Stéphane Truchi (IFOP) : "Pas simple de réconcilier les paradoxes pour les marques !"

Stéphane Truchi -IFOP

C'est Stéphane Truchi, CEO du groupe IFOP, qui se prête au jeu des "Trois questions à" en amont de la dixième édition de la conférence Paris Luxury Summit qui se tient au théâtre Marigny mardi 12 décembre prochain. Trois réponses éclairantes sur l'industrie du luxe. Notamment sur cinq paradoxes identifiés pour éclairer la thématique "Full Paradoxal". Stéphane Truchi sera sur scène du théâtre Marigny, avec le sociologue et directeur général de Sociovision : Rémy Oudghiri. Tous deux dévoileront, en exclusivité, le résultat d'une étude réalisée pour CB News à cette occasion.

CB News : Vous êtes un partenaire fidèle du PLS, qu’est-ce qui vous parle dans le thème de cette 10ème édition ?

Stéphane Truchi : c’est un thème qui résonne particulièrement pour nous, acteur du Market Research. Nous observons tout au long de l’année et partout dans le monde la société, son évolution, ses tendances. Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus paradoxal, avec des tensions de plus en plus fortes. Tant au niveau collectif qu’individuel. Plaisir et responsabilité, moralité et culpabilité, discrétion et ostentation, possession et partage, autorité et tolérance, individualisme et solidarité, repli identitaire et mondialisme… Pas simple de réconcilier ces paradoxes pour les marques ! En particulier pour adresser et séduire les nouvelles générations. Notre rôle, c’est de mieux comprendre et éclairer ces paradoxes pour aider les marques de luxe à les intégrer et à les faire cohabiter.

CB News : Quels sont pour vous les paradoxes dans le marketing du luxe en 2023 ?

Stéphane Truchi : nous avons identifié cinq paradoxes fondamentaux  et particulièrement sensibles aujourd’hui, que nous avons évalués dans l’enquête internationale réalisée pour le Paris Luxury Summit cette année. Le premier paradoxe, c’est comment concilier la sobriété de la consommation responsable et ce plaisir compulsif  intrinsèquement lié à la consommation de produits de luxe.  Le second paradoxe touche à cette dualité entre le besoin qu’ont les marques d’être omniprésentes et visibles, et cette aspiration à l’exclusivité exprimée par les clientèles traditionnelles du luxe. Le troisième paradoxe interroge sur des expériences de marque de plus en plus tournées vers l’entertainment et cette volonté de retour à l’iconicité et aux valeurs fondamentales… entre sélectivité et pop culture. Le quatrième paradoxe qui est celui d’adresser à la fois des clientèles  en attente de discrétion et de différenciation et des clientèles en recherche de signes extérieurs et marqueurs. Et enfin le cinquième et dernier paradoxe, c’est le bon équilibre à trouver entre digital et physique : préserver la relation physique tout en intégrant le digital dans le parcours client sans trop déléguer… Le digital qui enrichit l’humain sans s’y substituer.

CB News : Certains analystes (dont Bain et la Fondation Altagamma) parlent de "normalisation de la croissance de l'industrie du luxe après deux années d'euphorie" : quelle est votre analyse ?

Stéphane Truchi : nous sortons d’une décennie de croissance insolente, quand on compare la santé du secteur du luxe à celle de l’économie mondiale. Effectivement parler de croissance normalisée parait un terme qui exprime de façon juste la situation des prochaines années.  Plusieurs facteurs vont contribuer à freiner la croissance : le facteur géographique avec le ralentissement durable de la croissance chinoise mais aussi les guerres en Ukraine et au Moyen Orient, et les difficultés économiques des Etats-Unis. Le contexte inflationniste et les tensions sur le pouvoir d’achat, qui fragilisent la classe moyenne qui a beaucoup porté la croissance du secteur ces dernières années et facteur plus « sociétal » avec la montée d’une consommation plus responsable et plus sobre, et qui affectera également la consommation de produits de luxe. Mais le marché du luxe  a toujours montré de la résilience, même dans des contextes des crise sévères que nous avons connues récemment (2008/2009 et plus récemment la crise COVID).  Mais il y aura aussi de vraies opportunités à saisir pour les marques de luxe à condition de bien coller aux valeurs et aux attentes de leurs clientèles. Recentrage sur le « vrai luxe », la qualité, le savoir-faire, redonner du sens et de la valeur au produit, des marques engagées et responsables… La progression du nombre d’ultra-riches dans le monde est également une vraie opportunité pour les marques de luxe… Ils continuent à concentrer une part essentielle en valeur des achats de produits de luxe aujourd’hui. La capacité que les marques auront d’enrichir l’expérience  au-delà du produit en proposant un véritable art de vivre à leurs clients (gastronomie, voyage, maison...) renforcera le lien aux marques. Et enfin l’apport de l’IA qui permettra de personnaliser encore davantage l’expérience et le service-clients, tout en optimisant l’analyse prédictive de leurs besoins… Bref, le luxe a encore de beaux enjeux à relever et de belles années devant lui.  

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