Vincent Arvers : « la publicité n’est pas un tabou chez Libération »

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A la tête de la régie publicitaire de Libération depuis le début de l’année, Vincent Arvers explique en exclusivité pour CB News ses ambitions et sa feuille de route. Avec un préalable, refaire de la marque Libération aujourd’hui indépendante un passage obligé pour les agences media et les annonceurs.

CB News : Vous avez pris en début d’année la tête de la régie publicitaire de Libération. Avec quelles missions ? Qu’est-ce que ce journal aujourd’hui ?

Vincent Arvers : Tout d’abord, relancer la dynamique commerciale à la hauteur de celle de la marque. Il s’agit pour moi de capitaliser sur les investissements qui ont été faits depuis 3-4 ans, période marquée par la prise d’indépendance du titre. Notre parti-pris est d’investir selon les valeurs du journal et dans l’humain. Ensuite, nous avons un héritage, il faut le valoriser. Libération est un écrin, que ce soit le quotidien ou le site avec leurs 220 journalistes.

CB News : Est-ce que Libération et publicité sont des mots qui vont très bien ensemble ?

Vincent Arvers : C’était inscrit dans l’ADN du journal, historiquement. Mais cela avait été un peu oublié… L’accueil de la rédaction a été excellent. On m’a même sollicité pour me demander pourquoi nous ne faisions plus d’Opérations spéciales (sourire). Mais pour nous, il ne s’agit pas de faire de la publicité pour faire de la publicité. Il est essentiel de mettre une frontière très claire, notamment dans les opérations et les évolutions de formats, c’est sur quoi nous sommes en train de travailler, pour ne pas « tromper » l’audience. Libération n’a jamais empêché des annonceurs de prendre la parole. Mais il faut également du bon sens pour la régie à savoir dire non lorsque nous avons le sentiment de ne pas être en accord avec ce que nous sommes. Cela m’est arrivé plusieurs fois depuis le début de l’année. Et la rédaction n’est même pas au courant. C’est un rapport de confiance à créer avec elle. La publicité n’est pas un tabou chez Libération !

CB News : Il en va d’un avenir économique plus serein ?

Vincent Arvers : Nous sommes dans une logique où, je le rappelle, nous sommes indépendants et qu’il faut équilibrer les comptes… Et puis au fil des années, le poids des revenus publicitaires a drastiquement baissé. Je ne m’en cache pas, l’entreprise Libération a besoin de revenus. Mais il ne faut pas se fourvoyer, ce qui ne rendrait ni service à nos annonceurs ni à la marque Libération. Il est nécessaire de repositionner notre marque media sur le marché. J’ai été très surpris à mon arrivée par la composition de l’audience du quotidien, sur les indices d’affinités lorsqu’on les compare avec nos concurrents de la presse quotidienne nationale. Ainsi, en affinité sur la cible urbains CSP+, sommes-nous devant Le Figaro, Le Monde et La Croix et nous alternons selon les items avec Les Echos… Idem sur les dirigeants d’entreprise, sur les décideurs publics... Je n’avais pas cette vision. Nous avons donc un gros travail d’éducation du marché à faire, pour valoriser tous nos contenus dans notre écosystème.

CB News : quel serait votre message ?

Vincent Arvers : Je donnerais un chiffre : Libération, c’est 45% d’audience exclusive, cela représente plus de 400 000 personnes. Aujourd’hui, un annonceur et son agence media qui travaillent sur un plan de communication qui n’intégrerait pas Libération, se coupent d’un volume significatif d’individus sur son cœur de cible. Libération est de retour mais, à date, la marque reste encore une variable d’ajustement dans les plans média de la PQN. Il est important de marteler que l’on ne peut plus aujourd’hui sortir Libération de ceux-ci si l’on veut toucher sa cible commerciale. Pour faire passer le message, nous rencontrons les composantes du marché, nous organisons des plénières avec la direction du journal et sa rédaction.

CB News : Il y a aussi tout un travail à opérer en amont par votre équipe composée de 8 personnes

Vincent Arvers : En effet. Nous sommes en phase d’identification de toutes les initiatives de Libération, toutes nos spécificités, tous les partenariats en cours. J’en ai déjà repéré plusieurs dizaines que l’on sera amené à développer plus avant. Il y a aussi tout un historique à exhumer : qu’est-ce que nous faisions avant et que l’on ne fait plus ? Qu’est-ce que l’on ne peut pas faire par manque de moyens ? Qu’est-ce que l’on aimerait faire, en garantissant la liberté éditoriale qui est non-négociable ? Et tout cela ne nous empêchera pas de monter des dispositifs communs à la rédaction et à l’équipe commerciale. Je sens une conscience et une ambition collective à faire partager tout le travail réalisé.

CB News : Cela peut donner le sentiment que vous partez d’une feuille blanche ?

Vincent Arvers : Pas tout à fait, mais par rapport à l’héritage et la notoriété de la marque, il y a en effet la nécessité de sortir du bois et de valoriser tout ce qui est fait et le faire savoir au marché.

CB News : comment s’est portée la régie de Libération en 2023 ? Et pour 2024 ?

Vincent Arvers : Les revenus publicitaires de Libération se répartissent aux deux tiers pour le print et un tier pour le digital. Au sein du digital, le programmatique représente 60%. Et nous avons une marge de progression parce que les agences media ne savent pas encore toutes que notre inventaire est disponible en programmatique. Nous travaillons également avec Prisma Media sur ce sujet (depuis avril 2021, Libération est chez Prisma Media for Publishers, la solution d'accompagnement programmatique pour les sites externes de la régie Prisma Media Solutions, NDLR). Nous allons également déployer notre DMP mais également des formats premium sur le digital. Là aussi, tout cela, le marché doit le savoir.

CB News : Quelques chiffres ?

Vincent Arvers : Nous faisons le meilleur 1er trimestre en 2024 depuis 2019. Une période janvier-février-mars, on le sait bien, pas forcément porteuse en termes de business. Nous sommes, à date, à +10% vs la même période 2023 et l’on terminera ces trois premiers mois de l’année entre +13% et +15%. Pour l’ensemble de 2024, je suis convaincu qu’à la fois sur le print et le digital nous pourrons enregistrer de belles progressions. Nous travaillons également l’événementiel avec une vingtaine d’opérations dans 14 villes cette année, ce qui devrait également nous booster… Même si le marché publicitaire est en déclin, nous ne pouvons que croitre dans un écosystème où nous n’étions pas clairement positionnés. Les perspectives de croissance sont donc là.

CB News : Libération publie beaucoup de newsletters. Est-ce que cela rapporte publicitairement ?

Vincent Arvers : Cela prend encore peu de place dans nos revenus. Mais je suis là aussi convaincu que ces formats doivent s’inscrire dans des dispositifs média, notamment avec les activités Publishing des agences média. Ces newsletters reposent plus sur des enjeux de visibilité et de répétitions de messages que sur une logique de performance.

CB News : Début 2022, le Syndicat des régies publishers (SRP) était créé. En serez-vous partie prenante ?

Vincent Arvers : C'est une réflexion à mener, mais nous y serions à notre place. Il faut que nous nous rencontrions, voir si nous partageons les mêmes constats sur la situation de nos métiers et la vision que l’on peut en avoir. C’est d’ailleurs la même chose avec le Syndicat des régies internet (SRI). Mais pour cela, je le redis, il faut savoir qu’elle est notre place.

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