Le Digital Markets Act va encadrer les « géants » du numérique

tvinternet

La commissaire européenne à la Concurrence, Margrethe Vestager, a salué vendredi l'accord sur de nouvelles règles de l'UE encadrant les géants du numérique, y voyant une nécessité comme dans la banque, les télécoms ou l'énergie. Le règlement ("Digital Markets Act", DMA), finalisé jeudi soir et qui doit encore être ratifié, marque un changement de philosophie dans la lutte contre les abus des grandes plateformes comme Google, Apple, Facebook (Meta), Amazon ou Microsoft. Mme Vestager a reconnu que les nombreuses enquêtes ouvertes pour sanctionner les pratiques anti-concurrentielles de ces groupes n'avaient pas permis de les réprimer avec la force et la rapidité nécessaires. "Ce que nous avons appris, c'est que nous pouvons apporter des corrections sur des cas spécifiques, nous pouvons punir les comportements illégaux, mais lorsque les (infractions) deviennent systématiques, nous avons également besoin d'une réglementation", a expliqué Mme Vestager, lors d'une conférence de presse à Bruxelles. Après des années à courir en vain après les infractions de ces multinationales dans des procédures judiciaires interminables, Bruxelles veut désormais agir en amont, en leur imposant une vingtaine de règles à respecter sous peine d'amendes dissuasives. Pour les très grandes plateformes, qui contrôlent en grande partie l'internet, c'est maintenant la loi sur les marchés numériques (DMA), dont le texte a été finalisé jeudi soir par les institutions européennes, qui "fixera les règles du jeu", a-t-elle expliqué. "C'est similaire à ce qui a été fait il y a longtemps dans des secteurs comme la banque, les télécoms, l'énergie ou les transports, où la réglementation et les règles de concurrence fonctionnent main dans la main", a poursuivi la commissaire. "Ce sont des marchés dans lesquels certaines entreprises jouent un rôle particulier qui exige une plus grande surveillance réglementaire".

"Nous avons repris le pouvoir", s'est félicité son homologue au Marché intérieur Thierry Breton, qui avait conçu avec elle ce projet de règlement. Le DMA est "une révolution très importante" qui va permettre "d'agir très vite", a-t-il souligné. "Le DMA n'est pas qu'une régulation du numérique, c'est une régulation de notre espace économique et démocratique", a estimé le secrétaire d'État français au Numérique Cédric O, saluant "un pas historique". Le lobby des grandes entreprises du numérique CCIA, qui a bataillé pour tenter d'assouplir la législation, s'est inquiété vendredi de possibles "conséquences inattendues importantes qui pourraient nuire aux consommateurs et aux utilisateurs professionnels des services de plateformes en Europe", dans un communiqué. Apple s'était dit jeudi soir "préoccupé" par certains risques "en matière de confidentialité et de sécurité" pour les utilisateurs de ses produits, tandis que Google avait mis en garde contre les "risques potentiels pour l'innovation et la variété des choix offerts aux Européens". Mme Vestager a précisé que le règlement devrait être publié au Journal officiel de l'UE vers le mois d'octobre, après avoir été formellement approuvé par les États membres et les eurodéputés. La Commission aura ensuite six mois pour désigner les entreprises concernées par le texte. Il ne devrait concerner que les "Gafam" et peut-être une poignée d'autres acteurs comme Booking ou TikTok. Un temps de dialogue avec la Commission et d'adaptation aux nouvelles règles leur sera octroyé, et de premières amendes éventuelles pour non-conformité ne sont pas attendues avant le premier trimestre 2024.

L'interdiction de faire la promotion de ses propres services au détriment de services tiers

Mais concrètement ? Avec ce règlement, l’UE veut lutter contre la tentation constante des grandes plateformes internet "d'enfermer les consommateurs dans leur écosystème grâce à leur force économique", explique Pierre-Jean Benghozi, directeur de recherche au CNRS et spécialiste de l'économie numérique. "Si je suis sur Apple" pour les smartphones, "je ne vais pas avoir accès à certains services" proposés par le rival Android, ou au contraire "je vais avoir des applications pré-installées dont je n'ai pas envie", expose-t-il. Face à cette situation, le DMA fixe une série de règles à respecter pour les très grandes plateformes, comme l'interdiction de faire la promotion de ses propres services au détriment de services tiers. Cette auto-promotion est un sujet "pour la grande majorité d'entre elles", explique Sonia Cissé, avocate au cabinet Linklaters et spécialiste en médias, technologies et communication. À l'internaute qui fera une recherche de voyage par exemple, Google devra désormais "présenter ses propres services au même titre que ceux de ses concurrents", relève-t-elle. En France, l'association France Digitale, qui fédère de nombreuses start-up, se réjouit de voir un texte européen agir pour "laisser de l'air" aux jeunes pousses, en évitant que les géants ne les "étouffent". "Pour les éditeurs d'applications qui passent par les différents Gafam pour commercialiser leurs services, ce texte va forcément faire évoluer les choses", anticipe Maya Noël, sa directrice générale. Avec le DMA, les éditeurs d'applications accessibles via des magasins comme l'App Store ou le Google Play Store "vont pouvoir "s'adresser directement à leurs utilisateurs", indique-t-elle. Ces magasins d'applications "ne pourront plus les contraindre à passer par leur système d'identification" de l'utilisateur "ou par leur système de paiement", décrit-elle.

Une réponse plus rapide  

"À partir du moment" ou un petit développeur d'application "verra une non-conformité" au DMA, "il va pouvoir la soulever", amener un régulateur de la concurrence à enquêter et avoir une réponse "beaucoup plus rapidement" qu'auparavant, explique Maya Noël. Les régulateurs de la concurrence n'auront plus besoin de prouver qu'un abus de position dominante aura été commis, il suffira juste de prouver qu'une des règles impératives fixées par le DMA a été violée. "Le texte est assez puissant" car il fixe "des obligations précises et objectives" aux grandes plateformes, confirme Emmanuelle Mignon, du cabinet d'avocats August Debouzy. Mais Sonia Cissé se demande si le texte, adopté en un temps record par l'UE (18 mois seulement depuis la présentation par la Commission européenne) ne va pas un peu trop loin. "C'est un peu comme le RGPD", le règlement européen sur la protection des données adopté en 2018, qui avait été une première mondiale dans la régulation numérique, relève-t-elle. "C'est pensé pour les très gros acteurs, mais d'autres plus petits peuvent se retrouver pris dans les filets", avertit-t-elle.

À lire aussi

Filtrer par