce qu'il participe aussi à la création française", a plaidé M. Attal. "On va continuer à le financer, à garantir ses moyens, son indépendance", a-t-il ajouté. Ainsi, il a mis en avant la piste d'"un budget voté pour cinq ans", auquel "on ne peut pas déroger".

Lundi Emmanuel Macron s'est engagé, s'il était réélu, à supprimer la redevance télé. Une suppression "cohérente" selon lui avec celle de la taxe d'habitation, l'une des mesures phares de sa campagne en 2017. Les candidats Valérie Pécresse (LR), Marine Le Pen (RN) et Éric Zemmour (Reconquêtes) ont aussi annoncé leur intention de supprimer la redevance, certains d'entre eux proposant de privatiser une partie ou la totalité des médias publics.

Pour le patron des députés LREM Christophe Castaner, "il y a une énorme différence" avec les propositions de Marine Le Pen et Eric Zemmour : "l'un et l'autre veulent supprimer le service public audiovisuel. Le président de la République est très attaché au service public audiovisuel. Par contre, la redevance TV est un impôt aujourd'hui qui est injuste, c'est un impôt archaïque", a-t-il argumenté sur France 2. "Nous prenons un engagement, celui de préserver le service public audiovisuel", a ajouté M. Castaner, précisant que les "3,9 milliards seront pris sur le budget de l'État" et "rendus aux Français, au pouvoir d'achat". Pour le candidat écologiste Yannick Jadot, "que le Président de la République ait trouvé un terrain d'entente avec l'extrême droite sur la redevance télé ça en dit long sur sa vision du service public, sur sa vision d'une information construite en neutralité", a-t-il critiqué en marge de la manifestation pour les droits des femmes à Paris. Lui a assuré qu'il conserverait la redevance, renforcerait les services publics, et lutteront contre la concentration des médias. Dans un tweet, la candidate socialiste Anne Hidalgo a estimé que "supprimer la redevance TV, c'est tuer l'indépendance de l'audiovisuel public, l'affaiblir face aux concentrations médiatiques privées en cours et ouvrir la porte à sa privatisation".

Mais quel mécanisme de financement ?

Un système de redevance garantit un "montant affecté directement chaque année", a déclaré à l'AFP le sénateur PS David Assouline, rapporteur de la commission d'enquête du Sénat sur la concentration des médias. Cela évite "les aléas d'une décision budgétaire, avec arbitrage de Bercy et d'un gouvernement tous les ans", et cela donne donc "de la pérennité et de l'indépendance au service public", a-t-il poursuivi.  "Au moment de choisir le futur mode de financement de l'audiovisuel public, il est important que ce choix nous mette à l'abri de tout soupçon sur notre liberté et notre indépendance", a réagi mardi la présidente de Radio France, Sibyle Veil. Elle y voit "un enjeu démocratique" dans "un monde où la défiance et la désinformation sont partout". "L'enjeu majeur pour le service public est un mécanisme qui assure la garantie, la pérennité et la prévisibilité de notre financement", a pour sa part estimé la présidente de France Télévisions, Delphine Ernotte, selon laquelle "c'est la condition et le pilier de notre indépendance". "J'attends de savoir ce qui prendrait la suite de la redevance telle qu'on la connaît aujourd'hui, et je suis heureuse d'entendre réaffirmer la nécessité d'un service public fort", a de son côté assuré Marie-Christine Saragosse, présidente de France Médias Monde (France 24 et RFI). "Il faut trouver une recette", a jugé sur France Inter Roch-Olivier Maistre, président du régulateur des médias, l'Arcom (ex-CSA).    Au cas où le financement serait assuré à l'avenir par des dotations spécifiques, "pourquoi ne pas envisager (...) que le régulateur donne chaque année un avis" sur leur montant, a-t-il avancé.

La SACD et la SCAM réagissent

Pour sa part, la Société des auteurs compositeurs dramatiques (SACD) appel au « maintien d’une ressource fiscale affectée au financement de l’audiovisuel public », jugeant la proposition du président-candidat Macron « d’un cynisme insupportable ». Rappelant son plaidoyer pour « l’instauration d’une contribution universelle, déconnectée de la possession d’un poste de télévision, et qui pourrait être progressive pour tenir compte des ressources du foyer et être ainsi fiscalement juste », la SACD s’inquiète et interroge : « qui peut croire que le financement de l’audiovisuel public restera de façon intangible une priorité dans un État lourdement endetté, qui va devoir prendre de nouveaux engagements pour répondre au défi du pouvoir d’achat des Français ». Reprenant au vol la proposition du porte-parole du gouvernement, Gabriel Attal, sur le vote d’un budget sur 5 ans auquel le gouvernement ne pourrait déroger, la SACD se dit surprise : « un tel engagement pluriannuel serait, en l’état actuel du droit, constitutionnellement bancal et se heurterait à des obstacles juridiques », avance-t-elle. Et de pointer que depuis 5 ans, le plan d’économies imposé à l’audiovisuel public l’a « amputé de plus de 200 millions d’euros ».

De son côté, la Société civile des auteurs multimedia (SCAM) rappelle au candidat Macron que le président Macron a lui-même mandaté en octobre dernier une mission de l’Inspection générale des finances (IGF) et de l’Inspection générale des affaires culturelles (Igac) sur l’avenir du financement du service public. Pour elle, « dans un monde de dérèglement médiatique, l’audiovisuel public demeure un repère fondamental plébiscité par les citoyens français ». La SCAM dit ainsi soutenir « depuis plusieurs années le projet d’une réforme ambitieuse vers un modèle plus égalitaire, mieux adapté aux usages, en prévoyant une exonération des foyers les plus modestes ». Et d’appeler le candidat Macron à se mettre « en cohérence » avec le président Macron et à donner « publiquement des garanties sur la pérennité de l’audiovisuel public, ses moyens, son indépendance », ajoute-t-elle.

Les recettes issues de la redevance représentent 3,2 milliards d'euros, mais "certains ménages, notamment ceux qui ont les revenus les plus bas, ne la paient pas : ça représente 600 millions d'exonération, que l'État compense à l'audiovisuel public", a précisé le ministre des Comptes publics Olivier Dussopt sur Sud Radio. Depuis 2009, la contribution à l'audiovisuel public est payable par toute personne imposée à la taxe d'habitation et détenant un téléviseur. Son montant permet de financer les chaînes de TV et de radio du secteur public, comme France Télévisions, Radio France, Arte ou France Médias Monde.

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