Authenticité en berne, créativité en panne : la double crise de la publicité moderne

Le métier de marketeur s’est transformé en profondeur ces vingt-cinq dernières années.
En 2010, on comptait une trentaine de fonctions marketing. Aujourd’hui, avec l’explosion du digital, la multiplication des outils dans le stack martech, et l’hyperspécialisation des métiers, on en dénombre plus d’une centaine. Une galaxie d’experts, de canaux, de tactiques, et de dashboards.
Fini l’époque Mad Men, où il suffisait d’acheter la pleine page dans le bon journal ou de dégoter le spot télé le plus cher pour clamer haut et fort : nous sommes les premiers.
Aujourd’hui, chaque centime doit rendre des comptes. Chaque action doit être trackée, taguée, analysée. Attribution first-touch, last-touch, multi-touch, modélisation probabiliste via le Marketing Mix Modeling… Le marketing est devenu un laboratoire de données, mais à force de disséquer le vivant, on en a peut-être tué l’âme.
Le premier à en souffrir ? Le consommateur.
Pourquoi oser quand tout peut être mesuré ? Pourquoi créer quand les benchmarks dictent ce qui fonctionne ? Le marketing est devenu un art prudent. Une science tiède. Et notre pauvre stagiaire marketing, prié de “s’inspirer des campagnes performantes”, finit par produire une soupe fade, indolore, mais conforme aux attentes.
L’IA n’a fait qu’accélérer cette standardisation.
Un prompt, et c’est parti : des textes bien écrits, bien formatés, bien pensés… et parfaitement interchangeables. L’originalité ? Enterrée. La surprise ? Inexistante. L’émotion ? Optionnelle.
Maurice se noie dans son bocal. Plus besoin de slogan culte, de grain de folie, ou même d’un bon mot. Le client est trop bête pour comprendre — alors on lui explique. On l’étouffe. On l’assomme.
Après tout, on sait ce qu’il veut : on a croisé ses données, mesuré ses clics, analysé ses réactions, modélisé ses comportements. On le connaît mieux que son psy. Mieux que lui-même.
Alors pourquoi chercher à le séduire quand il suffit de l’optimiser ?
Résultat : une overdose.
La publicité est devenue omniprésente, invasive, ininterrompue. Téléphone, boîte mail, applis, musique, streaming — impossible d’y échapper. Même les réseaux sociaux, pourtant inventés pour recréer du tissu social, ont transformé les consommateurs que nous sommes en Tantales des temps modernes incapables de s’abreuver d’autres choses que de publicité.
Et avec elle, une fatigue généralisée. Non pas parce qu’elle existe, mais parce qu’elle ne surprend plus. Elle sature. Elle assomme. Elle répète en boucle les mêmes mécaniques, les mêmes messages, les mêmes injonctions.
Et si le vrai problème, c’était cette normalisation algorithmique du message ?
Et si, pour se faire remarquer en 2025, il fallait à nouveau parier sur le rare, le fort, le marquant ? Sur ce qui vibre, ce qui dérange, ce qui reste ? Et si, finalement, c’était mieux avant, au moins sur ce point ?
Et si le marketing de demain ne reposait pas sur des formules pré-faites, mais sur l’audace ?
Et si, en 2025, celui qui se distinguait n’était pas celui qui maîtrisait les KPIs et les algorithmes à la perfection, mais celui qui osait défier les normes établies ?
Le vrai marketeur pourrait-il être celui qui, à contre-courant, se réinvente, fait confiance à son intuition, et ose aller là où l’algorithme ne le pousse pas ? Celui qui met la psychologie, l’émotion, et les valeurs de la marque au cœur de sa stratégie ?
Le marketer visionnaire, le ninja-guru-wizzard tant apprécié par nos startups ne se contenterait pas de tracker chaque clic, chaque scroll, chaque centime.
Il prendrait du recul, il réinvestirait dans la confiance et la créativité. Il bâtirait des campagnes audacieuses, capables de toucher, de bousculer, de rester ancrées dans les mémoires. L’objectif n’est plus la rentabilité immédiate, mais la création d’une relation authentique, humaine et durable avec ses clients.
Bien sûr, il n’échapperait pas aux exigences de rentabilité. Mais avant de revenir aux tableurs et aux ROI calculés au centime près, il oserait prendre des risques. Il reviendrait à l’essence même du marketing : toucher les gens, les faire réagir, les faire ressentir quelque chose. Créer des émotions. Créer des moments.
Alors, à l’heure où l’IA prend le pouvoir, où les chiffres dictent tout, et où la publicité devient envahissante, n’oublions pas la force d’une idée originale, d’un message percutant, et d’un marketing qui fait vraiment sens.
Réinvestissons dans ce qui fait de nous des humains : l’émotion, la confiance, la différence.
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