Vérité subjective ou objective : un défi pour les marques

draoulec

Selon la Stanford Encyclopedia of Philosophy, la vérité scientifique est objective, confirmée par des preuves, et elle est (ou devrait du moins idéalement être) universellement acceptée. La vérité subjective, elle, dépend de l'opinion et de la perspective. C'est là que les choses se compliquent, en particulier pour les marques qui tentent de contrôler leurs informations en ligne.

Prenons un exemple. Si lors d’un passage aux urgences, un médecin demande à un patient d’évaluer sa douleur sur une échelle de 1 à 10, sa réponse sera entièrement déterminée par un référentiel basé sur ses expériences passées. Peu importe qu’il puisse ou non comparer sa douleur à un trauma plus ancien, chacune des réponses qu’il pourrait apporter, sera vraie. Tout est question de perspective. La douleur est personnelle. La souffrance est subjective. Alors, comment déterminer quand la vérité est objective et quand elle ne l'est pas ? Et qu'en dit la science exactement ?

Croire ce que l’on voit, le paradoxe de la perspective

Tout le monde de souviendra de l’image de la célèbre robe qui a enflammé le web et des débats qui ont suivi pour en déterminer la couleur. Bleue ? Dorée ? Noire ? Le saura-t-on un jour ? Et pourtant personne n’avait tort. Étonnamment, les couleurs sont subjectives, ou du moins c'est ce que la plupart des chercheurs soutiennent. Deux scientifiques du MIT et de l'université de l'Illinois à Chicago, ont étudié le réalisme des couleurs et en ont conclu que les objets physiques sont effectivement colorés. Ils soulignent cependant que leur point de vue n'est partagé que par une minorité de scientifiques. La majorité des experts sont plutôt d'avis qu'en réalité, rien ne serait coloré, ou tout du moins pas les objets physiques dans l'environnement du percepteur. L'idée étant que ce qui semble être bleu peut paraître noir pour un autre, ou doré pour un autre encore. Tout dépend de ce que les yeux disent et de l’interprétation subjective de ce que les yeux perçoivent.

La couleur « officielle » de la robe, cependant, est quelque chose que l’on peut considérer comme un fait objectif, même si la couleur de laquelle elle semble être est subjectif. Le fait objectif de savoir de quelle couleur est la robe est une information essentielle pour la marque qui la fabrique et qui souhaite que ses clients puissent la rechercher avec précision. Ces mêmes marques voudront également connaître les différentes couleurs (et les termes utilisés pour décrire les nuances de couleurs) que les clients utilisent lorsqu'ils recherchent cette veste. Ne pas maîtriser cette information en ligne pourrait très bien entraîner une réduction des ventes. Et parce que ce fait objectif (la couleur officielle de la robe selon la marque) comporte tant de variations subjectives, il est essentiel que la marque examine et analyse les requêtes de recherche pour cette veste.

Le « meilleur » est subjectif

Les débats dans le domaine de la philosophie des sciences ont souvent trait à l'objectivité du raisonnement scientifique. C'est moins le cas du raisonnement individuel et sociétal. Par exemple, un certain nombre de restaurants et de cafés prétendent servir la meilleure tarte tatin au monde. Cependant, il existe autant de conceptions d’un bon dessert que d’individus sur Terre. Se trouve-t-il à la pâtisserie en bas du bureau ? Au restaurant au coin de la rue ? Est-ce une recette de grand-mère ? Tout est une question de préférence personnelle.

Les entreprises et les marques ont toujours vendu leur vérité. Néanmoins, la vérité peut être (et est très probablement, d'ailleurs) toute autre pour les consommateurs. Mais aujourd'hui, ceci a un impact profond sur la recherche en ligne, un comportement qui a changé au fil des ans, car les consommateurs en sont venus à dépendre des capacités de traitement du langage naturel (TALN) d'Alexa, de Siri et d'autres formes d'intelligence artificielle. Elles permettent aux consommateurs de poser des questions de la même manière qu'ils le feraient à un ami et de recevoir une réponse pertinente.

Les consommateurs posent toutes sortes de questions subjectives, mais certains types de recherches relatives aux marques dépendent d'informations objectives et factuelles. Si un consommateur recherche le meilleur bar de la ville, il obtiendra une réponse subjective basée sur les avis et les évaluations d'autres personnes. A contrario d’une recherche sur un bar ouvert en ce moment. Dans ce cas, il y aura un certain nombre de bars qui sont objectivement ouverts au moment où le consommateur effectue sa recherche. Voilà le type de réponses qu'une marque se doit de fournir. Une entreprise ne peut pas forcer ses consommateurs à la considérer comme la meilleure du marché, mais elle peut contrôler les informations à son sujet et s'assurer que les personnes qui effectuent des recherches puissent trouver leur établissement, leurs horaires d'ouverture, leurs offres et d'autres informations factuelles.

Les données sont incontestables... ou pas ?

Par conséquent, comment les entreprises s’adaptent-elles aux moteurs de recherche et aux innombrables vérités subjectives concernant leur produit, leur marque ou leur réputation ? Le plus souvent, en s'appuyant sur des données.

Dans un article de 2019 pour Forbes, Kalev Leetaru, brillant rédacteur spécialisé en technologie de la communication, a abordé le concept de vérité subjective contre vérité objective dans les données. Il affirme que les scientifiques ont cherché à donner un sens au monde en exploitant les données, les mathématiques et la créativité humaine. Il note en revanche que le public est moins intéressé par l'idée de vérité. « Notre monde moderne est fondé sur l'idée qu'il existe une vérité pouvant être établie par une analyse suffisante des données. Pourtant, alors que la science des données privilégie de plus en plus le jugement humain à la pureté algorithmique et que l'écosystème digital revient de sa brève expérience objective à son passé subjectif, est-il temps d'accepter que la vérité objective n'existe pas ? » Il conclut que tout ensemble de données peut être suffisamment filtré pour apporter n'importe quelle réponse. Ce qui signifie qu'il n'y a pas de vérité, en soi. Il est juste question de choix.

Même la vérité est subjective

Le rédacteur scientifique Josh Hrala donne des exemples de subjectivité de la vérité dans son article Here's why the truth really is subjective. « Les faits basés sur le bon sens créent un fort sentiment d'aisance cognitive. Par exemple, l'affirmation “le feu est chaud” ne choque personne, car vous savez qu'il s'agit là d'une vérité fondamentale. Mais si vous n'avez jamais touché une flamme (surtout, ne le faites pas), ne serait-il pas possible que toutes les personnes affirmant que “le feu est chaud” cherchent simplement à vous le faire croire ? En résumé, oui. »

Il poursuit en expliquant que plus une personne est familière avec un stimulus, plus elle accepte son biais cognitif et plus elle est susceptible de croire que quelque chose est vrai, même si ce n'est pas le cas. Et de citer la publicité comme un excellent exemple d'exploitation de l'aisance cognitive. Les professionnels du marketing diffusent des publicités répétitives sur toutes les plateformes. Par conséquent, elles sont vues assez souvent pour que les gens s'y familiarisent, ce qui peut ensuite les amener à acheter un produit (leur besoin pour ce produit est toutefois subjectif).

La vérité est différente pour chacun. Et des millions de cyber-citoyens croient ardemment en une vérité subjective. L'idée de faux perd alors son sens lorsque la majorité de ce que nous considérons vrai est définie par notre vision subjective du monde. Afin d'adopter une approche plus objective, il est nécessaire d'agir à la manière d'un scientifique et d'expérimenter. Pour les marques, cela implique par exemple le suivi du type de questions posées en ligne par leurs clients, l'examen des éléments sur lesquels ils cliquent et l'analyse de ce qui semble influencer leur perception, afin de mieux comprendre ce qui les intéresse (et les pousse à cliquer). Cette méthode permet d'en découvrir bien plus qu'il n'y paraît à propos de son produit ou de son entreprise. Et il est ensuite possible de prendre des décisions en tenant compte de la myriade d'éléments subjectifs de sa propre réalité.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News)

À lire aussi

Filtrer par