Que reste-t-il de la loi Avia ? Rien ou presque

La décision n° 2020-801 CD du conseil constitutionnel du 18 juin relatif à la loi visant à lutter contre les contenus haineux sur internet est la démonstration même de l’autisme juridique du monde politique.

Pourtant nous étions nombreux à tirer toutes formes de sonnettes d’alarme pour prévenir d’un désastre annoncé.

La loi comportait 19 articles. Si on enlève les cavaliers législatifs et les dispositions finales, la loi comportait en pratique 9 articles importants (de 1 à 9) ayant pour principal objectif d’ajouter à la loi pour la confiance dans l’économie numérique les articles 6.2, 6.3 et 6.4 ainsi qu’une modification substantielle de la loi de 1986 sur le rôle du Conseil supérieur de l’audiovisuel.

Le résultat est un camouflé absolu : Exit les articles 1, 3, 4, 5, 7, 8 et 9 ! Exit donc les nouveaux articles 6.2, 6.3 et 6.4 de LCEN et exit les nouveaux pouvoirs du CSA.

Quels étaient les grands axes de la réforme :

-              renforcer les obligations des plateformes ;

-              renforcer les pouvoirs de l’autorité administrative ;

-              positionner le CSA comme autorité de contrôle.

Le résultat est un vrai strike juridique !

Sur le renforcement du droit des plateformes, l’ambition était forte : définir un cadre nouveau pour un certain nombre de plateformes (dépassant un seuil défini par décret) essentiellement les Facebook, Twitter et autres géants américains, en créant un article 6.2.

Pour simplifier, ces plateformes étaient tenues de réagir à n’importe quelle notification d’un contenu contrevenant « manifestement » à une série d’infractions, sous 24h en s’exposant à une sanction de 250.000€.  Les infractions visées étaient essentiellement l’apologie à la commission de certains crimes, la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence raciale ou religieuse, ou à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou du handicap, la provocation directe à des actes de terrorisme ou d'apologie de ces actes,  la contestation d'un crime contre l'humanité, la négation, la minoration ou la banalisation d'un crime de génocide ou d’un crime contre l'humanité, le harcèlement sexuel, la transmission d’images pédophiles ou la diffusion d'un message à caractère pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur.

En résumé, sur ce premier point, le Conseil constitutionnel considère qu’il ne peut être demandé à ces plateformes, dans des délais aussi courts et des risques de sanctions aussi importants, de procéder à des qualifications juridiques souvent très complexes et qui relèvent de la responsabilité du juge.

Les sages estiment que pour éviter de voir leur responsabilité engagée, les plateformes auraient pu pratiquer la suppression systématique, ce qui serait contraire à l’exigence de proportionnalité qui doit guider l’adoption de règles restrictives à la liberté d’expression.

Les sages soulignent aussi que cette obligation pour les plateformes n’était pas contre balancée, comme celle des hébergeurs, par un régime de responsabilité adapté. Là encore, ce n’est pas faute de l’avoir crié sur tous les toits.

Dans la foulée, le conseil constitutionnel écarte également l’article 3 de la loi en ce qu’il venait compléter l’article 6.2 - mort-né - conférant un certain nombre de droit à des associations reconnues d’utilité publique dont l’objet est la protection des enfants.

Par ce même effet de rebond, le conseil censure aussi et surtout les articles 4 et 5 qui constituaient l’article 6.3 nouveau de la LCEN.

Cet article 6.3 imposait aux plateformes, pour bien appliquer l’article 6.2, de mettre en œuvre une organisation et des procédures adaptées. L’article 6.2 étant supprimé, l’article 6.3 n’a plus lieu d’être.

Le domino juridique se poursuit avec la censure de l’article 7. Cet article était aussi un élément phare de la loi Avia qui confiait au Conseil supérieur de l’audiovisuel le soin de veiller au bon respect des nouvelles obligations imposées aux plateformes. Ceux d’entre nous qui étaient déjà là il y a 20 ans se souviennent sans doute qu’une première tentative de confier au CSA la régulation d’internet avait déjà avortée en 2000.

Exit enfin l’article 6.4 nouveau qui instaurait une sorte d’obligation de notice and stay down c’est-à-dire la possibilité d‘imposer la suppression ou le déréférencement de la reprise de contenus ayant fait l’objet d’une condamnation.

S’agissant du pouvoir de l’autorité administrative, la loi dans sa forme actuelle prévoit que lorsque les nécessités de la lutte contre la provocation à des actes terroristes ou l'apologie de tels actes relevant de l'article 421-2-5 du code pénal ou contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs relevant de l'article 227-23 du même code le justifient, l'autorité administrative peut demander aux éditeurs de services en ligne et aux hébergeurs de retirer les contenus qui contreviennent à ces mêmes articles et en informe simultanément les fournisseurs d’accès.

Le projet adoptait une nouvelle formule plus précise en substituant le fait de « demander » aux éditeurs et hébergeurs le fait de « notifier ». Ce simple changement de mot peut sembler anodin mais sa conséquence est énorme car l’absence de réponse appropriée à une « notification » est portée dans le projet de loi de 75.000€ à 250.000€. Ainsi, le fait pour un éditeur ou un hébergeur de ne pas déférer à une notification de l’administration l’aurait exposé à une amende de 250.000€ pour les personnes physiques et donc 1.250.000 pour une personne morale.

Le projet prévoyait par ailleurs que les hébergeurs et les éditeurs devaient accuser réception sans délai de la notification et devaient retirer ou rendre inaccessibles ces contenus dans un délai d’une heure à compter de cette notification et en informer dans le même délai l’autorité administrative des suites données.

Pour l’heure, l’absence de réponse à une « demande » de l’administration n’est pas sanctionnée. La seule conséquence était qu’à défaut de répondre dans un délai de 24h, l'autorité administrative pouvait notifier aux fournisseurs d’accès la liste des adresses électroniques des services de communication au public en ligne contrevenant auxdits articles 421-2-5 et 227-23, à charge pour eux d’empêcher sans délai l'accès à ces adresses.

Que reste-t-il donc de la loi Avia ? Peu de chose… À vrai dire deux articles et un regret.

L’article 2 qui modifie de manière non substantielle la procédure de « notification hébergeur ».

L’article 6 qui, lui, fera sans doute réfléchir les hébergeurs puisque la sanction pour non-respect de la notification passe de 75.000€ à 250.000€, soit pour une personne morale de 375.000 à 1.250.000€.

Quant au regret… en censurant l’intégralité de l’article 6.3 le Conseil censure aussi la seule disposition intéressante de la loi Avia qui obligeait les plateformes à désigner une personne physique située sur le territoire français exerçant les fonctions d’interlocuteur référent chargé de recevoir les demandes de l’autorité judiciaire en application de l’article 6 de la présente LCEN.

Nous n’avons pas fini de nous faire balader entre les Etats-Unis et l’Irlande pour obtenir le retrait d’un contenu manifestement illicite, c’est bien dommage.

(Les tribunes publiées sont sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engagent pas CB News).

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