Désinformation : la commission Bronner rend son rapport et fait 30 propositions

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La commission Bronner sur la désinformation et le complotisme a remis son rapport mardi au président Emmanuel Macron. Présidée par le sociologue Gérald Bronner, la commission composée de 14 universitaires ou personnalités compétentes était chargée de faire le point sur l'impact de l'explosion d'informations permise par le numérique, et sur les éventuelles mesures à prendre pour éviter que celle-ci ne favorise désinformation, complotisme et, in fine, l'affaiblissement de la démocratie. Dans ses 30 recommandations, la commission propose notamment de faire du renforcement de "l'esprit critique" ou de "l'esprit méthodique" une grande cause nationale, dans l'Education nationale et au-delà, y compris dans la formation continue. Lors de ses voeux à la presse, Emmanuel Macron a repris cette idée de "former davantage nos enfants" et les citoyens à cet "esprit critique" ou "de méthode". Seuls "la vérification des sources", "le croisement de celles-ci", "la contradiction des arguments, le débat éclairé" peut "construire un chemin qui mène à une vérité, peut-être d'ailleurs provisoire, mais une vérité", a-t-il dit. Le président de la République a également repris l'idée de rendre accessibles aux chercheurs les données d'utilisation des réseaux sociaux, de manière à ce que puisse être étudiée avec précision par exemple la "viralité" des fausses informations. "Notre recherche doit pouvoir avoir accès aux données" des plateformes, "sans quoi nous sommes tous les fournisseurs ou les utilisateurs de mécanismes plus puissants que nous et qui nous manipulent", a-t-il dit. Victime d'une tentative de déstabilisation lors des derniers jours de la campagne électorale de 2017, qu'il a par la suite attribuée à la Russie,

Emmanuel Macron a multiplié depuis, avec sa majorité, les initiatives pour tenter de réduire les risques de manipulation liés à internet. Le Parlement a notamment adopté en 2018 une loi relative à la manipulation de l'information en période électorale, qui a attribué de nouvelles compétences au Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) face aux plateformes numériques. Le gouvernement a aussi créé mi-2021 Viginum, une agence rattachée au secrétariat général à la défense nationale (SGDSN) et chargée de traquer la désinformation en période électorale. L'exécutif compte également profiter de l'actuelle présidence française de l'Union européenne pour pousser une adoption rapide de la nouvelle loi européenne dite "DSA", qui doit notamment renforcer les obligations faites aux grandes plateformes internet en matière de modération des contenus.

Les principales recommandations du rapport dont l’intégralité peut être consultée ici.

Mieux maîtriser les logiques algorithmiques :  Pour lutter contre le "biais de popularité", qui conduit les algorithmes à privilégier les contenus fournis par les comptes les plus suivis, il faut "permettre aux utilisateurs de mieux se représenter l'état du réseau et la prévalence réelle des opinions en désactivant par défaut les métriques de popularité et l'éditorialisation algorithmique". Le rapport suggère également d'"encourager" une surveillance accrue des plus gros influenceurs par les plateformes "afin de les responsabiliser". Il faut veiller par ailleurs à ce que "sur certains sujets fermement établis, le classement algorithmique n'induise pas en erreur le public sur l'état réel des connaissances" et que la visibilité donnée aux contenus reflète le "consensus" scientifique existant.

Pas de financement publicitaire pour les infox : Le rapport suggère de promouvoir "l'investissement publicitaire responsable", pour éviter que la publicité en ligne ne vienne financer les sites de désinformation ou complotistes. Des acteurs comme NewsGuard, Global Disinformation Index ou Storyzy ont justement mis au point des listes répertoriant les sites à éviter. Les sites de presse généraliste devraient "bannir de leurs espaces publicitaires les liens sponsorisés renvoyant vers des sites pièges à clics de désinformation" et ne plus faire appel aux "sociétés publicitaires les associant à de tels liens sponsorisés".

Mieux se coordonner face aux ingérences numériques étrangères : Le rapport propose de mettre en place un dispositif de coopération entre plateformes, institutions et communautés académiques pour réagir rapidement aux opérations détectées. Il préconise également de créer un mécanisme de gouvernance numérique interministérielle, et un mécanisme de gestion de crise à l'échelle européenne.

Engager la responsabilité civile en cas de "fausse nouvelle" : La commission propose de conserver dans sa rédaction actuelle l'article 27 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui réprime pénalement la diffusion publique de "fausses nouvelles" sur les réseaux de communications numériques et les plateformes. En revanche, elle propose un nouvel article de loi qui permettrait d'engager la responsabilité civile d'un internaute qui diffuserait de mauvaise foi une fausse nouvelle préjudiciable, en prenant en compte notamment "le niveau d'audience et de popularité numérique de son auteur".

La commission Bronner recommande également que l'Arcom (l'ex-CSA) puisse être saisi "par toute personne ayant rencontré une difficulté pour obtenir l'intervention et la coopération d'une plateforme afin de prévenir ou stopper la diffusion massive d'un contenu susceptible de véhiculer une fausse nouvelle pouvant troubler l'ordre public". Elle préconise en outre que les plateformes ouvrent aux chercheurs l'accès à leurs données - une disposition qui est en cours de discussion à Bruxelles, dans le projet de texte européen sur les services numériques (DSA).

Développer l'éducation aux médias et à l'information : La commission propose de faire du développement de l'esprit critique et de l'éducation aux médias et à l'information "une grande cause nationale", associant l'Éducation nationale et tous les systèmes de formation et d'éducation (projets éducatifs de territoires, formation continue...). Elle recommande de systématiser la formation pour les élèves dès l'école primaire et jusqu'après le secondaire et pour les enseignants en formation initiale et continue. Elle suggère notamment d'"établir une cartographie des difficultés cognitives les plus fréquemment rencontrées chez les élèves".

Enfin, il convient selon elle de saisir le comité national pilote d'éthique sur la question des "metavers", ces mondes virtuels se juxtaposant au monde physique promus par les géants du numérique, comme Facebook. "L'immersion croissante des utilisateurs dans des mondes numériques où la distinction entre le réel et le virtuel s'efface progressivement peut entraîner des risques éthiques", souligne la commission.

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