Renault fait son entrée dans la presse avec 40% de participation dans Challenges

La surprise est de taille. Si aujourd’hui une large partie des plus grands groupes de presse est détenue par des groupes industriels privés, bien malin est celui qui aurait pu miser quelques pièces sur Renault qui investit dans ce secteur. C’est pourtant le cas avec l’annonce faite mercredi qui voit le constructeur automobile français prendre une participation de 40% au sein du groupe Challenges, éditeur notamment du magazine du même nom ainsi que de Sciences et Avenir, La Recherche, L'Histoire, Historia, etc. Avec cette transaction, Renault pose ainsi sa première pierre dans le secteur de la presse économique avec un titre qui a connu de graves difficultés budgétaires mais dont les ventes se sont redressées ces derniers mois, après un plan d'économies et le départ de plusieurs journalistes.

Dans un édito sur le site de Challenges, son propriétaire Claude Perdriel ne s’en cache pas : « les nuages noirs s’amoncellent » sur l’avenir de la presse, même si le magazine Challenges « échappe encore à cette fatalité », écrit-il. Prenant ainsi acte que les marchands de journaux, « ruinés », ferment, que la coopérative « qui nous distribue ne peut plus payer l'intégralité de notre dû » ou encore que les Google et autres Facebook et les « principaux intermédiaires prennent jusqu'à 70 % de nos recettes publicitaires », il y a tout de même (un peu) le feu. Dans ce contexte, raconte-t-il encore, c’est le patron de Renault, Carlos Ghosn, qui a proposé à M. Perdriel début septembre 2017 un projet « révolutionnaire ».

Celui de mettre les contenus de Challenges à la disposition de tous les possesseurs de voiture Renault. Un projet qui s'inscrit « pleinement dans la stratégie du groupe Renault qui vise à offrir de nouveaux services connectés et à améliorer l'expérience de ses clients », expliquait alors le dirigeant de Renault. « Cette idée, si innovante, s'est imposée à nous, sur le champ, comme une évidence », insiste M. Perdriel dans son édito : « au lieu de perdre 6 000 points de vente, nous allons retrouver des millions de lecteurs et d'auditeurs potentiels ». En conséquence, la proposition de Renault a été acceptée. Ce dernier se chargeant de l'innovation technologique du groupe Challenges tout en s'engageant « à respecter notre indépendance éditoriale ». Détenteur de 60 % des parts, Claude Perdiel l’affirme : « je reste garant de celle-ci ». Un partenariat qui n'est pas sans rappeler certains opérateurs de télécoms qui ont racheté, comme SFR, des journaux et incluent dans leurs forfaits un accès à des titres de presse en version numérique.

Un investissement de 5 M€

« Ensemble, on voudrait pouvoir rechercher et travailler sur le contenu de demain », a pour sa part indiqué Carlos Ghosn. "Il faut qu'on regarde la possibilité de créer du contenu à la demande, en fonction du profil de l'utilisateur", sous la forme de textes ou d'émissions audio ou vidéo, a-t-il précisé. Concrètement, le groupe au losange va investir 5 millions d'euros et éponger les dettes de Challenges, a souligné Claude Perdriel. Le groupe Challenges, dont le chiffre d'affaires oscille entre 43 et 45 millions d'euros, devrait « embaucher » à la suite de cette annonce, a-t-il encore annoncé.

Pour Renault, cette petite prise de participation (sur un budget d'investissement annuel du groupe de 1,1 milliard d'euros) a valeur de test, alors que l'ensemble des 10 millions de voitures vendues chaque année par l'alliance Renault-Nissan (qui comprend aussi les marques Mitsubishi, Dacia, Renault Samsung Motors, Alpine et Lada) devraient être « connectées » d'ici  2022. « Notre objectif est mondial (...), avec un test grandeur nature dans le groupe Challenges », a martelé M. Ghosn, qui n'exclut pas d'autres acquisitions ou partenariats dans la presse à l'avenir.  Quand les conducteurs s'occuperont moins du volant, que les écrans seront partout, "le contenu déterminera le choix de la voiture", a-t-il assuré. Le PDG de Renault a choisi le groupe Challenges car ses magazines  s'intéressent à des thèmes « exploitables à une échelle mondiale » (économie, sciences, histoire), selon lui. En maîtrisant la production de ses contenus, Renault souhaite notamment prendre les devants face à de nouveaux concurrents comme Google, qui investit massivement dans l'automobile.

Couverture avec Renault : une '’coïncidence’’

En dépit de cette prise de participation, les journalistes de Challenges continueront à traiter de l'actualité automobile de façon indépendante, selon sa direction, et la Renault en Une de son numéro à paraître jeudi est une « coïncidence ». Après avoir rencontré Claude Perdriel mercredi après-midi, la société des journalistes de Challenges a « pris acte » dans un communiqué de l'arrivée de Renault. Les journalistes ont rappelé les termes de la charte de Challenges, qui stipule que « le ou les actionnaires s'interdisent d'intervenir d'une quelconque manière sur le travail des journalistes, au cours des enquêtes comme dans leurs écrits ». La SDJ a estimé que cette "concomitance" d'une voiture Renault en Une « nuit gravement à l'image du journal, même si les journalistes auteurs du dossier affirment avoir pu travailler en toute indépendance ». 

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