Lutte contre le racisme : les marques sont encore "frileuses" - Sebastien Emeriau (Havas Media Group)

Sebastien Emeriau

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Suite à la classification des dix-sept objectifs de développement durable de l’ONU, Havas Media Group a créé son baromètre des sujets RSE les plus discutés sur les réseaux sociaux, le "Meaningful Pulse". Pour cette première édition, c'est l’antiracisme, qui en 2021, occupe la plus grande part des débats (soit 25%). "Le contexte actuel montre plus que jamais l'importance des valeurs pour faire société, ou communauté, et les marques sont attendues sur ce point" nous apprend Sebastien Emeriau, Chief Strategy Officer d'Havas Media Group. L'occasion pour CB News de revenir avec lui sur le sujet et de l'interroger sur son rapport d'étonnement. 

1/ De quel constat part le lancement de ce baromètre ? 

Le lancement de ce baromètre part de deux constats. Le premier est celui de dire que nous sommes évidemment très sensibles à ces sujets dits “meaningful”, que ce soit social, sociétal, environnemental… Nous constatons également que ces sujets en communication sont sensibles pour les marques et que c’est quelque chose qui peut être un peu figé. Il existe parfois un biais de perception, en fonction de ce qu’on dit dans les médias ou dans nos conversations, qui fait que nous ne nous rendons pas vraiment compte de l’importance de ces sujets dans "la vraie vie". Nous voulions davantage creuser et comprendre ce qu’il se passe dans la tête des gens et surtout comprendre comment ils le vivent. D'où l'importance de cette écoute sociale, structurée selon les objectifs de développement durable de l’ONU. Nous avons repris la grille internationale de l’organisation et nous avons vu comment se répartissaient les prises de parole. Nous avons également regardé comment ces sujets évoluent, évidemment, selon l’actualité. 

2/ En quoi consiste le baromètre ? Quelle est sa méthodologie ?

Nous utilisons un outil de social listening, la méthodologie est donc assez classique. Néanmoins, nous en avons pas mal discuté parallèlement avec TikTok, car de plus en plus d’utilisateurs prennent la parole sur les sujets RSE. Nous avons donc observé tous les avantages et les limites de l’écoute sociale car malheureusement toutes les plateformes ne sont pas accessibles. Nous nous sommes majoritairement basés sur Twitter, sur des forums et TikTok. Ces plateformes sont un vivier concernant les sujets dits "chauds" ou d’actualité. Ce qui est intéressant c’est qu’à chaque fois nous avons fait le distinguo entre le fruit des propos tenus par les gens et celui des propos tenus par les médias sur Twitter, car cela permet de remarquer un petit décalage. 

3/ Qu’est ce qui vous a le plus étonné dans les résultats ? 

Le fait que l’antiracisme occupe la première place des conversations RSE était une surprise. C’est surprenant par rapport à la façon dont, quand on parle d’objectifs de développement durable, spontanément, nous avons plutôt tendance à penser à l’environnement. Dans l’étude il y a une catégorie “vies saines” qui est extrêmement liée au Covid, qui sera peut-être amenée à disparaître. L’ampleur de l’antiracisme reste vraiment ce qui a retenu mon attention. 

4/ L’anti-racisme apparait en premier dans votre baromètre pourtant quand on regarde l'importance donnée par les médias sur ces mêmes sujets, la lutte anti-raciste n’arrive qu’en troisième place, pourquoi ?

Alors à défaut d’avoir des explications, je pense pouvoir avancer des interprétations. Les médias se sont donnés comme mission de convertir le monde entier au respect de la nature, aux meilleurs gestes pour l’environnement et nous avons vu fleurir ces sujets autour de l’écologie les dix dernières années. Je constate réellement un engagement des médias, ce qui rend ce sujet très fort dans la couverture médiatique. Enfin, pour expliquer pourquoi l’antiracisme est plus bas dans la sphère médiatique, j’ai l’impression que les médias sur les réseaux sociaux ont peur de prendre la parole. En France, il y a toujours cette petite musique qui dit qu’il n’y a pas de racisme, qu’il n’y a pas de problème, qu’il n’y a pas de statistiques sur le racisme ou de problèmes ethniques en France. Je pense qu’il y a une nouvelle génération qui ne le vit pas de la même manière et qui l’exprime. 

5/ Qui avance le plus selon vous sur le sujet de l’antiracisme chez les marques ? Y a-t-il de bons élèves ? 

Le sujet de l’antiracisme en France est abordé de manière très différente par rapport aux États-Unis par exemple, notamment d’un point de vue marketing. À l’époque du mouvement Black Lives Matter, de nombreuses marques se sont impliquées comme Nike. Elles étaient très clairement dans une prise de parole antiraciste. Parmi ces marques, il y avait celles qui avaient déjà un historique engagé sur le sujet. Parce que le sujet est établi. J’imagine néanmoins que certaines marques ont été plus ou moins pertinentes, je pense au cas de Pepsi qui a mis en scène une manifestation superficielle avec Kendall Jenner. En France, l’engagement des marques se fait beaucoup plus sur les sujets environnementaux, sur le “bien manger”, les vies saines et sur les sujets sociaux. Par exemple, la MAIF ou d’autres mutuelles sont très clairement positionnées là-dessus. En revanche, sur des sujets sociétaux comme l’antiracisme ou les LGBTQIA+, l’égalité femmes-hommes, les marques se montrent plus frileuses. Néanmoins, certaines prennent des égéries engagées comme par exemple Louboutin avec Assa Traoré ou Valentino avec Rokhaya Diallo. Ces choix ne sont pas anodins. Le sujet reste hyper sensible, car si une marque prend la parole, on va questionner sa légitimité, en quoi s’arroge-t-elle le droit d’en parler etc.Pour avoir le droit de parler de racisme ou d'antiracisme, faudrait-il être soi-même être "racisé" ? 

6/ Que pouvez-vous conseiller aux marques qui seraient intéressées à embrasser la lutte contre le racisme ? 

 Si vous observez la représentation diversifiée dans nos pubs dans les dix dernières années, vous verrez de plus en plus de couples mixtes ou de profils variés. De fait, nous contribuons à une forme de normalisation, banalisation du fait que la couleur de peau n’est pas un sujet. Nous mettons en adéquation la société et la représentation de cette société dans les publicités. Pour les marques de luxe ou de mode, la diversité est mise en scène depuis bien longtemps. Tandis que nous sommes loin de la représentativité parfaite, malgré une évolution, sur les marques du quotidien. 

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