D’une utopie à l’autre, SXSW veut encore changer le monde

sebastien

SXSW, festival unique en son genre qui mêle musique, technologie et cinéma, est de retour. En vrai. Oui en vrai, au Texas, après deux éditions qui se sont déroulées en ligne. De conférence en conférence, comme chaque année, les speakers se succèdent pour définir le futur de la technologie

Tout commence par Priya Parker, « opening speaker » et auteure de « The Art of gathering »  qui nous parle de l’importance de se retrouver, d’être ensemble. Elle n’oppose pas la présence virtuelle à la présence physique mais insiste sur l’idée « qu’on ne se réunit pas pour s’échapper, mais pour s’engager ».  

Et c’est bien le propos des jours qui vont suivre. Tous les speakers présents sur scène veulent s’engager pour une technologie qui soit plus positive dans sa contribution au monde. Tous l’affirment :  l’utopie du Web2, essentiellement portée par les réseaux sociaux a provoqué trop de dommages collatéraux : désinformation, divisions accrues, contenus violents, addiction…. Les développements incontrôlés de la technologie ont de graves conséquences pour notre santé personnelle mais aussi celle de nos démocraties.

Tristan Harris, ancien de Google et fondateur du Center for Humane Technology, prend pour exemple l’intelligence artificielle GPT3 qui, à partir de quelques instructions, permet d’écrire en quelques minutes un texte dont l’auteur pourrait tout à fait être un humain. Il montre l’exemple d’un texte, qu’il a demandé à GPT3 de créer, contenant des informations scientifiques vérifiées mais tournées de telle manière qu’elles jettent un doute sur l’efficacité des vaccins contre le COVID. Le résultat est saisissant de vérité et on imagine bien le pouvoir viral de ce genre de papier. Il continue en parlant notamment des « perception gaps » introduits par les réseaux sociaux qui nous conduisent à penser que le camp opposé au notre est plus radical qu’il ne l’est vraiment.

Frances Haugen, la lanceuse d’alerte de Facebook, élue femme de l’année par le Time et qui a déjà témoigné devant le Congrès américain était également invitée sur scène pour partager son expérience et expliquer en quoi les choix de l’algorithme Facebook privilégient les contenus violents car ils créent plus d’engagement.

Enfin, Maria Ressa, journaliste philippine et Prix Nobel de la Paix intervient en Zoom, car elle n’a pas été autorisée à voyager. Dans un contexte de nombreuses élections (au Brésil, en France mais aussi aux Philippines), elle appelle à une mobilisation pour lutter contre la désinformation et les fake news : « Without facts, we cant’ have truth. And without truth, we can’t have trust. And whithout trust, we can’t have a democracy”.

L'autre grand champ d’investigation et d’inquiétude concerne les développements de l’intelligence artificielle. Amy Webb, la futurologue star de SXSW, qui fait salle comble chaque année pour sa présentation Emerging Tech Trends Report (disponible gratuitement sur Internet, une somme de plus de 600 pages !) y consacre un chapitre entier de sa présentation.  Elle parle, comme Tristan Harris de GPT3 mais aussi de tous les GAN (Generative Adversorial Networks) qui peuvent créer des images et vidéos de plus en plus perfectionnées. Elle nous parle aussi des intelligences artificielles peuvent reconnaître votre rythme cardiaque par les micro-mouvements de votre corps ou par votre respiration, elles peuvent également reconnaître vos émotions. Plus besoin de reconnaissance faciale, la surveillance généralisée est au coin de la rue. Évidemment, les scénarii pour le futur à partir de ces données existantes sont loin d’être tous positifs, tout dépendra selon Amy Webb de la volonté des citoyens et des pouvoirs publics d’imposer plus de transparence aux quelques entreprises privées qui contrôlent la plupart de ces données dans le monde.

Vous vous sentez un peu inquiets, voire désemparés ? Ne laissez pas le désespoir vous envahir, car SXSW reste une communauté qui continue à croire en l’avenir.

Alors si l’utopie du Web2 est morte, SXSW s’en est trouvé une nouvelle : celle du Web3. Metaverse et NFTs auront sans doute été les mots le plus prononcés pendant SXSW cette année. Le rachat récent d’Activision Blizzard par Microsoft pour 69 milliards de dollars, l’apparition de Mark Zuckerberg en Zoom dans la grande salle du Convention Center pour annoncer l’arrivée prochaine des NFTs sur Instagram. Ou encore l’artiste digital Beeple, qui a vendu son œuvre « Everydays : the first 5000 days » pour 69M de dollars l’an dernier et n’en revient toujours pas. Clairement, quelque chose se passe au pays du Web 3.

Mais derrière cette « hype » et ces millions de dollars, se cache peut-être une nouvelle ère qui pourrait être révolutionnaire : celle de la décentralisation du web. En effet, la technologie Blockchain permet de décentraliser le pouvoir et la confiance entre les mains de chacun des « nœuds » de cette fameuse chaîne. Grâce à la blockchain, chacun pourrait être amené à reprendre en main ses données, et à agir en toute transparence. Avec aussi la possibilité de reprendre le pouvoir sur les 5 à 10 entreprises qui contrôlent l’ensemble du digital et des datas aujourd’hui.

On parle de plus en plus des nouvelles organisations qui se construisent sur la Blockchain : les DAO (Decentralized Autonomous Organizations). Une DAO c’est quoi ? « C’est un groupe de discussion avec un compte bancaire associé » répond Alex Zhang, fondateur de la DAO Friends with Benefits. De nouveaux types d’organisation, dans lesquelles le pouvoir est entre les mains de chacun, des communautés où les règles sont établies sur des bases plus démocratiques et plus ouvertes. Avec des applications très concrètes comme Big Green DAO, une organisation lancée par le chef Kimbal Musk pour apprendre aux gens à cultiver leur propre nourriture. Dans cette DAO, ce sont celles et ceux qui reçoivent l’argent qui ont le pouvoir de décider, ceux qui donnent reçoivent un vote chacun, quel que soit le montant de leur contribution. Autre exemple, celui d’Ukraine DAO, lancée notamment par la Pussy Riot Nadya Tolokonnikova. Cette organisation a réussi à récolter plus de 7 Millions de dollars pour l’Ukraine en quelques jours, de manière anonyme, mais aussi immédiatement transférable à l’Ukraine.

Alors, le Web3 et le metaverse peuvent-ils permettre de construire un avenir plus radieux ? Tout dépendra d’abord de qui les contrôle. Or aujourd’hui, ce sont les grands du Web2 qui investissent énormément d’argent dans le sujet.

Le sujet de l’interopérabilité entre les différents metaverses sera lui aussi crucial :  imaginez devoir gérer 6 à 8 avatars, avec autant de skins, de NFTs et de portefeuilles différents, sans pouvoir passer facilement d’un univers à l’autre… L’adoption massive pourrait s’avérer très compliquée.

Enfin, beaucoup insistent sur l’inclusion, sujet que le Web2 a largement ignoré. On sait que les acheteurs de NFTs sont de jeunes hommes, on parle déjà des « crypto bros ». C’est dès maintenant que la diversité et la représentation doivent être prises en compte. Austin a d’ailleurs été le lieu du lancement de Unicorn DAO, une communauté fondée et gouvernée par des femmes pour tenter de s’attaquer au problème de l’égalité des genres. Affaire à suivre l’année prochaine à SXSW.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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