Bras de fer à Libération

"Nous sommes un journal", titrait samedi sur sa "une" Libération. Un cri qui annonce un bras de fer entre le personnel et les propriétaires du journal qui envisagent une mutation radicale de la nature du quotidien et la transformation de son siège actuel en un espace culturel. Cette tension extrême fait suite à des négociations qui se déroulent depuis des mois dans un contexte économique difficile : le journal a perdu plus d’un million d’euros en 2013 et ses ventes ont chuté l’an dernier de 15 %, de loin la plus forte baisse parmi les quotidiens français, pour tomber à 100 000 exemplaires. Jusqu’ici les actionnaires et la direction discutaient avec les représentants des salariés sur un plan d’économies de 4 millions d’euros, comportant des baisses de salaires volontaires de 10 %, sans parvenir à un accord pour l’instant. Le journal ne dispose plus que de quelques mois de trésorerie et les actionnaires ne veulent plus le renflouer.

Le projet, élaboré par l’homme d’affaires Bruno Ledoux, l’un des principaux actionnaires du journal et propriétaire de l’immeuble de la rue Béranger, prévoit que Libération ne sera "plus seulement un éditeur papier" mais un réseau social, créateur de contenus monétisables sur une large palette de supports multimédias". La rédaction déménagera et les 4,500 m2 du siège seront réaménagés par le célèbre designer Philippe Starck en "un espace culturel et de conférence comportant un plateau télé, un studio radio, une news room digitale, un restaurant, un bar, un incubateur de start-up", sous la marque "Libération", comme un "Flore du XXIe siècle". Cette annonce inattendue a abasourdi les salariés, très attachés à l’esprit de leur journal, ancré à gauche depuis sa naissance il y a 40 ans. Lancer cette annonce aussi tranchée, sans avertissement des syndicats, a été le choix volontairement provocateur de Bruno Ledoux, qui avec Edouard de Rothschild détient la majorité (52 %) du capital. Selon lui, hors de ce projet, c’est la faillite assurée. "Notre projet est la seule solution viable pour Libération. Si les salariés refusent, Libération n’a pas d’avenir", a-t-il déclaré. "Les salariés voulaient un projet, ils l’ont. Le papier restera au cœur du système mais ne sera plus le système lui-même".

Après deux heures d’assemblée générale, les salariés n’ont pas voté la grève mais ont décidé de répliquer à nouveaux au propriétaire dans l’édition de ce matin. En outre, ils envisagent de porter plainte pour délit d’entrave, le comité d’entreprise n’ayant pas été informé des projets de transformation du journal.

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