Expérience client et image de marque à l’ère du Métavers

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Nous sommes en 2005, Rafael Nadal remporte son premier Roland Garros, YouTube vient à peine d’être lancé, et Alex Tew, étudiant en Grande Bretagne, lance The Million Dollar Homepage pour financer ses études. Autrefois phénomène d’internet, le concept était pourtant simple : une grille de 1000x1000 pixels blancs vendus 1$ par lots de 100. L’acheteur peut alors poster une image menant vers un lien sur la parcelle acquise. Résultat ? L’intégralité des pixels a été vendue en un peu plus de 4 mois, avec un succès surprenant pour l’époque chez les annonceurs. 17 ans plus tard, les parallèles avec l’engouement des marques pour le métavers sont nombreux.

Il peut être difficile de se faire une idée de ce que représente concrètement le métavers. Les visions et définitions divergent parfois. Néanmoins, il semble évident que notre présence en ligne est arrivée à un point d'inflexion majeur.

Qu’est-ce que le métavers ?

Beaucoup le considèrent comme le passage de sites web textuels et d’écosystèmes clôturés, à des environnements 3D ouverts et interopérables, où les utilisateurs interagissent au travers d’avatars. Le métavers est souvent associé à la réalité virtuelle ou augmentée ; il s’agit là de moyens essentiels pour découvrir et explorer des mondes en 3D. Toutefois le métavers est loin de se cantonner à ce type de supports. Les itérations actuelles de métavers sont, pour la majorité, accessibles sur ordinateur ou smartphone. Un autre aspect souvent mis en avant est la composabilité : la possibilité de retrouver son avatar, certains items ou objets en migrant de plateforme en plateforme, amenant cette notion de deuxième identité digitale. Le concert de Travis Scott dans Fortnite en 2020, rassemblant au total plus de 27 millions de participants en est une illustration tangible. La célèbre plateforme de jeu vidéo a créé l’événement en proposant un concert de musique live, avec un véritable artiste, représenté grâce à son avatar, performant devant une foule virtuelle de véritables joueurs.

Les outils comme Zoom ou Teams peuvent aussi être considérés comme des formes légères de métavers; des environnements virtuels où les utilisateurs échangent et collaborent, souvent représentés par leurs propres visages à travers leurs webcams. Si cette explication inclut les éléments expliquant la tendance actuelle (3D, VR, etc.), elle réduit le métavers au simple gain d'une dimension dans la représentation d'internet, et exclut toute raison plus profonde à l'existence de ce phénomène. L'Académie Française définit l'identité comme le caractère de ce qui reste identique et permanent dans un être, le fondement de son individualité. Sous ce prisme, le métavers devient le support métaphysique de l'ensemble de nos interactions digitales, pour leur majorité indélébiles et rémanentes. C'est l'endroit où se manifeste notre deuxième identité digitale. Sous cette définition moins restrictive, bon nombre de supports digitaux permettant d'exprimer son individualité font partie du métavers, notamment les réseaux sociaux. C’est ce mélange d’expériences virtuelles et de lien au monde réel qui représente le mieux le métavers. Celle qui, surtout, attise la convoitise des marques à la recherche de nouveaux canaux de communication, de nouvelles expériences à proposer.

NFT & Métavers : A quoi servent les NFT et quel rôle jouent-ils dans le métavers ?

En parallèle de cet engouement pour le métavers, l’année 2021 a aussi été marquée par l’explosion de popularité des NFT, une brique technologique cruciale pour faire évoluer le métavers vers ce qu’il ambitionne de devenir : une constellation de “micro-univers” interconnectés et riches en contenus. Les NFT ou tokens non-fongibles partagent la même infrastructure décentralisée que les cryptomonnaies. Elles constituent au même titre une nouvelle forme de propriété numérique, native d’internet et inscrite sur le registre public décentralisé que la blockchain (une blockchain publique possède un mécanisme de consensus décentralisé, seul moyen de garantir une réelle désintermédiation, à l'inverse des blockchain privées d'entreprise qui ne présentent que très peu d'avantages dans l'absolu.). Les marchés ne peuvent opérer sans réels droits de propriété clairement définis : pour le cas des œuvres digitales, il est impossible de différencier le propriétaire d’une œuvre de quelqu’un en possédant une copie. Pour acheter un bien, il faut savoir qui a le droit de le vendre, et il faut être capable de transférer cette propriété du vendeur vers l’acheteur, idéalement sans devoir recourir à un tiers de confiance. C’est ce problème que résolvent les NFT en proposant aux parties prenantes un objet qu’ils peuvent accepter comme preuve de propriété légitime. De plus, la programmabilité des NFT peut rendre le propriétaire à la fois investisseur, membre d’un club, “brand shareholder” et participant d’un programme de fidélité. En définitive, les tokens non fongibles rendent possible la création d’un marché bâti autour de nouvelles formes de transactions, permettant l’échange de produits qui ne pouvaient être vendus précédemment.

Web 3, le début d’une nouvelle ère : quelles implications pour le métavers ?

Une autre façon d’aborder cette innovation dans la matérialisation d’internet, est de faire un bond en arrière et d’observer les grandes étapes qui ont façonné le web d’aujourd’hui. Au début d’internet, la création de contenu était du ressort exclusif d’un nombre limité d’acteurs, souvent créateurs de contenu en dehors d’internet, comme la presse. La première grande transition remonte au milieu des années 2000 et l’arrivée du Web 2.0 : comprenez Facebook, YouTube, réseaux sociaux et web participatif. Le principal marqueur de cette transition est l’essor de l’UGC (user generated content) : The Times paie des journalistes et des éditeurs afin d’alimenter son site web en contenu, tandis que Facebook se repose sur ses utilisateurs pour enrichir sa plateforme de façon (souvent) bénévole. L’adoption du Web2 a grandement bénéficié de la démocratisation du pouvoir de publication sur internet et des effets de réseau, donnant un coup de fouet au développement des GAFAM, valorisés aujourd’hui à 8,7 trillions de dollars, plus de 3 fois le CAC40. Néanmoins, la redistribution de cette valeur reste limitée voir absente des modèles économiques des plateformes web2 : rémunération soumise à des conditions pouvant varier d’une année à l’autre sur YouTube, auto-gratification en like et popularité perçue sur les réseaux sociaux, exploitation sans contrepartie des données utilisateur... Le web3 ambitionne de rendre l’utilisateur acteur et agent des plateformes avec lesquelles il interagit : le web1 a facilité la distribution des contenus sur internet, le web2 a rendu accessible à tous le pouvoir de publication et a donné naissance à l’économie de la création, le web3 entend réattribuer la propriété des contenus aux utilisateurs des plateformes, donnant naissance à l’ère du “User Owned Content”. Ce changement d’approche peut être un puissant catalyseur pour générer de l’engagement, notamment en répondant aux faiblesses du web2 en termes de souveraineté et de portabilité des données, et surtout en termes de mécanismes d’accumulation et de redistribution de la valeur.

Les enjeux des marques pionnières du Web3 et du métavers

Bien que le métavers du web3 n’en soit qu’à ses prémisses et que les technologies sous-jacentes ne soient pas encore matures (blockchain et matériel permettant l’exploration du métavers), les marques les plus téméraires sont déjà engagées dans des stratégies de présence dans le métavers. Leur motivation : un ensemble d’objectifs business atteignables grâce aux innovations du web3.

Dans un premier temps, il est question de répondre aux principales causes d'échec des communautés client : recherche de profit avant tout, absence de vocation, absence d'avantages et de leviers d'animation, manque de participation... Le métavers, à travers l’atomicité des micro-univers ainsi que la portabilité et interopérabilité générale, rend possible l’existence d’espaces extrêmement complets et personnalisables. Les plateformes bâties sur le web3, qu’elles soient de simples applications ou des métavers poussés, bénéficient nativement d’un réseau d’échange et d’un système monétaire intégré. Cela crée une multitude de leviers d’animation inédits et rend de fait les communautés plus attractives. Les développeurs n'ont plus à construire des systèmes capables de gérer les échanges et transactions entre les membres de leurs communautés, ni de faire appel à un tiers pour ce service. En effet, le premier cas d’usage des blockchains est justement d’être un vecteur de désintermédiation, et de fournir une infrastructure publique capable de gérer des transactions de façon décentralisée. Un autre avantage, lié à l'aspect programmable des blockchains, est la possibilité d'orchestrer et d'aligner les motivations des parties prenantes à travers une économie intra-communautaire poussée. Les créateurs de communautés sur le web3 bénéficient d'un ensemble d'outils et de mécanismes en mesure de catalyser la participation des membres. A travers des incitations (financières ou non), qui ont la particularité d'être automatisables, ils peuvent s'affranchir de tout besoin de confiance : code is law, ce qui est écrit dans le code fait foi. Comme chaque interaction au sein de ces écosystèmes prend la forme d’une transaction publique, diffusée aux 4 coins du globe, cela rend la mesurabilité de la performance de ces communautés ouverte à tous. L’engagement devient donc une communication en soit. Enfin, les communautés bâties autour du web3 constitueront un nouvel âge de la maturité client : au-delà de l’inclusion et de la co-création, les utilisateurs du web3 ne feront pas partie de l’organisation, ils SERONT l’organisation, bénéficieront d’un pouvoir de gouvernance grâce au vote on-chain (vote ancré sur la blockchain), et auront un droit de propriété direct sur le contenu qu’ils créent, achètent ou reçoivent en récompense. La marque relationnelle étant une réponse à la défiance des consommateurs, au besoin de dialogue, et plus récemment à la régression des liens sociaux post-covid, il sera opportun de baser sa relation sur une infrastructure transparente, décentralisée, ouverte, sans permission, ne nécessitant pas de confiance (trustless) et résistant à la censure.

Comment les marques se démarquent dans le métavers aujourd’hui

Des plus prudentes au plus innovantes, on observe plusieurs stratégies de présence dans le métavers. Une première approche passerait par Roblox, une plateforme où se côtoient joueurs et « créateurs d’expériences ». Roblox met à disposition pour ses créateurs de contenu un assortiment d’outils gratuits permettant de concevoir des expériences, des jeux et des espaces en 3D, de choisir un modèle économique (free-to-play, abonnement ou paiement unique) et de proposer ces expériences à l’ensemble de la communauté Roblox. Créée en 2006, la plateforme comptait en février pas moins de 55 millions d’utilisateurs actifs quotidiens, des millions d’expériences jouables et, aux Etats-Unis, 3 enfants sur 4 entre 9 et 12 ans jouent à Roblox. Une audience plus que séduisante pour les marques toujours à la recherche de nouvelles interactions avec leurs audiences. En novembre 2021, Nike lance Nikeland, un espace au sein de Roblox à l’image de son siège social. Incluant un certain nombre d’activités et de mini-jeux, le showroom digital permet aux joueurs d’habiller leurs avatars avec les produits de la marque, et propose un ensemble de moments in-play émulant des évènements sportifs du monde réel (par exemple des activités liées au football pendant la coupe du monde 2022 au Qatar). L’objectif est clair : engager sa communauté le plus tôt possible, expérimenter de nouveaux produits, et permettre la co-création. D’autres marques ont calqué le modèle de Nike : Vans, Chipotle, Ralph Lauren, NASCAR ou encore Gucci possèdent des mondes virtuels dans Roblox similaires à Nikeland.

Déployer son métavers à travers Roblox présente l’avantage d’être relativement facile à mettre en place : il est plus aisé pour Nike de coordonner son lancement avec une seule entité centrale (Roblox) que d’engager un dialogue avec une communauté dans son ensemble. À l’opposé des métavers du web3, Roblox est un walled garden, bâti sur une infrastructure centralisée, où l’ensemble des interactions prennent place au sein des serveurs de l’entreprise. Si métavers ne veut pas forcément dire blockchain, il y a fort à parier que le métavers du futur sera alimenté par une infrastructure financière décentralisée.

Entre en scène The Sandbox, une plateforme similaire à Roblox sur beaucoup d’aspects, mais avec la particularité d’être basée sur la blockchain Ethereum. Dans The Sandbox, l’intégralité des assets in-game prend la forme de NFT : chaque objet du jeu bénéficie de la rareté programmable des tokens non-fongibles. En parallèle de ces NFT représentant des objets uniques, The Sandbox utilise un token (fongible cette fois-ci), SAND, remplissant plusieurs rôles au sein de la plateforme : un moyen d’échange pour les transactions in-game, un véhicule pour rediriger une partie de la valeur créée vers la communauté, et un mode de gouvernance pour la curation des contenus. Malgré le défi que représente l’adaptation aux codes du web3, les marques sont nombreuses à avoir noué des partenariats ou s’être implantées via The Sandbox. Parmi celles qui ont sauté le pas, on peut citer Adidas auteur d’une initiative similaire à Nikeland, Warner Music Group qui a créé un espace hybride dédié à la musique à mi-chemin entre un parc à thème et une salle de concert virtuelle, ou encore Havas, Ubisoft, Carrefour, Axa, Samsung, HSBC et PwC qui ont tous acquis des parcelles de terrain sur The Sandbox (la plateforme se prépare, d’ailleurs, à lever 400 millions de dollars pour une valorisation estimée à 4 milliards de dollars).

Le web3, un environnement ouvert par définition, permet aussi aux marques d’utiliser les innovations de la blockchain pour proposer des expériences et services inédits. Un fabricant de sneakers peut commercialiser ses collections limitées sous forme de NFT, permettant ainsi aux communautés de sneakerhead de spéculer et de s’échanger les produits entre eux (en l’occurrence des titres de propriété digitaux) sans avoir à mobiliser une logistique de transport internationale et avec la promesse que le fabricant de la paire échangera le NFT contre une paire physique pour l’acheteur final. De plus, le fabricant peut capturer de nouveaux flux de revenus grâce à la programmabilité des NFT, en incluant par exemple dans la logique du token un pourcentage de royalties sur les reventes successives : en décembre 2021, Nike rachète le studio de création RTFKT qui s’est fait connaitre pour ses sneakers digitales. Les NFT sont un nouveau levier pour maintenir un lien fort entre marques et clients dont les achats sont espacés dans le temps. Un constructeur automobile peut remettre à l’acheteur un NFT reprenant les caractéristiques et la configuration de son véhicule. Ce NFT peut alors prendre le rôle d’un pass, donnant droit pour son détenteur à certains avantages exclusifs. Il peut aussi agir comme un véritable carnet d’entretien, où chaque intervention sur le véhicule est documentée et inscrite sur la blockchain, apportant une réelle valeur ajoutée sur le marché secondaire, et aidant à limiter l’asymétrie de l’information entre acheteurs et vendeurs : en février 2022, Alfa Romeo annonce que son prochain SUV sera livré avec un NFT unique le suivant tout au long de sa durée de vie. Les GAMAM [ex GAFAM - sic], dont l’hégémonie n’est pas encore menacée par le web3, ont également lancé leurs initiatives pour s’approprier le métavers : à part le rebranding de Facebook en Meta et son investissement de 10 milliards de dollars pour développer l’industrie, on peut noter le rachat d’Activision par Microsoft en janvier 2022 pour 68,7 milliards de dollars, indiquant une volonté d’utiliser le gaming comme porte d’entrée dans le métavers.

Bloomberg estime le potentiel d’opportunité de revenus du métavers à 800 milliards de dollars, et ce dès 2024. Ce chiffre impressionnant cache toutefois un ensemble de challenges que le web3 devra affronter avant de réellement devenir la brique technologique manquante à l’avènement du métavers tel que nous l’imaginons. Entre les risques liés à la conformité aux régulations, et l’important défi de l’onboarding des nouveaux utilisateurs, pour qui le web3 est un véritable changement de paradigme, il est difficile de donner une échéance à la réalisation d’une vision décentralisée et ouverte du web. À ces difficultés, s’ajoute la rareté des compétences requises dans les entreprises pour réussir leurs stratégies de présence dans le métavers. Des compétences qui leur permettraient de réellement s’approprier l’éthos des communautés crypto et web3 dans leur ensemble. Malgré tout, des marques pionnières, attirées par la prime du premier entrant, rivalisent de procédés pour s’attribuer les codes du métavers pour certains, ou s’investir profondément dans ce qui est perçu comme l’internet de demain pour d’autres.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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