Les éditeurs de jeux sont-ils le talon d’Achille du développement de l’esport ?

Comment les éditeurs peuvent-ils ériger l’esport au statut de sport démocratisé, mission quasiment d’intérêt général, alors que leurs motivations sont forcément vouées à satisfaire des intérêts privés ? Par Léna Gautier, planneuse stratégique chez Biborg

Le vendredi 27 Janvier, la Mairie de Paris accueillait le Dojo Esport : un événement devenu incontournable dans la sphère gaming et esport. Il a déjà rassemblé à deux reprises, durant une journée entière, différents acteurs du milieu, aussi bien endémiques - éditeurs tels que EA Sports ou Riot Games, équipes esportives avec Fnatic et Vitality, associations comme France Esports ou encore des marques telles que Scuf Gaming- que non endémiques - Orange, ManpowerGroup, Université Paris Descartes, Paris & Co. L’équipe de Biborg, agence créative de publicité digitale, avec une solide expertise dans l’univers du jeu vidéo, était sur place.

Si différentes thématiques ont été discutées - le futur du jeu vidéo compétitif, sa place à la télévision, l’importance de l’esport amateur - de longs débats ont porté sur la place des éditeurs de jeux dans cet écosystème. Alors que leur rôle semble essentiel pour l’essor de l’esport, leurs véritables motivations, parfois autocentrées, sont de plus en plus remises en question: l’esport ne serait-il qu’un outil marketing pour ces géants de l’industrie vidéoludique ? Pour certains éditeurs, tels que BigBen Interactive, l’esport est effectivement une nouvelle flèche à leur arc permettant “d’améliorer le bénéfice opérationnel et transformer les joueurs en relais de communication” et “maximiser les ventes sur la durée” (cf. Benoît Clerc, responsable BigBen Interactive au Videogame Economics Forum d’Angoulême, Mai 2016). Ces diverses conversations au sein du Dojo Esport ont finalement permis de relever un questionnement au coeur du débat : peut-on associer les intérêts économiques des éditeurs et le développement d’une activité sportive telle que l’esport ?

En effet, l’esport attend beaucoup des éditeurs. Avant toute chose, optimiser le gameplay des jeux actuels en fonction des retours des gamers et communiquer sur leurs jeux actuels et leur fonctionnement pour les rendre plus abordables. Ensuite, dynamiser l’esport en innovant et créant de nouveaux jeux adaptés à la scène esportive, mais aussi accessibles et compréhensibles de tous pour agrandir la communauté. Et surtout, structurer l’esport, le rendre clair, lisible et praticable par le plus grand nombre, en participant à l’établissement de réglementations encadrant les joueurs mais aussi la pratique de leurs différents jeux.  En clair, les éditeurs ont pour rôle de booster l’évolution de la communauté, de la pratique et du business esportif en pensant des jeux “Good to play, to watch, to broadcast and to entertain”  (plaisant à jouer, regarder, à partager et divertissant) selon Mo Fadl, responsable Esport Riot Games UK.

Mais, les experts se questionnent : en toute lucidité, comment les éditeurs peuvent-ils ériger l’esport au statut de sport démocratisé, mission quasiment d’intérêt général, alors que leurs motivations sont forcément vouées à satisfaire des intérêts privés ?

A la grande différence des sports classiques, “libres de droit”, l’esport repose entre les mains d’entreprises privées. Le football appartient à tous; amateurs et professionnels peuvent le pratiquer librement, tandis que les joueurs de Counter Strike: Global Offensive (développé par Valve) doivent payer pour y avoir accès, et les équipes souhaitant pratiquer Overwatch (développé par Blizzard) doivent d’abord correspondre au cahier des charges établie par l’Overwatch League pour se lancer dans la course.

Alors que la communauté espère tant des éditeurs, elle redoute aussi leurs initiatives. Les League of Legends Champions Series de Riot Games ainsi que l’Overwatch League sont en effet tout aussi impressionnantes et estimées que craintes par les experts présents au Dojo Esport.  D’autant que l’esport évolue à vitesse grand V; il est impossible de prévoir de quoi son avenir sera fait. Tandis que son écosystème risque d’être totalement chamboulé par l’arrivée de gros mastodontes (on pense aux GAFA entre autres) avec un pouvoir financier largement supérieur à celui des forces actuellement en présence, les experts sont unanimes sur le fait que les jeux qui feront l’esport de 2027 n’existent probablement pas. Finalement, toutes ces réglementations ne brideraient-elles pas trop l’évolution et la pratique de l’esport ?

Structurer oui, limiter non: voici la règle d’or qui semble s’esquisser à l’issue de cette journée. L’esport a besoin d’une entité qui serait vecteur d’innovation et d’épanouissement, et non pas seulement génératrice de chiffre d’affaires. Sans créativité et nouveautés, sans penser l’esport de façon verticale, comme un grand tout (de la pratique ammateur à la pratique professionnelle); l’esport pourrait s’éteindre peu à peu.

En fin de compte, l’une des solutions qui s’offre aux éditeurs pourrait être de faire participer la communauté via des instances indépendantes. Formées par l’initiative de chaque éditeur, elles seraient par ailleurs totalement autonomes, avec leur propre liberté d’actions. Elles bénéficieraient d’une place stratégique et idéale, au coeur des relations entre éditeurs, gamers et joueurs professionnels, tout en relâchant la pression liée aux objectifs financiers.

L’évolution exponentielle de l’esport nous pousse à penser aux termes de son développement en même temps que sa structuration. Certes, cela demande un certain jeu de jambes de la part de la communauté. Mais c’est aussi la preuve qu’une passion peut permettre à ceux qui la partagent de se dépasser et de relever les plus grands défis; et c’est en tout cas ce que Biborg va retenir de cette journée.

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