Com : l’intimité est-elle morte ?

meunier

À l’heure de l’hyper-connexion et du tout digital, afficher son intimité en ligne est devenue monnaie courante. Dévoiler son chagrin, ses phobies ou son anxiété sociale est même une tendance sur les réseaux sociaux comme TikTok ou Instagram, et nombreux sont ceux qui s’y montrent les larmes aux yeux. Réflexion sur ce qu’est devenu le concept d’intimité en 2021.

Une intimité fragilisée

Alors que les réseaux sociaux sont devenus le premier canal d’information et d’expression, avons-nous encore bien conscience de ce que représente l’intimité ?

Tandis que notre intimité physique concerne les parties de notre corps et ce que l’on en fait, l’intimité mentale relève de nos projets, nos doutes, nos convictions, nos aspirations religieuses ou politiques, les relations que l’on entretient. Si les réseaux sociaux nous poussent à dévoiler nos corps, ils nous incitent également à révéler notre psychisme, considéré comme plus intime encore pour certains.

La frontière de la confidentialité semble de plus en plus trouble, avec des influenceurs qui exposent leur intimité de fond en comble, et nous, spectateurs, qui observons cela passivement. TikTok et Instagram représentent les grandes scènes de notre temps, l’agora contemporaine, sur lesquelles ils se livrent, se dévoilent, se montrent sous toutes leurs coutures. Qu’il s’agisse de leurs sentiments, leurs relations, leurs émotions, leurs corps ou encore leur sexualité, les frontières de l’intimité sont sans cesse repoussées.

Pour ne citer que quelques exemples, certain(e)s influenceur(ses) se mettent à nu et se filment sous la douche pour présenter à leur communauté des shampoings, d’autres exposent des détails de leurs opérations chirurgicales pour faire la promotion de cliniques esthétiques, ou exhibent même leurs peaux mortes et autres résidus de sébum pour communiquer sur des aspirateurs à points noirs.

On ne cherche pas ici à pointer du doigt un coupable, celui qui en montre trop ou celui qui fait du voyeurisme. Faisons simplement le constat que la proximité entre les influenceurs et leur audience est aujourd’hui sans limite. La téléréalité en est un autre exemple : pas d’intimité pour les participants, ils doivent se mettre à nu… au sens propre comme au figuré.

La vie intime, qui est définie comme ce qui relève du privé, tenue cachée du regard des autres, n’est plus vraiment intime, mais relève désormais du domaine public et a pénétré la communication suite à une demande grandissante de transparence de la part du public. Mais quand, de l’autre côté, les données récoltées par les entreprises posent un souci d’éthique à certains, se dévoiler autant sur les réseaux sociaux semble antinomique. Où se situe, alors, la frontière entre ce que l'on dévoile de nous, et ce qui est de l'ordre du privé ? Et en 2021, à l’ère où nous partageons tout sur les réseaux sociaux, qu’est devenu le concept de jardin secret ?

(Re)définition

Le nouveau jardin secret est digital. Pour limiter leur exposition sur les réseaux sociaux, un nombre croissant d’utilisateurs semblent avoir recours aux fonctionnalités de restriction de l’audience. Au-delà de mettre son compte en privé, les stories “amis proches” se révèlent être de véritables outils de journal intime destinés à une audience restreinte choisie.

 Face à la surexposition normalisée, les plus jeunes sont de plus en plus nombreux à revoir leur vision des cercles sociaux. Eux qui tendaient à être toujours plus ouverts et vastes depuis plusieurs années, semblent tendre à présent à l’inverse : être plus fermés, limités à des audiences proches et sélectionnées pour mettre en scène leur « vraie intimité ».

La tendance finstagram témoigne de cela : de nombreux adolescents jonglent entre leur compte insta traditionnel, et leur finsta (fake-insta), sorte de journal intime destiné à un cercle très fermé, et sur lequel le contenu est aux antipodes des codes du réseau social : des photos prises sur le vif, de moments pas toujours glorieux, des images qui ne sont ni bien léchées, ni particulièrement sexy.

Avoir un second compte, plus privé donc, apparaît comme la parade de certains pour (re)préserver leur intimité.

Et si les influenceurs étaient eux aussi en train de faire un rétropédalage ? Récemment, plusieurs ont fait parler d’eux car ils ne souhaitaient plus exposer leur vie amoureuse, considérée dorénavant comme privée.

Les réseaux Discord et Clubhouse semblent également aller dans ce sens : d’un côté, Discord, initialement créé pour les joueurs de jeux vidéo en ligne, qui fonctionne par groupes privés appelés “serveurs” et sur lequel les utilisateurs peuvent inviter d’autres participants et organiser des discussions. De l’autre côté, Clubhouse, le réseau hyper-confidentiel qui n’utilise que la voix et qui a la cote depuis quelques mois. Les utilisateurs, qui sont seulement quelques milliers dans le monde pour l’instant, peuvent créer des “salles de discussion” et y inviter d’autres participants. Mais ce qui fait la hype de ce nouveau réseau, c’est son exclusivité : impossible de télécharger directement l’application et de se créer simplement un compte. Il faut avoir le privilège d’être invité par un membre pour y accéder. Un cercle très privé, donc.

Finalement, si les réseaux sociaux ont fortement favorisé l’extime, cette part d’intimité volontairement rendue publique, c’est aussi eux qui aujourd’hui rendent possible le retour de l’intimité, et le goût du secret. Il semblerait alors que le concept d’intimité ne soit pas réellement mort, mais qu’il renaisse de ses cendres, qu’il soit en pleine mutation liée aux générations et aux nouveaux usages.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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