Sandrine Treiner : France Culture est passée de petite généraliste à un grand média des savoirs, des idées et de la création

Avec 2,5% d’audience cumulée selon les dernières données de Médiamétrie, France Culture bat des records. Le résultat d’un travail de fond qui a vu la station de Radio France évoluer sans rien vouloir céder sur l’exigence de son offre, présente sur tous les supports. Sa directrice Sandrine Treiner détaille ses chantiers 2018, se projette dans l’avenir sans Mathieu Gallet et en dit plus sur le projet d'un futur media social de la culture. Interview exclusive.

CB News : 2017 a marqué pour France Culture un franchissement de cap. Un cap éditorial mais également un cap en termes d’audience…

Sandrine Treiner : 2017, a été l’année de la formalisation du projet de développement initié avec les équipes dès 2015. Cela a véritablement été l’année de la mise en partage pour l’ensemble de la chaine. J’ai pu vérifier que tout le monde avait intégré notre projet d’un média global. Ce qui se valide en temps réel, également, c’est le repositionnement de la chaine sur la zone très précise et très claire, incarnée par notre grille, d’une chaine de la vie des savoirs, des idées et de la création. Et puis, bien sûr, une stratégie qui a été validée par nos résultats d’audience. Depuis la rentrée, nous avons atteint des audiences jamais atteintes par France Culture sur tous les supports. Et ces gains d’audiences ont été réalisés sur tout ce qui a été (ré)aménagé dans la grille de programmes. Au 1er semestre 2017, nous avons augmenté notre temps moyen d’écoute. Dans la seconde partie de l’année, nous avons recruté de nouveaux publics. Ceux-ci ont été recruté chez les jeunes pour une bonne part. Sur les 13-24 ans, mais aussi sur les 24-49 ans. J’espère qu’ils auront envie de rester plus longtemps. Mais ces jeunes publics sont plus mobiles et n’ont pas d’habitudes chez nous. À nous de les créer.

CB News : Un travail de longue haleine qui paie ?

Sandrine Treiner : À mon arrivée, j’avais des partis pris extrêmement concentrés. Nous nous vivions jusqu’alors comme une « petite généraliste » et nous sommes passés à un grand média des savoirs, des idées et de la création. La demande du groupe Radio France était claire : que chaque antenne ait son positionnement, sa spécificité… Que l’on devienne de plus en plus complémentaires des autres en touchant tous les publics, et notamment ceux qui l’étaient insuffisamment… Une demande qui me convenait parfaitement. Comme je le disais, en 2017, nous avons connu une croissance d’autant plus importante qu’elle se jouait sur tous les supports. Côté podcasts, nous venons de franchir le cap symbolique des 20 millions de téléchargements avec 21,776 millions en janvier 2018 (+29% en 1 an), un record. Nous avons atteint 2,5% d’audience cumulée (source Mediamétrie sur la période novembre-décembre 2017, ndlr) contre 1,8 % il y a 8 ans. Quand on passe le million d’auditeurs quotidiens, il se passe forcément quelque chose. On se rapproche maintenant des 1,5 million, cela représente tout de même 4,3 millions d’auditeurs toutes les 3 semaines sur France Culture. Cela veut bien dire que nous sommes dans une logique de démocratisation et de transmission des savoirs que l’on n’a jamais connue. Nous devons consolider ces audiences. Je n’ai rien à vendre, j’ai tout à donner. Ce que propose France Culture pour les jeunes générations, c’est du « pain béni » dans le monde complexe dans lequel ils vivent. On opère un service public autour de l’explicitation des enjeux contemporains, ce que l’on fait de mieux en mieux.

CB News : C’est la mission de France Culture dans un environnement numérique omniprésent ?

Sandrine Treiner : France Culture c’est le média indispensable. On apprend à s’adresser potentiellement à tous grâce à notre avance en matière d’analyses des usages, d’analyses d’évolutions des publics et de diversifications de nos productions. Nos auditeurs ont la possibilité aujourd’hui d’à la fois écouter les émissions en direct, de bénéficier d’une offre de podcasts que nous allons étendre pour les publics qui n’écoutent pas, ou plus, la radio mais qui écoutent et consomment du son autrement. À partir d’une même émission, les auditeurs ont aussi bien accès à une offre linéaire que délinéarisée sur les réseaux sociaux, un site internet et même à disposition une politique de co-édition d’ouvrages et une revue trimestrielle (« Papiers », ndlr). La richesse de France Culture, c’est ce que nous produisons, ce sont nos programmes. À partir de ce cœur, on fait une radio tout en nourrissant des antennes numériques avec leurs logiques. En ne cédant rien sur l’exigence de l’offre. France Culture, c’est la volonté de répondre, avec la diversité pluraliste des réponses possibles, à la diversité des questionnements de tout un chacun. C’est une antenne indispensable.

CB News : 2018, c’est l’année de la mise en route des projets ?

Sandrine Treiner : En 2018, le projet n’est pas d’être tout, partout. À partir d’une grille de programmes consolidée, il est de réfléchir aux différents formats les plus adaptés aux différents supports qui nous permettront sur un certain nombre de sujets, de thématiques, de continuer à étendre la marque France Culture. En 2018, nos process de productions et de diffusions de nos programmes devront être collectifs et formalisés. Cela passe effectivement par le renforcement de notre offre numérique selon les supports.

CB News : Quelles sont les nouveautés à venir ?

Sandrine Treiner : Nous lançons ce lundi 4 nouveaux bouquets thématiques de podcasts. C’est une manière d’étendre notre offre en direction de public captif sur des sujets spécifiques. Par exemple, nous lançons « France Culture physique », un bouquet pour courir et faire du sport tout en écoutant ces podcasts. Un format véritablement adapté à un usage. Il y aura aussi un bouquet International (« L’International »), un sur les Idées (« L’Actu des idées ») et un sur l’actualité culturelle (« Culture en direct »). Le 13 février nous mettrons également à disposition notre premier podcast natif de fiction intitulé « Hasta Dente ! », et l’ensemble de ses 11 épisodes de 10 minutes. Quatre autres séries devraient suivre d’ici le mois de juin. L’état d’esprit est de se dire que la fiction sonore a un avenir et qu’elle aille vers de nouveaux publics.

CB News : Le seul son a plus que jamais de l’avenir…

Sandrine Treiner : Absolument. Le registre du son est celui de l’avenir et il faut s’y préparer. Jusqu’à présent l’univers de concurrence était celui des autres radios. Aujourd’hui, nos concurrents sont de nouveaux entrants qui se lancent directement sur des players de son et produisent des podcasts. Et il y en a de très gros comme Amazon et son entité dédiée Audible. Et il faut être également référencé sur le marché des assistants personnels vocaux. Les contenus sonores vont continuer à monter en puissance. Mais attention, tout ce mouvement de fond ne se fera pas forcément au bénéfice des radios en général. C’est parce que Radio France et France Culture ont fait leur révolution en la matière que l’on est en mesure de lutter et de faire encore mieux.

CB News : Vous souhaitez également développer la vidéo ?

Sandrine Treiner : Oui. Je n’ai rien contre la radio filmée. Mais chez France Culture, ce n’est pas toujours adapté dans les débats, par exemple. Nous voulons plutôt proposer des programmes de connaissance. Une fois par semaine, nous faisons un programme vidéo sur la science, sur les grands débats de la culture et des idées, tout en images, dans des formats qui peuvent aller jusqu’à 12-13 minutes... On peut capitaliser sur des images que nous avons ou sur nos archives sonores. Nous échangeons également avec l’INA.

CB News : Outre le monde numérique, votre volonté est aussi d’être présent dans le monde physique avec des événements ?

Sandrine Treiner : En effet. Nous organisons des Forums autour de l’actualité des savoirs, des Masterclass dans le domaine des arts en partenariat avec des institutions culturelles, des Festivals... Nous sommes aussi bien en coproduction que seul producteur. Certains de ces événements nous permettent d’ailleurs de bouleverser notre grille pour les suivre sur une journée. Nous faisons également des week-ends d’antennes spéciales. C’est la force atteinte par France Culture qui nous permet aujourd’hui de bousculer les habitudes d’une grille et par là même, nos auditeurs.

CB News : Le président de Radio France Mathieu Gallet quittera ses fonctions à la fin du mois. Est-ce que ce départ pourrait remettre en cause vos chantiers actuels ?

Sandrine Treiner : Concernant France Culture et les autres antennes de Radio France, j’ai lu la déclaration de la ministre de la Culture Françoise Nyssen qui disait que le bilan de Mathieu Gallet était bon et qu’elle renouvelait sa confiance aux équipes. Je crois que France Culture ne fait l’objet d’aucun questionnement. Nos résultats parlent pour nous. La direction prise par la présidence de Radio France depuis son arrivée me semble tout à fait en phase avec ce que j’entends des attentes sur l’audiovisuel public émises par le président de la République, notamment. Repenser l’audiovisuel public pour coller aux nouveaux usages, nous n’avons pas attendu pour le faire. Nous sommes déjà sur le chemin de l’avenir. C’est inscrit dans notre réflexion depuis maintenant deux ans. Je ne crois pas qu’il y ait de divergence sur la stratégie. Je pense, et j’espère, que nous pourrons poursuivre le travail tel qu’il est engagé et que peut-être même il sera accéléré. Les zones d’incertitudes sont plutôt collectives. Quel est l’avenir des gouvernances de l’audiovisuel public ? Quel est l’avenir des projets communs comme, par exemple, le projet d’offre culturelle en ligne du service public que je pilote avec Michel Field, mais aussi avec l’INA, France Medias Monde et Arte.

CB News : Justement, où en est le projet autour de cette plateforme ?

Sandrine Treiner : Je ne parlerais pas de plateforme. C’est un projet de synergie sur le terrain de la culture et de la connaissance. Le cœur du projet n’est pas de créer une chaine de plus ou une plateforme de plus, mais de commencer par mieux exposer et valoriser ensemble nos productions existantes. Nous allons également travailler ensemble pour proposer des programmes en direction des réseaux sociaux, des plateformes vidéo, etc. Un véritable media social de la culture, en fait. Partir de ce que chacun sait faire en matière de culture pour proposer quotidiennement une production commune de programmes courts et moins courts, exclusifs. Nous travaillons actuellement sur la bibliothèque des formats, à de nouvelles écritures… Nous nous sommes donnés jusqu’au printemps pour le lancement. Nous verrons à ce moment-là.

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