Fusion TF1-M6 : « Nous sommes en fiançailles mais nous ne pouvons pas consommer » (Nicolas de Tavernost)

Nicolas de Tavernost

Nicolas de Tavernost devant la commission d’enquête du Sénat sur la concentration dans les médias, le vendredi 28 janvier 2022.

La commission d’enquête du Sénat consacrée à la concentration dans les médias a poursuivi ses auditions avec Nicolas de Tavernost, président du directoire du groupe M6. « Le plus ancien dirigeant de l’audiovisuel français, le patriarche », a souligné le président de la commission, qui a rappelé que cela pourrait durer, puisque Nicolas de Tavernost pourrait devenir le président du futur groupe issu de la fusion TF1-M6. Nicolas de Tavernost a déployé « la vision d’un entrepreneur et non d’un propriétaire, satisfait mais préoccupé », par les mutations du secteur, la réglementation, et les mouvements nécessaires à son adaptation.

Le groupe M6 fêtera d'ailleurs ses 35 ans le 1er mars prochain. Une réussite, selon son président, grâce à la stabilité de son actionnariat, « comme TF1. Pendant ce temps, j’ai connu 10 dirigeants de l’audiovisuel public », a-t-il indiqué. Nicolas de Tavernost a longuement défendu la fusion avec son concurrent TF1 : « la concentration est parfois utile, elle a sauvé Canal+ ». Pour le président du directoire du groupe M6, le groupe a du s’adapter avec une plus grande diversification : le cinéma (en 2021, 1er distributeur français avec sa filiale SND) ; les investissements dans le non-linéaire dès 2006 (« aujourd’hui un pilier du développement ») ; et un développement par croissance interne (sauf pour RTL racheté à son actionnaire et le rachat des chaînes Lagardère).

« Investir massivement dans le streaming »

La réglementation est trop contrainte pour M. de Tavernost, qui n’a pas pu racheter des sociétés de production « à cause de la réglementation sur l’indépendance ». La chaîne pour enfants Gulli, que le groupe pourrait vendre suite à sa fusion avec TF1, pose question : « les sociétés de production qui pourraient la racheter n’auraient pas le droit de plus produire pour elle », a-t-il regretté. Selon lui, « il n’est pas impossible de subir le danger qu’a subit la presse écrite. Le marché de la publicité ne progresse pas, avec des plus et des moins, mais au même niveau qu’il y a dix ans ». Pendant ce temps, « le digital est devenu le premier média français », citant Jean-Luc Chetrit en 2016, alors président de l’Udecam ; et « 68% de l’audience de la publicité en télévision linéaire est faite par les plus de 50 ans ».

Selon Nicolas de Tavernost, il faut investir massivement dans le streaming, l’information, l’événementialisation des programmes, les droits sportifs et accélérer dans le domaine de la fiction. L’objectif : « maintenir un écosystème français relativement puissant ». « La fusion est une bonne réponse, même si ne ce n’est pas la solution la plus facile, avec le mélange de cultures qui ont été concurrentielles ». Mais elle permettrait d’accélérer « la transformation de nos sociétés, avec des investissements plus massifs dans le streaming », tout en « gardant l’identité des marques ». Le président du directoire du groupe M6 souhaite voir des « synergies » avec une « préservation de l’indépendance de chacun », citant l’offre d’information entre RTL et M6.

Quid des dividendes ?

« Il n’y a pas de difficulté de bosser avec une société dont le coeur de métier n’est pas les médias », affirme Nicolas de Tavernost. La Lyonnaise des eaux a participé à créer M6 avec le groupe RTL : « ils ont été très loyaux, avec une indépendance du management. Ce mariage a duré très longtemps ». Pour lui, la famille Bouygues connaît le fonctionnement de la télévision : « je pense que je n’aurais pas de difficulté, je n’aurais pas de mal à porter le projet si celui-ci abouti ». Pour le dirigeant, la télévision est arrivée « au bout d’un système » : « la durée d’écoute moyenne à programme constant est entre 5 et 10% sur la cible commerciale. On a pu compenser avec une certaine augmentation des tarifs et le volume de publicités, mais le public s’est habitué à avoir des programmes sans pub. Il faut continuer à compenser avec le non-linéaire. Et cela, on ne peut pas le faire seul ».

« Vous disiez auparavant que votre fierté était d’être le seul grand groupe indépendant », a ironisé le rapporteur de la commission David Assouline. « C’était par rapport aux télécoms, cela nous posait un problème ». Quid de Bouygues Telecom alors ? « Nous nous adaptons, et heureusement », a affirmé M. de Tavernost. Les sénateurs ont en outre pointé du doigt la distribution importante de dividendes, pour un groupe qui se dit en difficulté pour investir. « Ce n’est pas le signe de ceux qui vont mal », selon David Assouline. « On n’a plus les moyens de se payer la diffusion des matchs de l’équipe de France », a rétorqué le dirigeant. « Nous n’avons jamais eu de problème de financement de nos investissements par nos actionnaires. Aujourd’hui les dividendes sont importants, mais nos actionnaires nous suivent à chaque fois. Les économies grâce aux synergies seront investis dans les programmes en streaming ».

Salto : « une réussite »

La commission d’enquête a également rappelé l’ingérence du président du directoire du groupe M6 dans la programmation de sa chaîne principale. « Il faut faire le distinguo entre deux choses : l’ingérence des actionnaires et des dirigeants. Je suis responsable pénalement de l’entreprise, je suis le directeur de la publication », s’est défendu Nicolas de Tavernost. « Je n’ai pas une seule fois parler politique. Mais j’assume : lors de la diffusion dans « Zone interdite » d’un reportage sur l’Islam radical dimanche dernier, nous avons discuté de cette émission, j’ai fait mon métier, j’ai autorisé cette émission, c’est mon devoir de responsabilité, ce n’est pas de l’ingérence ». Mais il a également voulu citer des exemples inverses : « Amazon est un grand client, et pourtant nous avons fait une émission sur les invendus qui étaient jetés ; également une émission anti-éolienne alors que nous avons des clients dans ce secteur ». Pour autant, Nicolas de Tavernost a interdit à RTL le droit d’inviter Jean-Pierre Pernaut : « il me semble que nos présentateurs ne sont pas non plus invités sur TF1. Je l’assume. Quand il y a des cas qui me sont présentés, je tranche, c’est une question de protection de mon public et de l’image de la chaîne ».

Interrogé sur la vente de chaînes dans le cadre de la fusion, le dirigeant a déclaré qu’il s’agissait d’un « déchirement de céder des chaînes que nous avons créé, ou racheté et développé ». Citant Gulli et la réglementation n’autorisant pas « d’être à la fois propriétaire et producteur » : « nous verrons à qui vendre, mais c’est maladroit… surtout dans le domaine de l’animation. Nous devons participer à la production, c’est fondamental sur l’animation, sinon pas de placements de produits, programmes issus de l’étranger et pas de production française… Nous devons participer à ces regroupements ». « Nous voulons nous associer avec des producteurs, ce que nous ne pouvons pas faire, contrairement aux grands groupes dans le monde ». Sur Salto, Nicolas de Tavernost estime qu’il s’agit d’une réussite. « Nous avons fait beaucoup d’efforts, avec la fusion - qui est une évidence, une force - on sera beaucoup plus libres ». Quid du départ du groupe public après la fusion ? « France Télévisions est un bon partenaire, Delphine Ernotte peut se retrouver minoritaire, nous sommes ouverts à l’examen de cette situation », a-t-il indiqué.

« Éviter le syndrome de la presse écrite »

« Ceux qui refuserait la fusion prendrait un grand risque, face à la concurrence internationale, à la concentration de la production… », a martelé Nicolas de Tavernost. « Il n’y a pas de risque avec les règles actuelles, le CSA… Nous avons aussi un historique d’indépendance, de stabilité, avec des gens qui investissent, qui font confiance, chez M6 et chez TF1. Cela devrait être de nature à rassurer », a-t-il estimé. « Le paysage français est déjà très concurrentiel, avec un grand groupe public, et bientôt deux groupes privés (un sur le payant - Canal+ - et un sur le gratuit - celui issu de la fusion TF1-M6). Pendant ce temps, il y a des regroupements gigantesques dans le monde, et nous sommes confrontés à ces gens-là, qui n’ont pas les mêmes contraintes réglementaires ».

Selon Nicolas de Tavernost, il faut éviter « le syndrome de la presse écrite, en ne voyant pas les mutations ». « On ne peut pas faire la critique d’être trop gros en France et celle d’être trop petit face aux gafas. C’est un juste milieu ». « Aujourd’hui, nous sommes en fiançailles mais nous ne pouvons pas consommer. C’est très frustrant ». Sur la fusion, quelques grands principes ont été décidés avec Gilles Pélisson, le PDG de TF1, notamment « l’autonomie des rédactions », avec des « collaborations » et des « communautés de moyens », comme l’émission de Julien Courbet « Ça peut vous arriver », co-diffusée sur M6 et RTL ; ou le présence de journalistes de RTL sur l’antenne de M6. « Nous en sommes très heureux, le public en est très heureux : so what ? ». En conclusion, le dirigeant a été interrogé par le rapporteur de la commission David Assouline sur les autres offres de rachat que le groupe M6 aurait reçu. « Oui, M6 a reçu d’autres offres de rachat », a déclaré Nicolas de Tavernost. « Avez-vous reçu une offre de Vincent Bolloré ? ». Question restée sans réponse.

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