Annonceurs-Agences : amours, abus et maltraitances

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(© Nicolas Broquedis)

Les temps changent. Les rapports de domination installés depuis des siècles dans nos sociétés se ré équilibrent peu à peu, sans s’effacer complètement… Il est une relation qui reste à « libérer », celle du vendeur et du client, rapport de force depuis que le monde est monde. On connait bien sûr la brutalité du client distributeur envers ses fournisseurs, caricaturale…

Le rapport de soumission qu’impose parfois l’annonceur à son agence est plus subtil. Cette emprise qui parfois donne lieu à bien des abus…Car offrir ses services en échange d’argent peut souvent (pas toujours) conduire à une position de dépendance et d’infériorité, pervertir une relation…

La relation agence-annonceur a ceci de particulier qu’on a l’habitude de la considérer comme « respectable ». On parle d’ailleurs de partenariat, même parfois abusivement de mariage. Comme dans un couple, l’union, à un moment donné, est utile et nécessaire pour édifier un projet, donner naissance à une campagne, construire sur le long terme.

Annonceurs et agences ont intérêt à cette relation productive de valeur ajoutée sur la durée.

Certains clients, par cynisme ou par inexpérience, réussissent à tout gâcher, tels des enfants capricieux et impatients : 

- Ils se lassent vite : L’effet « whaou ! » passé, l’agence choisie leur apparaît dans toute son humanité, avec ses forces et ses faiblesses. Il n’y a plus l’excitation strass et paillettes des premiers contacts. On voit les failles, on s’imagine bien vite que l’herbe est plus verte ailleurs…

- Ils sont infidèles : ils « consomment » les agences, multipliant leurs partenaires de façon boulimique voire addictive. Ils en changent une fois par an. Plus ils sont petits, plus ils ont d’agences. S’afficher avec une agence différente à chaque campagne les rassure probablement sur leur taille ou sur leur pouvoir…

- Ils rejettent la faute sur l’autre : voilà une pratique que les agences connaissent bien : leur partenaire les culpabilise en reportant sur elle la frustration et le stress que le business leur inflige. Un exemple courant : on réalise en amont un brief communication médiocre, voire inexistant, mais on exige en aval une réponse stratégique lumineuse et une création inspirante…Et si ce n’est pas le cas, on juge que l’agence est une fois de plus « nulle »…

- Ils dévalorisent leur partenaire : certains annonceurs imaginent qu’on peut payer une agence uniquement au temps passé : sans marge bénéficiaire, sans rémunération des idées. Autrement dit, il est inenvisageable de « payer » pour une « prestation intellectuelle ». Une façon de leur signifier leur peu de valeur, qu’elles sont interchangeables à merci…Bien souvent, il n’y a pas de contrat annuel, encore moins d’honoraires : on travaille au coup par coup et dans la plus grande précarité.

D’autres annonceurs arrivent au contraire à conduire leur relation avec sagesse, sur un long chemin de réussite :

- Ils sont motivants : quand on travaille en agence, on sait bien qu’il y a des clients qu’on adore et pour lesquels on va se mettre en quatre. Faire partie de ceux-là est une bonne pratique, qui plus est profitable…

- Ils respectent le travail accompli : quelle que soit la proposition présentée par l’agence, sauf exception, il y a en amont un vrai travail, une conviction ou une inspiration… La posture du client qui consiste à chercher ce qu’il y a de bien plutôt que de gratter là où çà fait mal, fait non seulement montre de considération mais aussi lui permet d’entrevoir les choses autrement, avec un regard différent.

- Ils savent lâcher prise et faire confiance : un client qui se sent en confiance avec son agence partenaire peut parfois décider de laisser faire son agence sur un projet qu’il n’a pas complètement appréhendé. Il faut parfois savoir déléguer à ceux qui ont leur idée en tête.

- Ils choisissent une équipe plutôt qu’une campagne : de plus en plus d’annonceurs ont compris que le choix crucial en compétition est sur l’équipe plutôt que sur la création. Instinctivement, ces clients savent qu’une fois la « dream team » constituée, il faudra parfois du temps pour « sortir » la grande idée.

En fait, les grandes campagnes ou les sagas publicitaires ont été réalisées par des « équipes de rêve » sur la durée. Ceux qui ont eu la chance de vivre une telle relation de confiance savent que les « success stories » ne s’inventent pas, mais qu’elles sont le fruit d’une union heureuse et au long cours entre un annonceur et son agence. Le fruit d’une histoire partagée où la compétition n’est pas toujours propice à l’inspiration d’une grande idée…Où la complicité et l’intimité donnent naissance à la publicité réussie. A l’inverse, abus et maltraitances au quotidien, compétitions opaques ou sans respect pour le travail accompli, bafouant les agences perdantes, ne peuvent conduire qu’à des campagnes mal nées voire avortées…

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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