Arthur Larrey (Audion) : “L’audio digital est un format largement sous-monétisé

Arthur Larrey à Cannes

Des innovations en matière de monétisation à l'essor du podcast vidéo, sans oublier l'IA, les tendances qui agitent le secteur de l’audio digital sont nombreuses et sont au cœur des discussions lors du London Podcast Festival fin mai et des Cannes Lions mi-juin.

CB News fait le point avec Arthur Larrey, co-fondateur d'Audion.

CB News : Quelles sont les principales tendances que vous avez observées lors du London Podcast Festival cette année et qui devraient être au cœur de vos discussions aux Cannes Lions ?

Arthur Larrey : Nous avons identifié trois grandes thématiques qui dominent actuellement le secteur. Premièrement, la monétisation du podcast, qui était historiquement le serpent de mer de l'industrie. Aujourd'hui, nous avons enfin des certitudes : le marché a trouvé son modèle économique autour de la publicité. Cette tendance est renforcée par la présence croissante d'acteurs américains à Londres, qui nous donnent une vision de ce à quoi pourrait ressembler le marché européen dans trois à quatre ans. Deuxièmement, l'intelligence artificielle commence à s'immiscer dans tous les compartiments de l'industrie du podcast. Et troisièmement, nous voyons émerger le podcast vidéo, avec cette logique de croisement entre l'audio et la vidéo, qui soulève des questions sur les nouveaux modèles économiques et les plateformes capables de supporter cette intégration.

CB News : Comment la monétisation du podcast a-t-elle évolué ces dernières années ?

Arthur Larrey : Il y a encore trois à quatre ans, l'industrie s'interrogeait sur le modèle économique optimal entre les abonnements et la publicité. La réalité aujourd'hui, c'est que le podcast est un média financé par la publicité en très grande majorité. Les gagnants aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans certains pays européens sont les créateurs et éditeurs qui ont pris le virage publicitaire. Le modèle repose à la fois sur des formats spécifiques au podcast, du host-read natif, du sponsoring et des activations OPS, mais aussi de plus en plus sur la publicité programmatique automatisée. C'est un changement majeur pour l'Europe, qui était historiquement moins avancée sur ce segment, et cela pose la question de l'adoption de la stack technologique adaptée par les éditeurs.

CB News : Quels sont les chiffres clés de cette croissance ?

Arthur Larrey : L'audio est l'un des formats qui progresse le plus en termes d'investissements publicitaires, que ce soit aux États-Unis ou en Europe. Le marché dépasse les sept milliards de dollars d'investissements aujourd'hui. De plus, c'est un format très largement sous-monétisé : le ratio temps de publicité / temps d'audience est aujourd'hui défavorable d'un point de vue publicitaire, ce qui représente un potentiel d'optimisation énorme. Nous observons également que la part des investissements programmatiques progresse plus rapidement que les autres formats d'insertion publicitaire. Et là encore, il y a un fort potentiel de croissance alors que ce mode d'achat concerne moins de 25 % des investissements. C'est bénéfique puisque le programmatique représente 80 % des dépenses publicitaires en ligne dans le monde, et à terme l'audio digital devrait s'aligner avec les pratiques observées en display ou en VOL.

CB News : Quels sont les freins à adresser pour augmenter la part du programmatique dans l'audio digital ? Est-ce un problème de standards, à l'image de ce que l'on voit sur les autres canaux qui se digitalisent comme la TV ou l'OOH ?

Arthur Larrey : La CTV est un bon exemple. Il y a encore trois ans, ce marché était considéré comme très complexe. Aujourd'hui, les investissements explosent, notamment grâce au programmatique. Comme toujours, les adtechs font des arbitrages au moment d'intégrer de nouveaux formats et canaux. Pour justifier ces développements sur mesure, il faut être certain qu'il y ait du revenu en face. On en est là avec l'audio : de plus en plus d'acteurs généralistes nous sollicitent pour intégrer l'audio à leur activité. Ils sentent que la demande est là, et que côté supply, de nombreux inventaires premium et exclusifs sont à valoriser. Mais en effet, l'un des enjeux est la mise en place de standards. On sait par exemple que Prebid a mis en place un groupe de travail pour traiter l'audio. Mais je pense que d'ici douze à dix-huit mois, la plupart des adtechs généralistes supporteront le format podcast et plus globalement tous les formats audio. Et cela passe notamment par l'utilisation de l'IA pour débloquer la création de formats adaptés à grande échelle, renforcer les ciblages et faciliter la mesure.

CB News : Comment l'IA transforme-t-elle concrètement l'industrie du podcast ?

Arthur Larrey : L'IA intervient sur trois axes principaux. D'abord, la création de contenu : génération de scripts, recherche de nouvelles thématiques, synthèse de descriptifs d'épisodes. C'est un gain de productivité considérable pour les créateurs, qui permet de générer plus de contenu et donc de faire croître les audiences. Attention toutefois, on est encore loin de générer des voix par IA pour remplacer les podcasteurs !

Ensuite, l'IA facilite la distribution du contenu : nous voyons émerger des solutions qui créent automatiquement des capsules vidéo à partir du contenu audio pour les réseaux sociaux. Aux États-Unis, des acteurs proposent des solutions très managées qui formatent automatiquement le contenu pour YouTube, Instagram ou TikTok. Bien que le gros des écoutes reste chez Apple et Spotify, cela permet de toucher de nouvelles audiences et de générer plus de revenus.

Enfin, l'IA bouscule les pratiques en matière de publicité : il y a une telle pluralité de contenus qu'il est impossible de faire une curation manuelle pour cibler au mieux les publicités. L'IA va permettre d'identifier plus facilement les contenus en adéquation avec le brief d'un annonceur. Chez Audion, nous sommes en première ligne sur ce sujet. En France, on dispose d'un inventaire de 200 000 podcasts. L'IA nous permet de faire de l'ultra-ciblage à l'échelle, en ne diffusant une pub qu'à partir de 80 % d'affinité avec un épisode. Par ailleurs, nous avons développé des produits sur toute la chaîne de valeur. Notre outil "Audience Sense" analyse les spots audio des marques avec l'IA pour optimiser les call-to-action, la tonalité, l'émotion.

Nous travaillons aussi sur le voice cloning et la personnalisation contextuelle en temps réel, avec un message différent selon la météo, le contenu qui est écouté, ou l'emplacement géographique de l'auditeur. C'est très utile pour les retailers par exemple, quand il faut indiquer l'adresse du point de vente le plus proche. Pour l'instant, ces utilisations restent très ponctuelles, mais vont se développer à l'avenir.

CB News : Quels sont les freins à l'utilisation de l'IA ? S'agit-il d'enjeux juridiques et éthiques, ou plutôt technologiques ?

Arthur Larrey : L'éthique est un sujet crucial, notamment sur le voice cloning. Nous collaborons avec le syndicat des voix en France pour établir un cadre légal équitable qui protège les comédiens tout en permettant l'innovation. Idem pour la souveraineté : nous utilisons des serveurs européens et des solutions comme Mistral plutôt que ChatGPT pour respecter le RGPD. Aux États-Unis, les créateurs commencent à céder leurs droits vocaux pour automatiser leur voix et absorber plus de budgets publicitaires. En Europe, nous ne sommes pas encore prêts pour cela, car le marché est moins mature, les budgets ne sont pas aussi importants, et le cadre réglementaire est aussi plus strict. Mais c'est une évolution à surveiller.

CB News : Vous avez évoqué le développement des formats audio hors des plateformes natives comme Spotify. Quelle est la place de YouTube dans l'écosystème podcast aujourd'hui ?

Arthur Larrey : YouTube est probablement la première plateforme d'écoute audio au monde, avec de nombreux utilisateurs qui écoutent sans regarder, notamment pour la musique. Depuis quelques années, de nombreux podcasteurs uploadent leur contenu sur YouTube, et toutes les radios françaises font de la captation vidéo en direct. YouTube a donc accéléré sur l'audio, en réponse sans doute aux ambitions de Spotify sur la vidéo. Les deux géants se livrent une guerre pour attirer les talents et les audiences dans leurs applications respectives. Cependant, YouTube paie moins bien les créateurs, et tous les podcasts ne sont pas adaptés au format vidéo.

CB News : Comment analyser les ambitions de Spotify sur la vidéo dans ce contexte ? Est-ce un moyen d'accélérer sur la publicité programmatique, en attendant que l'audio soit mieux monétisé de cette façon ?...

Arthur Larrey : En effet, ce mouvement n'est pas anodin. Le gros des investissements concerne la vidéo, et c'est un moyen pour Spotify de renforcer son modèle publicitaire. Mais est-ce la bonne solution en attendant la standardisation de l'audio ? Je ne sais pas. Techniquement, la distribution audio-vidéo fluide n'existe pas encore. Cela ajoute une complexité opérationnelle importante pour un modèle économique qui reste incertain. Je pense au contraire que la standardisation de l'audio va s'accélérer, au même titre que ce que l'on observe avec la CTV et le retail media. Mais ce qui est certain, c'est que les environnements hors audio comme la vidéo sont cruciaux pour faire découvrir de nouveaux podcasts. Apple Podcasts et Spotify ont des difficultés à assurer cette sérendipité que YouTube ou Netflix réalisent très bien. Les auditeurs de podcasts ont du mal à découvrir de nouveaux contenus, ce qui limite le développement de l'écosystème. Il faut donc promouvoir les contenus en dehors de ces applications pour ensuite ramener les auditeurs vers les plateformes audio traditionnelles.

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