Sécuriser internet : le projet de loi définitivement adopté, malgré des réserves

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Le projet de loi pour sécuriser internet a été définitivement adopté mercredi après un ultime vote de l'Assemblée, en dépit des réserves de plusieurs groupes inquiets de la menace qu'il fera, selon eux, peser sur les libertés publiques.

Le texte a été approuvé par 134 députés, 75 votants contre, issus des rangs du RN et des quatre groupes de gauche. La France insoumise a annoncé un recours devant le Conseil constitutionnel. La secrétaire d'Etat chargée du numérique, Marina Ferrari, s'est réjouie de ce vote "attendu par des millions de nos concitoyens qui aspirent à évoluer dans une espace numérique plus sûr et plus protecteur". Cyberharcèlement, arnaques sur internet, propos haineux, accessibilité des sites pornographiques aux mineurs... autant de fléaux auxquels le projet de loi visant à sécuriser et réguler l'espace numérique (SREN) tente d'apporter une réponse, en prenant appui sur les règlements européens sur les services numériques et les marchés numériques. Son accouchement a été laborieux : approuvé au Sénat en juillet, puis en octobre à l'Assemblée, il a dû être minutieusement réécrit pour répondre aux exigences du droit européen, avant de faire l'objet d'un compromis entre sénateurs et députés en commission mixte paritaire en mars. Sa version finale a restauré un article souhaité par le Sénat et supprimé par l'Assemblée, créant un délit d'outrage en ligne passible d'une "amende forfaitaire délictuelle" de 300 euros. Ce délit d'outrage en ligne permettra de sanctionner le fait de "diffuser en ligne tout contenu qui soit porte atteinte à la dignité d'une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant, soit crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante". Un "délit flou" qui "déroge (..) à la loi de 1881", s'alarme l'association de défense des libertés numériques La Quadrature du net. Le RN - qui a voté contre le texte, après s'être abstenu en octobre – a dénoncé dans un communiqué une mesure "abjecte" donnant le "pouvoir aux policiers de déterminer si tel ou tel propos tenus en ligne est délictuel".

La France insoumise s'est opposée au projet de loi, comme en octobre. La députée Sophia Chikirou a pointé du doigt un texte "dangereux pour les droits fondamentaux", se demandant si "le chant des Gilets jaunes, le fameux on est là, on est là, même si Macron ne veut pas, on est là" ne pourrait pas entrer dans le champ de l'outrage en ligne. "Le Conseil constitutionnel sera saisi, la lutte continue", a-t-elle lancé. La France insoumise a aussi critiqué la réglementation introduite sur les "Jonum", les jeux à objets numériques monétisables, à la frontière entre jeux vidéo et jeux d'argent. Le projet de loi instaure un nouveau cadre légal plus souple que celui existant pour les "jeux d'argent et de hasard" et autorisera à titre dérogatoire les gains en cryptomonnaie en les encadrant. "Vous êtes en train de créer une nouvelle drogue pour de nombreux Français dans le seul but de créer une nouvelle source de revenus pour des start-up", a tancé la députée Ségolène Amiot. Également inquiets du rétablissement du délit d'outrage en ligne et de la réglementation sur les Jonum, les socialistes, qui avaient soutenu le texte en première lecture, ont cette fois-ci voté contre.

Plusieurs députés ont par ailleurs déploré, à l'unisson des associations féministes et de protection des mineurs, des ambitions réduites concernant la réglementation des plateformes de vidéos pornographiques. Plusieurs se sont inquiétés que, dans un souci de conformité vis-à-vis du droit européen, le pouvoir de régulation de l'Arcom sur les sites qui n'empêchent pas les mineurs d'accéder à leur contenu ne concerne que les plateformes établies en France ou hors de l'Union européenne. Mais, si le texte prévoit une procédure plus lourde pour les plateformes situées en Europe (hors France), cette loi s'appliquera bien "à l'ensemble des plateformes pornographiques du monde entier", a tenté de les rassurer le rapporteur général du texte, Paul Midy (Renaissance). L'idée de confier à l'Arcom la responsabilité de bâtir un "référentiel" définissant la manière dont les plateformes devront s'y prendre est aussi fortement décriée. "C'est ce que les sites veulent pour gagner du temps", s'emporte l'ancienne présidente d'Osez le féminisme, Céline Piques.

Les principales mesures prévues par la loi sur la régulation de l'espace numérique (SREN)

La création d'un filtre anti-arnaques gratuit adressant un message d'avertissement à toute personne qui s'apprête à se diriger vers un site identifié comme malveillant, pouvant aboutir au blocage administratif du site internet mis en œuvre. La mesure passera par l'établissement d'une liste de ces sites frauduleux et des accords avec les opérateurs d'accès à internet et les éditeurs de navigateurs web.

Bannissement des cyberharceleurs. Le règlement européen sur les services numériques (DSA), transcrit dans le projet de loi, comporte déjà des mesures visant à endiguer le cyberharcèlement sur les grandes plateformes numériques, en contraignant celles-ci à retirer les comptes qui leur sont signalés. Mais le gouvernement souhaite aller plus loin et accompagner cette mesure d'une peine de bannissement. Concrètement, le juge pourra demander à un réseau social d'empêcher pendant une période de six mois - un an en cas de récidive - la réinscription d'une personne déjà condamnée pour cyberharcèlement.

Les travaux parlementaires ont aussi abouti à la création d'un "délit d'outrage en ligne" et d'une amende forfaitaire sanctionnant tout contenu qui "porte atteinte à la dignité d'une personne ou présente à son égard un caractère injurieux, dégradant ou humiliant" ou "crée à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante" dans l'espace numérique.

Le texte prévoit également la création par l'Etat d'une "identité numérique" gratuite d'ici 2027, avec l'objectif assumé pour une partie de la majorité de faciliter la levée de l'anonymat sur internet. Celle-ci restera facultative à l'inscription sur un réseau social.

 Blocage administratif des sites pornos. Selon le projet de loi, l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) aura le pouvoir d'ordonner, sans le concours d'un juge, le blocage par les opérateurs télécoms et le déréférencement des sites pornographiques qui n'empêchent pas les mineurs d'accéder à leur contenu. Dans le cas d'un site hébergé dans un pays de l'UE, un recours devra être fait auprès des autorités locales. Si elle ne réagissent pas, "l'Arcom pourra imposer les sanctions, comme pour les plateformes en France et à l'international", assure le député Paul Midy (Renaissance), rapporteur du texte. Reste la question de la méthode de vérification de l'âge des internautes se rendant sur ces sites, qui n'a toujours pas été tranchée : le texte renvoie à l'Arcom la responsabilité de dessiner les contours d'un référentiel technique.

Blocage des médias de propagande. Le projet de loi donne aussi à l'Arcom le pouvoir de faire cesser la diffusion sur internet de médias frappés d'interdiction dans l'Union européenne. La mesure vise particulièrement les sites de streaming non européens comme Odysee ou Rumble, qui avaient diffusé les chaînes pro-russes Russia Today et Sputnik malgré leur interdiction dans l'UE dans le cadre des sanctions prises après l'invasion de l'Ukraine.

Interopérabilité du cloud. Mesure plus économique, le texte va permettre aux entreprises de "changer beaucoup plus facilement" de fournisseur d'infrastructure et de services informatiques, également appelés les opérateurs cloud. Le secteur est dominé par les acteurs américains AWS (filiale d'Amazon), Microsoft Azure et Google Cloud. Le projet de loi prévoit notamment de permettre une "portabilité" des données entre les services de ces différentes entreprises et limite l'utilisation des "crédits cloud", des bons d'achat gratuits aujourd'hui utilisés par les acteurs pour fidéliser leur clientèle. Il confie aussi au régulateur des télécoms (Arcep) un rôle de règlement des litiges sur la facturation des données.

Réglementation des Jonum. Le Sénat a ajouté lors de l'examen du texte un volet législatif concernant la réglementation des jeux à objets numériques monétisables (Jonum), supprimant l'habilitation à légiférer par ordonnance prévue par le gouvernement. Le texte propose une première définition en droit de leurs spécificités, entre jeux d'argent et de hasard d'un côté et jeux vidéo de l'autre. Le Sénat a autorisé à titre expérimental pour une durée de trois ans la création des Jonum, tout en l'encadrant pour s'assurer de la protection des mineurs et pour se prémunir des risques de création détournée de casinos en ligne. Le texte interdit les gains monétaires mais laisse la possibilité, par dérogation et à des conditions strictes, à des récompenses en crypto-actifs en complément.

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