Rémi Le Druillenec (Héroïne): "Le magasin de demain doit être pensé comme un média"

Quentin Obadia

De gauche à droite, Quentin Obadia et Rémi Le Druillenec

Deux ans après la création de leur agence de retail design, Héroïne, Rémi Le Druillenec (directeur général) et Quentin Obadia (directeur design) publient "Le Magasin est-il mort ? ". Un ouvrage pensé comme un guide pour s'interroger sur la transformation du magasin, entres défis post-pandémie et nouvelles fonctionnalités du e-commerce, paru en octobre dernier chez 1min30 Publishing. Rencontre avec l'un de ses co-auteurs. 

Quel a été le point de départ de ce livre ? Sur quel constat est-il basé ? 

Rémi Le Druillenec : La question du livre s’inscrit dans la création de l’agence il y a deux ans, lorsque nous souhaitions faire d'Héroïne, une agence de retail design, tout juste six mois avant l’arrivée du Covid. Et son écriture a commencé en début d’année 2021, après les deux confinements. On nous disait que le magasin c'était terminé. Qu'il fallait se tourner vers le digital pour avoir plus d'opportunités et d’avenir mais nous étions convaincus que le magasin survivrait à tout cela. Lors du premier confinement, beaucoup d’entre nous imaginaient que ce monde d’après serait sans magasins. Après tout, nous n’avions plus besoin de ces magasins pour vendre ? Ils  évoluaient vers le digital avec des boutiques en ligne... Toutes les certitudes étaient bousculées. Eh bien, non. Ils allaient survivre, au contraire ! Le livre est donc né du bilan de cette premier vague, en parallèle du lancement de notre démarche. Nous avions envie d’expliquer de manière plus formelle, notre vision du magasin de demain. De s’interroger sur la façon d’utiliser ce format ancestral de distribution, dans un monde hybride, digital et connecté. Connecté à la Gen Z qui vit téléphone en main. Et de nous questionner sur " comment remplacer le magasin dans son écosystème pour le maintenir en vie ?" Et, à l’aune de ces nouveaux concepts, de la création de nouveaux formats et de nouvelles expériences clients, de réfléchir à comment serait le magasin de demain, à ce que le client y trouverait et à quel échange il aurait avec la marque. 

L'ouvrage se décline en 4 parties pour décrire les multiples facettes du Retail : le social retail, le virtual retail, le conscious retail, l'humanized retail et le retail automatisé. Pourriez-vous citer 5 exemples de concepts magasin qui les incarnent ? Et qui, selon-vous résistent à la crise du Covid ?

Rémi Le Druillenec : Pour nous, chez Héroïne, les facettes qui ont le plus de chances du durer et de modeler le paysage du retail de demain sont le social retail et le conscious retail. Elles incarnent les attentes de demain et répondent aux habitudes et aux attentes de la Gen Z; une génération étant hybride et digitale. La question qui se pose ici c’est " de quelle façon le magasin s’adapte t-il aux nouvelles règles des réseaux sociaux ? ». Á la fois en tant que client, dans la capacité à partager ce que je vis en magasin et à créer du contenu, mais aussi à comprendre ce que j’attends de lui. Et à anticiper la façon dont je consomme et à comment je vais passer d’une expérience magasin à une expérience en ligne. Pour exemple, Burberry a beaucoup investi sur le digital cette année. Notamment sur le social retail store en Chine autour de son partenariat avec We Chat. Le principe ? Vous ne pouvez accéder à certaines expériences de la marque, qu’en fonction de votre niveau d’engagement. Une fois votre avatar créé, vous accédez via un programme, à diverses expériences telles que la réservation de cabine avec playlist pour l’essayage. Et obtenez le menu du café, en ligne, qui change selon le score obtenu. C'est votre vie virtuelle qui conditionne alors l’expérience "en vrai" dans le magasin. C’est la où réside le vrai changement ! Longtemps les marques ont placé des tablettes et des écrans en boutique, mais la question n’est plus d'y faire entrer le digital. C'est plutôt comment s’adapter aux codes du digital d’aujourd’hui. Second courant : le virtual retail qui est encore très présent dans l’univers du luxe et de la cosmétique. Chez Clarins, Lancôme, Dior ou encore Charlotte Tilbury, par exemple. Cette marque a même déployé un virtual store pour proposer une navigation digitale en 360, à la façon d’une arène de cirque. Le tour est joué car l’assortiment produit est plus large et plus immédiat. Et la  fondatrice vous accueille via un film. Dans le même temps, nous savons aujourd'hui que l’humain est souvent absent dans le virtual retail et qu'il faut faire intervenir des vrais conseillers. Cette facette du retail pourrait donc disparaître, ou du moins ralentir en raison de ces faiblesses en matière de relationnel. Le magasin physique est le « lieu de la preuve ». On sait qu’il faut six points de contact entre une marque et un client, entre le lancement de la campagne de communication et son arrivée en magasin. Et pour 80 % des Millenials, la boutique fait partie de ce point de contact. Par conséquent, lors de ma visite en boutique,  je chercher des réponses. Je touche, j’observe, je questionne sur la fabrication, je procède au crash test. Si l'on a pas ces sensations, ce peut être difficile de faire un choix et un achat. Autre exemple avec la marque de sneakers Veja, qui propose à sa clientèle de devenir actrice de l'économie vertueuse à sa propre échelle en ayant intégré à l’une de ses boutiques, un espace cordonnerie pour permettre aux clients de faire réparer leurs chaussures au lieu de les jeter. Cela fait sens et les jeunes consommateurs, qui sont sensibilisés au réchauffement climatique, ont davantage de chances d’être conquis par ce type de stratégie. Enfin, il y a l’humanized retail, qui s’est fortement développé pendant les deux phases de confinement. Et que la marque Louis Vuitton peut tout à fait incarner avec ses services sur-mesure pour ses meilleurs clients aux Etats-Unis. La marque a lancé l'hiver dernier, la caravane Vuitton pour directement venir à eux. Le véhicule était équipé d'articles présélectionnés, d'un chauffeur et d'un personnal shopper. Le souci d'attention et du détail ne peut que fonctionner. Je suis certain que les vendeurs et vendeuses ont plus de choses à faire vivre, que d’avoir à trouver la bonne taille de votre vêtement ! House of Showfileds elle, a fait le pari de remplacer les vendeurs par des acteurs et des comédiens pour faire vivre une histoire théâtralisée autour de la marque. La crise sanitaire a également permis de se recentrer sur le local avec des assortiments produits différents d’une boutique à l’autre. Enfin, je cite l’automatized retail, qui est l’inverse de l’humanised retail. Mais l’un et l’autre ne s’opposent pas! Monoprix à Paris (Montparnasse) a créé un chariot intelligent. Il n’y a pas d’attente, pas de points de friction, pas d’intervention humaine dans le parcours d'achat. C'est un concept intéressant, mais un client peut avoir envie des deux. Boxy, la start-up qui propose de s’approvisionner via des containers alimentaires connectés, a également trouvé une solution pratique et de proximité qui fait la différence. Elle apporte le magasin en zone industrielle ou à campagne, là où l’on aurait pas assez de flux pour installer ledit commerce. Elle réinvestit des endroits délaissés. Ce concept d’automatized retail devra donc, pour être bénéfique, s’adapter au type d’activité concerné. 

Les marques sont également friandes du Retailtainement, notamment sur le continent asiatique pour recruter une clientèle inter-générationnelle. Qu'en est-il de la France ? Ou plus largement de l'Europe ? Votre analyse de la tendance ? 

Rémi Le Druillenec : Le retailtainment est utilisé depuis quelques années, principalement par les secteurs de la beauté et de la parfumerie pour des lancements de produits et des opérations évènementielles. La mécanique est intéressante. La clientèle asiatique en est d’ailleurs friande. Même si le simple corner "photo booth" en magasin n’est plus suffisant car la nouvelle génération a besoin d’être engagée. C’est le cas des marques Don’t call me Jennifer (espace photo) et de Mango qui ont déployé des espaces pour la création de contenu en boutique. Pour permettre aux jeunes de faire des vidéos à destination de TikTok, par exemple. En Europe nous allons également vers des espaces multifonctionnels. On ne présente plus seulement des produits, on permet aux visiteurs de s’emparer de ces espaces et d'y créer du contenu. Pourquoi ? Parce qu’aujourd’hui, demain, le magasin devra être pensé comme un média. Et avoir pour vocation, de donner envie. La marque de sneakers Kith, l'a parfaitement intégré en faisant des visiteurs de sa boutique à Paris, des ambassadeurs de la marque sur les réseaux sociaux avec de nombreux hashtags. Il faut donc penser au delà du transactionnel. Toucher une cible plus large et donner envie de procéder à un achat en ligne. Même si la personne n'est pas encore venue en point de vente. 

Vous expliquez que les annonceurs font face à un grand paradoxe autour de l'omincanalité : intégrer plus de technologies, fluidifier le parcours client au prix de services futuristes mais déshumanisés et de l’autre, travailler avec moins de moyens mais optimiser la relation client en vue d’être authentique.Quelle serait, selon-vous la recette de la réussite ? Comment trouver le bon équilibre ?  

Rémi Le Druillenec : Ce sont des questions qui divisent les annonceurs et les marques, oui ! Il faut avoir en tête qu’il y a un changement de paradigme. Si la seule vocation est de faire du chiffre d’affaires et d’être performant, il est clair que l’on fermera ! À partir du moment où l’on se rend compte qu’il y a des formats qui permettent d’engager ou de créer de la notoriété, les critères de notation changent. Derrière, il faut réfléchir à la façon dont on peut adapter la stratégie en fonction du type de magasin ou de revendeur. Il ne faut pas chercher a évaluer l’ensemble des formats avec les mêmes critères d’analyse, plutôt à mener une réflexion 360 et omincanale. Le réseau doit aussi se teinter en fonction de sa taille et/ ou de son emplacement. Si l’on met en avant une approche globale, le combat ne sera pas juste. Il ne faut pas oublier que des espaces d’une même marque sont complémentaires : un petit espace nourrit un grand espace. Enfin, n’opposons pas le digital au magasin. On peut très bien faire les deux, ou inversement.

Entre le petit magasin et la grande enseigne, l’écart est gigantesque. Les stratégies de conquête de la clientèle ne peuvent donc pas être les mêmes ?

Rémi Le Druillenec : En effet. Et l’expérience du service et les attentes, non plus ! On peut miser sur l’hyper-choix par la taille ou rechercher quelque chose de plus spécifique en allant dans un lieu plus petit ou plus familier où l’on a ses habitudes, et où une relation s’est crée dans le temps. Ce peut être réconfortant et reconnu, par exemple. En tant que client je peux également me dire « je ne m’attends pas à un choix pléthorique, j’y vais en dépannage ». C’est aux enseignes de bien le comprendre pour adopter l’offre et les services les plus justes.

Le R.O.X, retour sur l'expérience est le fil conducteur de ce livre. Que risquent les marques à négliger cet aspect dans leur stratégie ? Surtout après la crise sanitaire ? 

Rémi Le Druillenec : Je pense à plusieurs chiffres : 51%* des clients abandonnent une marque après, seulement une mauvaise expérience. Ce qui coûte 5 à 25% plus cher à une marque, de recruter de nouveaux clients. Le but est évidemment d’en fidéliser le plus possible. Il faut réfléchir à cette qualité. C’est elle qui permettra, à moyen terme, de créer un impact sur le business et d’avoir des investissements différents. Ce sera de l’argent non dépensé, mais investi pour fidéliser. En tant que marque, mes clients seront émerveillés. J’aurai consolidé ma position et mes parts de marché. Le R.O.X est donc le nouveau retour sur investissement.

Puisque selon vous le magasin n'est pas mort, quels enseignements souhaitez-vous transmettre aux annonceurs pour qu’ils restent agiles face aux nouveaux défis du e-commerce ?

Rémi Le Druillenec : La notion d’écosystème est importante. Elle inclut e-commerce, réseaux sociaux, site corporate et campagnes, soit de nombreux outils pour construire sa désidérabilité. Le magasin doit être pensé comme un outil pour la marque pour créer cette même désirabilité. Et proposer une expérience de service différenciante. On ne doit pas être dans la simple relation transactionnelle sinon, le consommateur ne sera plus intéressé. En tant qu’annonceur il faut intégrer le fait que le client s’interroge en permanence : « En quoi le magasin me permet de prouver que je suis utile, authentique, original ? Utile à mon pays ? Qu’elle a des choses à m’apprendre ou des conseils experts à me partager ? ». C’est devenir une « meaningful brand» qui lui permettra d’exister. Et le lieu physique lui permet de démontrer cette utilité. Nous-mêmes, au sein de l’agence, sommes en train d’actionner cette approche pour les marques. Pour le compte de la marque de Cognac Rémi Martin par exemple, autour de sa façon d’utiliser la boutique pour recruter de nouveaux clients et les engager a travers des expériences, ou encore avec Armani. La marque cherche à créer des parcours autour de chasse au trésor virtuelle sur smartphone pour mener vers un pop up store et faire gagner des cadeaux.

Au fond, qu’est-ce qu’une bonne expérience client, alors ?

Rémi Le Druillenec : Tant que l'on ne connait pas les profils de clients d’une marque, et que la marque ignore pourquoi ils ne viennent pas, nous ne serons pas capables de la guider dans ses projets. Le nerf de la guerre c’est de bien comprendre à qui l’on s’adresse. Une fois qu’on le sait, on peut répondre aux attentes. Il est nécessaire, en tant que marque, de se concentrer sur ses clients au delà de prioriser sur son image de marque. Après seulement, Héroïne pourra travailler avec elle sur le lancement de son concept. Notre méthode R.O.X a d’ailleurs une trame. Nous réalisons des audits en boutique et avons des protocoles d’observation pour définir les personas. C’est seulement après avoir franchi cette étape que nous pourrons construire avec elle, son cahier des charges. Et donner vie au concept magasins ou au pop up store en question. C’est une démarche systématique mais pas une recette que l’on duplique. C’est bien entendu du cas par cas à chaque fois, avec une approche sur-mesure !

magasin

* *(Mac KINSEY)

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