Jocelyn Jarnier (So Bang) : "la crise va opérer des changements profonds sur les échelles de valeurs "

Jocelyn Jarnier-So Bang

De gauche à droite, Alban Mathéry, Barbara Baudier, Xavier Tormes et Jocelyn Jarnier

La fin du confinement se rapproche et CB News poursuit ses rencontres à distance avec les acteurs du monde de la communication. Ce matin, rendez-vous avec Jocelyn Jarnier, président de So Bang, agence qui se décrit comme indépendante et full service 360°.

1) Huitième semaine de confinement. Quel aura été votre plus grand défi ?

Jocelyn Jarnier : il y a eu plusieurs phases au fil des semaines. Sauvegarder les emplois, aménager les nouvelles conditions de travail et puis, soutenir le moral des uns et des autres. La semaine dernière justement, nous avons organisé un « zoominaire » autour de la thématique du bon. Autrement dit sur ce que l'on pourra maintenir après le confinement. En termes de défis créatifs, je dirai qu’avec la distance imposée, il y a eu de la prise de recul. Elle apporte du confort et laisse monter l’inspiration, contrairement aux moments où l’on est dans un bureau, toujours en interaction avec ses collègues et aspiré par les autres. C’est justement sur ces « temps calmes » et individuels qu’on aimerait capitaliser pour la suite. Aussi pour réduire les réunions. Et bonne nouvelle, nous avons quelques appels d’offres en cours! 

2) Comment répondre aux nouvelles problématiques des clients du secteur luxe ? qui pour certains, commencent à redémarrer leur activité ?

Jocelyn Jarnier : je pense que le secteur du luxe doit changer ses habitudes. La crise va opérer des changements profonds sur les échelles de valeurs et les comportements. Diverses études le montrent. On a envie de réduire ses dépenses dans le luxe, pour les investir plutôt dans l’éducation ou le food. Le « bien manger » le prouve. Mais la transformation était déjà en marche avant la crise du coronavirus. Elle n’a été qu’un accélérateur de ces tendances. J’entends par là, le fait de changer le monde pour survire, au regard des consommateurs. Et avant cette crise sanitaire, on avait déjà celle de l’environnement. Les consciences changent, rien qu’à voir l’éclosion des applis pour choisir ses aliments depuis un an et demi. Ainsi, consommer est devenu un pouvoir et les marques le réalisent enfin. Ce qui a pour conséquences dans notre métier, de changer la manière de communiquer, de faire du marketing et de travailler sur ce qu’on appelle « l’impact global des marques ». Et cela, tant dans le luxe que dans le domaine grand public. On va désormais donner autant d’importance aux critères de santé et d’environnement, qu'au design et au service. Je suis moins inquiet pour le luxe qui se nourrit tout de même de l’artisanat et vit d’une qualité de sourcing. Les annonceurs ont toutes les armes pour bien communiquer mais il leur reste un pas à franchir : réfléchir à des prises de parole authentiques! Ce qui veut dire ne pas aller dans le greenwashing et mettre, ou remettre, au cœur de leur stratégie, une communication plus centrale sur le savoir-faire. Il faut également mettre un frein à la course aux égéries. Mettre l’accent sur des choses plus importantes, qui ont plus de profondeur. Il ne s’agit pas simplement d’un engagement externe. Le fait que ces annonceurs soient portés sur des communications de type « produits portés par des stars ou des chanteurs », détourne de l’essentiel. Il faut continuer à vendre du rêve, ça oui, mais pas dans le futile ! Comment faire ? En insistant sur la qualité des filières, sur la transparence et les procédés de fabrication. Miser d'avantage sur la création et moins sur le lifestyle. On a vu les risques encourus avec la délocalisation, qui affecte la traçabilité des produits. Ainsi, redéfinir la valeur c'est peut-être payer plus cher, mais consommer moins. C’est aussi ce que nous faisons avec nos clients;  intervenir en conseil sur des problématiques plus « citizen » et RSE. Au delà bien sûr de la mise en place de dispositifs confinement. Et concernant nos clients de luxe, l’enjeu de com’ n’est pas leurs priorités à la veille du 11 mai. C’est plutôt de rouvrir dans de bonnes conditions sanitaires. Et puis, en ce qui concerne ces dispositifs Covid, nous avons beaucoup utilisé l’influence, qui nous a fait découvrir de nouveaux talents : un comédien pour des spots décalés à domicile pour Ixina, ou la recherche d' influenceuses Pinterest pour d’autres projets. Cela valide le modèle du studio que nous avons mis en place, confirme l’intérêt des consommateurs pour ces contenus et nous conforte dans nos efforts pour faire croître l’engagement et la vitalité de ces contenus. 

3) Que vous a apporté ou appris cette période ?  Qu'en restera-t-il à coup sûr ?

Jocelyn Jarnier : cette période a montré qu’il va falloir conseiller les marques différemment. Sur toutes ces problématiques RSE, justement. Une marque, si elle ne s’engage pas, aura du mal a être choisie. C’est l’avènement d’une ère bénéfique pour tous. Tout comme elle influe sur notre manière de travailler. Côté management, ce sera laisser plus d’autonomie aux équipes opérationnelles. On y est gagnant avec une plus grande responsabilisation, plus de productivité et davantage de qualité. 

4) Vous qui travaillez aussi sur des mécaniques d'influence, comment la définiriez vous pour cet "après" ?

Jocelyn Jarnier :  l’influence suivra ce même chemin avec cette « superficialité » qui reculera. Ce qui veut pas dire, dans la tonalité, que ce sera grave. On pourra toujours parler de ces sujets RSE en légèreté. Mais les mises en scène de rêve où les influenceurs sont bien maquillés, bien coiffés et posent dans des hôtels de luxe vont perdre de l’importance. Il faudra désormais plus de vérité et plus d’authenticité et mettre en avant ceux et celles qui donneront de la valeur ajoutée à la collaboration avec les marques. Du côté des marques, ce sera être plus sélectif. De façon à ce que l’influence gagne des lettres de noblesse à l’heure où elle est beaucoup caricaturée. L’influence après tout, c’est de la collaboration par le biais d’une agence, ce n’est pas juste s’exposer. L’éducation au marché fait qu’aujourd’hui l’existence de faux followers, scandales, etc, que les clients, autant que les agences, ont appris a décoder ce qui atteste du succès d’une opération : le taux d’engagement d’une communauté. Il faut que cette collaboration soit un cercle vertueux. Qu'elle soit en affinité avec ce que l’influenceur/euse fait, et suivant les attentes de sa communauté. Pour donner un exemple des codes du luxe qui changent, je reviens sur une précédente opération avec Tiffany. Un client pour qui nous avons mis en avant sur les réseaux sociaux, le fait qu'un maillot de foot pouvait aussi devenir un accessoire de luxe à porter avec des bijoux. Ce fut original et les taux d’engagement espérés ont été atteints! Enfin, et pour parler de l'après; ce sera surtout fin mai. C'est à ce moment là que nous recommencerons à travailler normalement chez So Bang.

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